Quand les suédois ne dominent pas le marché de la Retro-Wave, quand ils ne se gargarisent pas de leur propre crédibilité BM, quand ils ne provoquent pas les américains sur le terrain de l’AOR gagnant, quand ils ne toisent pas du regard les anglais d’un Hard-Rock saignant, ils s’amusent Garage et font sonner les années 70 comme les années 2021. Cette domination artistique a pu être irritante fut un temps, mais elle devient drôle au fur et à mesure des années, à tel point que lorsqu’on écoute un album franchement réussi, on ne se demande même plus de quel pays proviennent les musiciens. Il ne m’a fallu par exemple que quelques morceaux pour comprendre que les HOT BREATH étaient originaire de Göteborg, alors même que leur musique évoque plus volontiers le Detroit des seventies ou le Paris de l’orée des années 80. Fondé il y a quelques années par d’anciens membres d’HONEYMOON DISEASE, HYPNOS ou GRAND, HOT BREATH comme son nom l’indique est la mauvaise haleine du matin, celui qui succède à une nuit de décibels et d’alcool, ingurgité après un concert dans un bar un peu louche de la grande ville suédoise. Une haleine de phoque donc, à réveiller un chacal, mais un goût certain pour les ambiances crues, les néons blafards, et les tronches en biais dans le miroir. Et en cette période de recyclage 80’s totalement envahissante, une telle non-fraîcheur dans l’attitude fait un bien fou.
Jennifer Israelsson (chant/guitare), Anton Frick Kallmin (basse), Jimmy Karlsson (batterie) et Karl Edfeldt (guitare) nous offrent donc avec leur premier album un manifeste d’authenticité et de spontanéité Rock. Pas de chichis, pas de gimmicks, juste un Rock high on energy, légèrement Punk sur les bords, avec la moue boudeuse d’un chant féminin qui nous renvoie au meilleur des RUNAWAYS sans le côté sexuel gênant. Quatuor parfaitement en place dans sa sobriété, HOT BREATH joue en studio comme il joue en live, et s’appuie sur une bonne connaissance du Rock mis à l’épreuve au sein de combos précédents, pour nous torcher l’album le plus authentique de ce premier semestre 2021.
Enregistré et mixé par Mattias Nyberg (THE SOUNDTRACK OF OUR LIVES, THE DATSUNS), Rubbery Lips empeste les salles de répétition enfumées, les estrades de bars montées à la hâte, et les câblages rongés par le temps. Directement inspirés par le Hard Rock subtilement Garage que les japonais remettent à la mode depuis les années 90, les suédois ne s’embarrassent pas de principes, et utilisent le leitmotiv des RAMONES, avec pas plus de deux ou trois accords par morceau. De fait, tout va très vite jusqu’à « Who’s the One », plus long chapitre de l’album à l’ambiance plus feutrée et alternative. Les quatre premiers titres foncent comme des missiles vers la Russie, et nous imposent un beat d’enfer, et une voix unique. Dépositrice du 2020 year’s memorial Stämskruven, attribué à la mémoire de Robert “Strängen” Dahlqvist (HELLACOPTERS, DUNDERTÅGET, THUNDER EXPRESS), Jennifer Israelsson mène ses troupes avec un poignet de fer, et une solidité incroyable dans l’expression et le riffing.
Sa voix, délicatement juvénile nous renvoie aux meilleurs des rockeuses sans fard ni lipstick, et on prend un pied indéniable à l’écoute de ces hits entièrement dédiés à l’urgence Rock qui animait les groupes les moins portés sur le superficiel de la vague Punk-Rock. Pour autant, pas de « no future » ici, mais bien un présent électrique, essentiel, viscéral, avec des allusions plus ou moins directes aux STOOGES, aux HELLACOPTERS, aux MAID OF ACE, SHONEN KNIFE, et d’autres comme EDITH NYLON.
Mais comme tout album de Rock simple et franc qui commence par un brûlot comme « Right Time », Rubbery Lips s’écoute, se ressent, mais ne se parle pas. Les guitares semblent directement prises sur la console, le chant est bien présent mais pas étouffant, la rythmique est simplissime et efficace, et le tout à des relents de jeunesse passée à répéter son grand soir, sans faire de compromis. En écoutant ce disque, on a le sentiment d’être dans la même pièce aux murs décatis que le groupe, et de ressentir les vibrations d‘une basse pourtant beaucoup moins grave qu’elle ne devrait. Adeptes du « on frappe fort et vite, et on se casse », les membres de HOT BREATH ne dépassent qu’en une seule occurrence les sacro-saintes trois minutes, et bousculent les conventions old-school actuelles d’un coup de boule « Magnetic », aussi Teen que Detroit.
Si le tempo est up, si l’attitude est frondeuse, la qualité est au rendez-vous, et les quickies ne sont pas torchés par-dessous la lunette des chiottes. « Last Barang » accélère même les choses, tandis que « What You’re Looking For, I’ve Already Found » semble s’évertuer à retrouver l’esprit des DAMNED de « New Rose ».
J’attends évidemment les reproches habituels, « trop Rock pour être Hard », « convenu et prévisible », « entendu des centaines de fois », « tu aimes ça blaireau parce que c’est une nana au micro », et je préfère vous prévenir que je m’en tape comme du premier tampon de Donita Sparks. Sorte de pendant presque Pop des mythiques L7, les HOT BREATH vous respirent en pleine gueule, crachent « Adapted Mind », vitupèrent « Turn Your Back », explosent de rage « One Hit (To the Body) », laissent la caisse claire faire de l’œil à Lars Ulrich, et les guitares exciter Wayne Kramer. Pas de quoi fouetter un pussycat, mais tout plaisir durable est bon à prendre en ces temps d’isolation et de solitude.
Allez tiens, je vais même acheter l’album, pour le ranger aux côtés des GLAM SKANKS et du Maid in England des MAID OF ACE. Of Spades évidemment.
Titres de l’album:
01. Right Time
02. Magnetic
03. Last Barang
04. What You’re Looking For, I’ve Already Found
05. Who’s the One
06. Adapted Mind
07. Turn Your Back
08. One Hit (To the Body)
09. What to Do
10. Bad Feeling
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