Saviez-vous, à tout hasard, que les Russes et les Indiens ont les mêmes racines génétiques, et que de fait, ils pourraient ne former qu’un seul et unique peuple ? En effet, il y a huit mille ou neuf mille ans, leur génotype était identique, et les peuples Indiens vivaient dans l’extrême-nord Russe…De plus, les noms de rivières russes sont souvent emprunts d’origine sanscrite, ce qui prouve la théorie voulant que les Indiens aient vécu sur le territoire russe. La rivière Sūrya dans la région de Kirov doit son nom au sanskrite « Soleil », et le plus grand affluent de la Volga, la rivière Kama désigne le dieu hindou de l’amour (sputniknews.com).
Pourquoi ce laïus géo-anthropologique en intro d’une chronique d’album Metal ? Tout simplement parce que les KARTIKEYA (du dieu de la guerre du même nom, du panthéon Indien.), originaires de Moscou, se sont plongés il y a des années dans la culture arabe et indienne, d’un point de vue thématique, mais aussi musical, et qu’ils empruntent aux deux cultures des éléments conceptuels et instrumentaux, donnant lieu à un gigantesque Crossover que nous avions découvert à l’occasion de la sortie de leur premier longue-durée The Battle Begins, publié en 2007. 2007/2017, anniversaire en décade, et plus que précis d’ailleurs puisque le troisième album des moscovites a été publié jour pour jour une décennie après leur entrée en matière tonitruante. Il a de fait été légèrement accéléré au niveau de son processus pour honorer cette date, ce qui ne se sent aucunement à son écoute, qui révèle des chansons profondément arrangées, ciselées, pour répondre à des critères de qualité auxquels ils sont attachés depuis leurs débuts. C’est donc avec un plaisir énorme mais aussi une curiosité l’étant tout autant que nous découvrons aujourd’hui Samudra, troisième volet d’une longue aventure, qui tient toutes ses promesses, et plus encore.
Point de départ d’un concept en cinq volumes basé sur les cinq éléments fondamentaux, Samudra (l’eau, mais pas seulement l’élément en lui-même mais bien le volume total d’eau que le monde recèle) tente son va-tout pour se hisser au même niveau d’intransigeance que ses prédécesseurs, qui mettaient en avant une technique imparable au service d’une violence instrumentale matinée d’influences orientales et indiennes. Aucun des fans du groupe n’a pu oublier le gigantesque bond en avant accompli lors de la sortie du monumental Mahayuga, en 2011, à tel point qu’ils commençaient à désespérer d’y voir une suite s’y accoler, six ans après les dernières nouvelles données par le EP Durga Puja. Des indices avaient pourtant été dispersés sous la forme de singles dès 2012, singles que nous retrouvons ici (« The Horrors Of Home », « Tunnels Of Nakara », « The Golden Blades ») dans des versions légèrement remaniées, et qui s’accompagnent d’une bordée d’inédits complétant le concept pour le transformer en chapitre à part entière. Mais qu’en est-il de la musique des russes dans le fond et la forme ? Le fond n’a pas changé, toujours propice à des débordements de violence non contenue, et fasciné par le choc de cultures pas si opposées que ça, tandis que la forme s’est encore modernisée, et perfectionnée, pour atteindre aujourd’hui une sorte d’acmé de brutalité mélodique empruntant au vocable de nombreux styles, à tel point qu’il devient impossible de définir les KARTIKEYA, autrement qu’en citant leurs propres balises de Carnatic Metal.
