Ils sont quatre, viennent de Moscou, et existent depuis 2004, jouent une musique aux confluents de plusieurs styles, et affirment leur identité d’année en année, sans se demander si leur démarche est pertinente ou pas. Je les rassure tout de suite (bien qu’ils ne m’aient rien demandé…), elle l’est, et s’avère même une des plus intéressantes que j’ai pu découvrir ces derniers mois, bien qu’à la base, mes propres goûts se situent aux antipodes des leurs. Il est vrai qu’un quatuor se revendiquant plus ou moins d’influences comme DEATH, KATATONIA, PARADISE LOST, DARK TRANQUILITY, DREAM THEATER, SYMPHONY X, EVERGREY, FATES WARNING ou WOLVERINE a plus d’arguments pour me faire fuir que m’attirer dans ses filets, mais admettons ces références comme placement générique plus que comme localisation précise, ce qui est d’ailleurs le cas…En substance, et selon les sites, les TANTAL jouent une sorte de Néo-Thrash progressif, ou de Death moderne et mélodique, le tout nuancé de quelques prétentions Gothiques et/ou alternatives, et dans les faits, le résultat serait en convergence de toutes ces images sonores, mais bien plus mélodique et puissant qu’on aurait pu le penser.
Ruin est donc leur troisième album officiel, et fut annoncé au mois de mars par un single éponyme qui mettait l’eau à la bouche, suffisamment en tout cas pour que le label grec Sleaszy Rider Records s’intéresse de près au longue-durée lui emboitant le pas. Une pochette réussie qui attire l’œil, un son plus ou moins usuel dénaturé pour adopter les contours d’une optique un peu biaisée, et l’affaire est dans le sac, et le chroniqueur concerné. Et je ne doute à aucun moment que vous le serez aussi, une fois que vous aurez posé vos oreilles attentives sur les dix morceaux d’un album qui n’hésite pas à appuyer là où ça fait du bien, pour faire mal. Mais ne pas mal faire, ce qui rend la nuance d’importance.
TANTAL, ce sont avant tout quatre musiciens (Sofia Raykova – chant, Dmitry Ignatiev – guitare/clavier, Ivan Izotov – basse et Srgey Serebrennikov – batterie), au niveau instrumental au-dessus de tout soupçon, et qui le mettent au service de compositions solides, à défaut d’être tout le temps originales. On retrouve des thèmes connus, qui se répercutent de chansons en idées, mais qui une fois incorporés à l’ensemble, lui confèrent une aura assez sombre, équidistante d’un progressif aux accents violents et d’un Metal gothique et alternatif légèrement démonstratif, qui met en relief les qualités de chaque individualité. C’est souvent performant à défaut d’être innovant, et surtout, soufflant à défaut d’être sincèrement déstabilisant. Mais la magie opère à intervalles réguliers, et on se retrouve souvent à headbanguer comme un frappé au rythme d’une batterie qui ne ménage ni les concassages en double grosse caisse, ni les mid tempos qui frappent sévère. Les riffs sont certes interchangeables, spécialement dans la première moitié de l’album, mais la voix puissante et versatile de Sofia permet de fermer les yeux sur certains automatismes flagrants, de même que les soli flamboyants de Dmitry qui nous emmènent assez loin sans verser dans la démonstration gratuite. Stylistiquement, on peut penser à une alliance assez logique entre ARCH ENEMY et WITHIN TEMPTATION, avec une petite touche de LACUNA COIL en pleine crise de folie, le tout chaperonné par un PERIPHERY qui s’amuserait beaucoup de ces discussions animées et enflammées. Si l’image vous sied, elle me semble parfaitement adaptée à une bonne partie de Ruin, qui sait toutefois s’écarter de ses propres sentiers battus pour chercher des émotions moins immédiates et faciles.
Percutant, séduisant, parfois caressant (« Drained »), mais toujours pragmatique, ce troisième LP est un bel exercice de styles, au pluriel, puisque les TANTAL conçoivent leur musique en termes de « mélodies accrocheuses, de soli hyper rapides et de thèmes sombres et personnels ». Cette courte bio artistique colle à la réalité d’un disque qui ne cherche pas à provoquer, mais juste à enrôler, dans une armée d’harmonies un peu spectrales qui décharnent des motifs classiques, pour les épurer de leurs accents les plus classiques. Mais le tout l’est, sans conteste, avec cette petite patte dite « de l’est », qui puise subtilement dans son propre folklore pour dénaturer des axes ouest européens et même américains. On sent le combo très capable et volontaire, même si la maladresse de certains arrangements un peu trop cliché les empêche pour le moment de passer à la catégorie supérieure des groupes servant de référence absolue.
Mais difficile de résister à des constructions qui sont relativement intelligentes, et qui osent avec flair tenter le coup de l’aération par l’épure, en copiant parfois les tics d’un DREAM THEATER toujours aussi nostalgique de son Crossover entre Progressif et Thrash (« Torpid », mélodie un peu amère, et rythmique ambivalente). On regrette parfois que la violence ne soit pas plus débridée, ce qui permettrait à certains titres d’exploser sans nous faire le coup de la mèche un peu mouillée (« A Hopeful Lie », intro velue qui laisse envisager une grosse crue, mais qui la confine derrière un barrage de lignes vocales trop tendres, mais dont l’hésitation permet de tomber sur un bastion solide et accrocheur, presque un tube d’ailleurs).
Ce qui gêne par-dessus-tout, ce sont ces let down en graves qui rappellent un peu trop la scène Néo, et le Beatdown pas forcément assumé, et lorsque des segments s’éloignent un peu de ce schéma trop bien rodé, l’attention se voit redoublée (le superbe « Low », envoutant, captivant, séduisant, qui développe une belle progression harmonique héritée tout autant des glorieuses eighties que du nouveau millénaire maudit). Le quatuor aurait sans doute gagné à compresser, et à condenser ses idées en deçà du timing un peu trop étiré, puisque chaque intervention flirte ou dépasse les cinq minutes, ce qui oblige parfois à rebondir sur des motifs un peu trop rallongés.
Mais la seconde partie de Ruin propose justement des concepts un peu plus légers, à l’image du presque Pop-Rock à la EVANESCENCE « Tears Of Yesterday », vraie bouffée d’air frais dans une pièce qui commençait à sentir le renfermé. « The Awakening », le final, confirme que la variété et les espaces aérés vont très bien aux moscovites, et laisse présager d’une suite qu’on espère plus équilibrée, et moins obsédée par les plans percutants, mais un peu trop redondants. Cordes en volutes et astuces d’arrangements plus ludiques, pour une partie vocale fragile qui montre toute l’étendue du talent de Sofia, qui trouve enfin un écrin à la mesure de sa brillance. Belle façon de conclure un troisième album qui se révèle dans toute sa richesse sur sa fin, mais qui saura satisfaire les plus agressifs, sans laisser les esprits romantiques sur leur faim.
Une jolie moyenne de démonstration qui heureusement se nuance petit à petit, pour éviter le piège de l’album drapé d’un monochrome opaque. Opératique et percussif, Ruin n’est pas le champ de désolation qu’il prétend être, mais ne représente pas non plus la fertilité d’un genre qui supporte assez peu la répétitivité.
Titres de l'album:
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