J’avais rencontré ces olibrius en première partie des THE TEMPERANCE MOVEMENT, du côté d’Angoulême, l’année dernière je crois. Ils s’étaient pointés sur scène avec des tapis, pieds nus, et ça empestait le chanvre comme le patchouli dans un vieil ashram délocalisé en Ardèche. Petite veste empire ou assimilée, amplis orange, l’affaire allait être vite pliée puisque tout ça puait le Stoner à plein nez. On allait encore nous bassiner avec des sentencieux « depuis le SAB’, LED ZEP, CACTUS et BLUE CHEER, on a fait que de la merde », et ça me saoulait d’avance. Le chanteur avait une tronche à faire les figurants dans « Les Babas Cools », genre pote de Marie-Anne Chazel qui la trousse tranquille dans un coin, pas vraiment le genre d’ambiance à me faire tripper, d’autant que le Rock gras a cessé de m’intéresser depuis les premiers ELECTRIC WIZARD. Mais j’étais resté devant la scène, professionnalisme oblige puisque j’étais supposé les prendre en photo, et puis, je m’étais laissé happer par leurs effluves, qui loin d’essayer de me corrompre pour les suivre à Katmandu, m’avaient convaincu que le Rock à tendance Heavy « à la française » avait encore de très beaux jours devant lui. Et autant être honnête, en tant que frontman/bassiste/chanteur, Nicolas Sauvey incarnait à merveille le petit lutin nostalgique des 70’s, mais avec une putain de voix et un charisme à faire rougir le Robert Plant le plus sexy. Sauf que Nico n’est pas sexy, il est juste envoutant, presque chamanique, et qu’en plus, il dispose d’une section rythmique inventive, qui ne se contente pas de recycler des plans déjà moisis et Heavy, mais percutant, inspirant, et surtout, expirant. Alors, j’avais bouffé le concert en me disant que leur premier simple était peut-être celui qui allait nous sauver du marasme d’un Stoner/Blues/Psychédélisme qui n’en pouvait plus de radoter son 13th FLOOR ELEVATORS.
Et je ne m’étais pas vraiment trompé sur ce coup-là. Pensez donc, depuis, des dates en Angleterre, le public européen le moins enclin à célébrer nos gloires françaises, d’autant plus lorsqu’elles chantent dans leur langue de Shakespeare. Et puis, le gros coup, même pas fourré, la première partie de la première partie des INSUS (j’ai toujours du mal à écrire ce nom sans me laver les mains après…), le 15 septembre, comme ça, les mains dans les poches et les bâtonnets qui sentent bon restés dans la loge. Excusez du peu les bordelais, jouer devant trente-mille personnes avait procuré le même effet aux sacro-pas-saints TELEPHONE lorsqu’ils avaient arpenté la scène d’Auteuil en première partie des STONES. Et pourtant, ils avaient crânement joué leur carte, la meilleure, celle qu’on pose sans complexe sur la table, certain qu’elle va remporter la mise. Et la mise, loin de ces effets de manche de journaliste avide de sensationnalisme régional (un peu comme si Jean-Pierre Pernaut s’enorgueillissait du fait que le groupe de son petit-fils taille la route dans les bars de St-Michel) a pris la forme d’un longue-durée censé justifier toute cette hype venue de province qui risque de mettre la capitale à genoux. Ce LP, c’est Rokh, qui l’est tout autant que son nom, mais qui paie son tribut au passé comme on honore les héros tombés, ceux qui jouaient au Fillmore comme dans une petite salle du Nebraska, avec des amplis poussés à fond et une tête à faire tomber en pamoison des groupies atteignant juste l’âge de raison. Enregistré avec l’aide d’un inconnu ou pas du tout qui s’appelle Clive Martin (QUEEN, Tom YORKE, THE CURE, MIDNIGHT OIL, SKUNK ANANSIE...), Rokh est loin du pavé qu’on aurait pu imaginer sevré de sonorité chanvresques passées en boucle histoire de pousser le mantra hors du larynx, mais se veut plutôt sale résumé d’un Rock puissant, versatile, et surtout, euphorisant, que les trois musiciens ont sublimé de leur attitude frondeuse consistant à tourner le dos au moindre complexe d’infériorité. Et croyez-moi, « les étrangers », comme on les nomme dans les colonnes des canards les moins spécialisés risquent d’en éprouver quelques-uns à l’écoute de ces huit morceaux qui ne prennent aucun gant pour imposer leur bonne humeur et leur moue effrontée. C’est du grand art, tiré non des tarots mais d’une décade que l’on croit toujours connaître par cœur, et qui pourtant nous assomme toujours de sa suprématie, même quarante ans plus tard. Entre les mains de branleurs jouant leur va-tout sans même le savoir. Et dans ce domaine, les DATCHA MANDALA sont des pestes, de vilaines pestes qui récitent à peine par cœur leur poésie à base de gros riffs fuzzés et de rythmique pilonnées ou chaloupées. Et ça fait un bien fou.