Pour les néophytes, et en faisant abstraction des précisions déjà communiquées, le Carnatic Metal est un mélange de Death moderne, très précis et violent, de Djent pour cette exigence d’interprétation au cordeau, d’influences orientales et indiennes intégrées en immersion ou allusives en ajout de strates, et de Metal moderne au sens le plus global du terme. Bien qu’ils puissent aisément se passer d’influences à ce stade de leur carrière, les KARTIKEYA citent sans honte les références d’ORPHANED LAND, NILE, BEHEMOTH, MESHUGGAH, STRAPPING YOUNG LAD et MELECHESH, ce qui permet de déblayer un peu les combles de leur imagination, sans pour autant les enfermer dans un carcan un peu trop strangulatoire. Mais tout ça ne suffit pas à dessiner les contours d’un art qu’ils sont presque les seuls à oser pratiquer, ce que confirme l’ambition démesurée de ce troisième LP, qui refuse toute contrainte de cadre et de durée. En choisissant d’étirer son déroulé au-delà des soixante-dix minutes, le sextette (Anton Mars – chant, Roman Arsafes – guitare/chant/instruments ethniques, Sasha Miro – basse, Misha Talanov – violon, Dmitriy Drevo – percussions et Alex Smirnov – batterie) a pris d’énormes risques, en acceptant de voir l’intégralité de son œuvre jugé peu digeste, et pourtant, ce choix est totalement justifié dès lors que l’auditeur s’immerge dans ce monde aux sonorités, aux couleurs, aux nuances et odeurs versatiles et multiples, qui caressent les sens et stimulent le dépaysement immobile de leurs accents mystiques et foncièrement brutaux. Certes, parfois le schéma se répète via des structures en gigogne que l’on retrouve d’une piste à l’autre, mais le développement est à ce point impressionnant que les quelques récriminations restent vite lettre morte face à cette débauche de moyens et de puissance.
Le Death se taille toujours la part du lion, parfaitement dosé avec des éléments Heavy modernes qui s’accordent fort bien d’une instrumentation classique, et même si les inserts exotiques ont parfois du mal à s’amalgamer dans le tout, les parties sont suffisamment fouillées et élaborées pour que l’on passe outre ces petits défauts. Comme pour toute œuvre qui ouvre des portes sans canaliser les vents qui en émergent, Samudra a parfois du mal à fondre dans un courant unique son instrumentation, ce qui nous donne parfois des breaks qui ont du mal à respecter la logique de fusion totale. Le travers est partagé avec le Metal symphonique, mais avouons quand même que des morceaux aussi terrassants que « Dharma pt. 1 - Into The Sacred Waves » qui nous plonge dans le bain sans nous laisser le temps de prendre notre respiration, ou l’imposant et harmonique « The Horrors Of Home » servent de mètre-étalon d’une qualité inouïe, et justifient à eux-seuls la longue attente qu’il nous aura fallu éprouver pour enfin apprécier le retour de nos amis de l’est. Les esthètes d’Apathia ne se sont pas trompés en accordant leur confiance à ces musiciens de l’outrance, qui savent toutefois faire de l’espace à la quiétude et à l’apaisement lors de transitions d’une beauté formelle trouble comme « Samudra », typique d’un Post Metal débarrassé de ses tics les plus irritants et rappelant même les instants les plus paisibles de Devin Townsend en solo ou en groupe. Difficile pour un descriptif synthétique de s’attacher à l’importance de chaque segment sans gâcher le plaisir de la découverte, mais si tous les titres sont d’importance, certains se démarquent évidemment de leur grandiloquence, comme ce terminal épilogue « Dharma pt. 2 - Into The Tranquil Skies », qui ose des riffs catchy dans un cadre progressif, et nous prouve en plus de treize minutes l’importance d’une telle entreprise, qui permet de fait de faire la jonction entre les cultures, et rapprocher d’un point de vue artistique les origines Indiennes et les fondements slaves. Tout est passé en revue, d’un Djent farouchement écrasant aux volutes harmoniques délicates, le tout cimenté par un chant vraiment véhément, apportant sa caution Death à une entreprise de célébration unique qui place les KARTIKEYA sur un piédestal qu’ils ont amplement mérité. Soulignons de fait l’immense travail accompli au niveau des arrangements vocaux, qui sonnent comme des harmonies de violence parfaitement accordées d’un instrumental sombre, mais cathartique.
Certains ont jugé Samudra un peu froid et clinique, et un cran en deçà de Mahayuga, mais je m’autoriserai une nuance de taille en affirmant qu’ils sont d’égale qualité, et référents tout autant que différents. L’essentiel est de pouvoir retrouver un groupe unique en pleine possession de ses moyens, qui inaugure avec ce troisième LP un travail de titan à venir, et qui nous laisse une fois de plus dans l’expectative de découvrir des ouvertures différentes, en espérant que les musiciens ne nous laissent pas poireauter encore de longues années.
Titres de l'album:
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