Ça fait du bien, parce que les trois (Nicolas Sauvey – chant/basse/guitare acoustique/harmonica, Jérémy Saigne – lead/chœurs et Jb Mallet – batterie/chœurs) s’y entendent comme personne pour jouer comme larrons en foire et passer en revue tout ce qui les a séduits depuis tout petits. Le Rock, dans toute sa splendeur lorsqu’il ne fait pas tapisserie au panthéon des rendeurs d’hommage un peu trop sûrs de son caractère inamovible, lui qui est sans doute le style le plus perméable à la liberté créative. Et ici, la liberté est un sacerdoce qu’on n’est pas prêt de négocier. Alors on négocie justement tous les virages, faisant allusion à Beck, Page, Dave Davies, mais aussi Mercury, et puis l’école Soul qui arrive toujours à se faufiler n’importe ou. On instrumentalise varié, en refourguant des cuivres, des pianos, des violons, mais aussi des passages en acoustique qui rappellent tout autant JETHRO TULL que notre Jack-Alain Léger (« Smiling Man », les GONG auraient pu tenter de le vendre sur les marchés, entre deux fromages puant l’étable empaillée, « Misery », que les MUSE auraient pu composer s’ils étaient encore intéressés par la musique plus que par les shows en fumigènes exagérés), ou au contraire, en nous montrant « la lumière », d’une basse mutine qui se love au creux des cheveux ondulés de Robert, pour une adaptation des standards du ZEP en version VANILLA FUDGE funky as hell (« Have You Seen The Light ? », une des intros les plus futées et culottées depuis le premier BADLANDS, qu’ils ne connaissent peut-être pas). En gros, le grand écart sublime de jeunes chiens fous qui n’ont cure d’un quelconque respect, et qui pourtant aiment leurs racines à en crever. Son qui dépote, et qui fleure bon les consoles d’antan, énormes breaks qui concassent tout en faisant passer les KYUSS ou les ORANGE GOBLIN pour de petits plaisantins Folk, et puis le Blues, man, le Blues (« Da Blues », oui mais joué avec des piles qui ne s’usent pas, et pas franchement à la mode du Delta, plutôt un truc New-yorkais sale, comme si les BLUE CHEER taillaient le bout de gras avec le fantôme de Robert Johnson).
Entre petites perles qui push (« Anâhata », un des tressautements les plus excitants de ce mois de novembre), et naufrage sombre et gras comme une wah-wah qui a perdu sa voix (« Uncommon Travel »), pour finalement nous embarquer dans un ad-lib truffé de chœurs et de mantras répétés jusqu’à atteindre le Nirvana (« Loot », douze minutes qui prouvent que les bordelais en ont sous le coude et qu’ils sont capables de recoudre la créature de Frankenstein sans lui donner une identité propre). Alors, finalement, les dates en perfide Albion, la première partie de ces grands cons d’INSUS à la mords moi le TELEPHONE, on s’en cogne, parce que tout ça n’est qu’une conséquence, et pas une cause. Les DATCHA MANDALA sont des bons, que voulez-vous que je vous dise, et la hype qui les entoure comme un brouillard de velours n’a rien d’un hasard, plutôt un truc que leur talent leur fait subir. Avec joie je présume, parce que ces trois-là doivent savourer leur succès, amplement mérité, qui fait la nique aux « gars de la capitale qui n’ont plus la dalle ». Et Rokh est tout ce que le Rock devrait toujours être, un truc free, mais carré, un truc qu’on respire avant de l’exhaler. Une essence pas si naturelle qui ne rend pas fou, mais qui rend la vie plus belle. Et il leur aura fallu quarante minutes pour démontrer ça, sans le vouloir. Comme il leur aura fallu cinq minutes pour me donner envie de les revoir, l’année dernière, un soir.
Et je n’attendrai même pas que Nico mette des pompes pour lui serrer la main. Parce que même pieds nus, je l’aime bien.
Titres de l'album:
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