Nous sommes d’accord, tout est parti de là-bas, de Norvège. Bon, certes, pas forcément au début (quoique MAYHEM a commencé à sévir dans les années 80, donc…), mais dès les années 90, alors que la Suède s’empêtrait encore dans la toile du Death Metal le plus englué, ses voisins Norvégiens prenaient la tangente pour proposer une musique encore plus sombre, héritée des incantations malsaines de l’aïeul suédois BATHORY, des suisses de CELTIC FROST/HELLHAMMER, et des anglais de VENOM.
Il est donc assez logique que la suprématie des cadors du BM reprenne ses droits, après des années passées à observer les homologues américains et centre-européens tenter de bifurquer vers un Crossover plus ou moins pertinent, et surtout, plus ou moins rattaché aux valeurs initiales.
Plus pragmatiquement, que les fans de MARDUK et 1349 se gaussent de joie, un nouvel ensemble marche dans leur pas assurés. Un nouveau projet sorti de presque nulle part, célébrant une collaboration entre cette Norvège de fantasmes en églises brûlées et la Finlande, plus discrète en termes de blasphèmes. Et ce même projet n’a pas été monté de toutes pièces par des inconnus, mais bien patiemment élaboré par des figures du milieu, désireuses sans doute de se rapprocher de l’essence originelle.
D’où un premier album qui pourrait presque faire office de bilan, tout du moins de résumé de presque trente ans de Metal sombre et cornu.
La bête à un nom, rassurez-vous, elle est baptisée DOEDSVANGR, et vient de sortir son premier psaume Satan ov Suns, aux vers assurés et à l’ambiance glacée.
Concrètement, DOEDSVANGR symbolise la réunion de trois acteurs de la scène BM nordique. On y retrouve Shatraug à la guitare et à la basse (SARGEIST, HORNA, BEHEXEN, NIGHTBRINGER, pour ne citer que les plus connus), Doedsadmiral au micro (ENEPSIGOS, NORDJEVEL, SVARTELDER), ainsi qu’Anti-Christian au kit (TSJUDER, GRIMFIST, TYRANN et une kyrielle d’autres participations), qui se sont offert une parenthèse qui risque fort de se transformer en étape cruciale du genre pour peu que suffisamment de fans fassent attention à l’avancée majeure que représente ce premier LP.
Enregistré aux Oslo Klang Studios, au Velvet Recordings, mais aussi en Finlande, et produit par Bjarne Stensli, Satan ov Suns est étonnant sous bien des aspects, alors même qu’il semble incarner tout ce que le Black Metal a pu proposer de classique et d’efficace ces dernières années.
Pas de grosse surprise à en attendre, un formalisme respectueux et brillant, des compositions solides mais qui ne jouent pas pour autant avec vos nerfs fragiles de puriste, et par extension, une question en suspens. Pourquoi en souligner la sortie avec une emphase semblant déplacée alors même qu’il ne propose aucune avancée majeure ni thématique inédite ?
Justement parce qu’il représente un survol de la scène BM nordique des origines, sans chercher à la dénaturer d’influences extérieures. Et que ce survol atteint une perfection admirable dans la fluidité et l’abrasivité, certainement dû au fait qu’il est proposé par trois musiciens au background indiscutable, qui savent exactement ce qu’ils veulent et ont déjà fait le tour de la question plusieurs fois.
Mais aussi parce que l’ambiance qui s’en dégage est l’une des plus glaciales que vous puissiez trouver sur le marché, fait suffisamment rare ces derniers temps pour être souligné. Malgré la grandiloquence de certaines intro et certains passages, Satan ov Suns est diaboliquement concret et concis, et basé sur une trame de riffs tétanisés et tétanisant, sobrement soutenus par une rythmique à la constance admirable, et par des lignes vocales qui rappellent l’atonalité de Legion, l’ombre gutturale de Ravn, mais aussi les exhortations maladives de Quorthon.
Comme vous le constatez, les tergiversations n’ont pas droit de cité sur ce premier jet qui finalement pourrait aussi bien incarner le point final d’une aventure éphémère, que le début d’une légende passionnante qu’on suivra l’écume aux lèvres et la croix inversée à portée de mur.
Mais il incarne surtout un nouveau chapitre de la saga du BM nordique, que l’on feuillette auditivement avec une ferveur indéniable, et qui se décompose en segments tous aussi travaillés les uns que les autres, et dont l’aspect faussement symphonique trouve sa source dès l’intro envoutante de « Our Lord Cometh ! » première longue suite de plus de six minutes.
Alternant avec grande intelligence les tempi lourd et martiaux et les accélérations de blasts sous contrôle, ce premier disque est d’une maturité fulgurante, et se pose d’ors et déjà comme une pierre angulaire sur laquelle viendront se reposer bien des musiciens à l’avenir. Aussi sombre que le Demonoir de 1349, aussi impénétrable et brutal que Wormwood ou Rom 5 :12 de MARDUK, il en symbolise une possible extension unique, mais parvient à en égaler les qualités en seulement une petite heure.
D’ailleurs, et sans privilégier un raccourci quelconque, il suffit de tendre l’oreille sur le fantastique et épique « Diaboli » pour réaliser à quel point DOEDSVANGR sait se montrer à la hauteur de ses glorieux aînés sans avoir à forcer son talent.
Mais les exemples sont multiples, et à vrai dire, chaque entrée de cet album ou presque représente un concentré du talent de cette collaboration Norvégienne/Finlandaise. Si l’éponyme « Doedsvangr » retrouve la sécheresse des premiers grands chefs d’œuvre du genre, en distillant un riff d’une lancinance morbide, « Northern Watchtowers » ose un groove palpable évitant la trivialité des DARKTHRONE, tandis que « Breath Of Lucifer » nous fait profiter de son haleine fétide via le thème redondant d’une guitare surgonflée et d’un chant vénéneux comme le baiser d’un serpent.
Aucun morceau ne peut se targuer d’une mise en avant naturelle, puisque tous font partie d’un dessein plus grand que leurs qualités individuelles. A ce titre, Satan ov Suns agit plus ou moins comme un concept-album détourné (quoique ses obsessions naturelles relient les morceaux les uns aux autres), et privilégie la somme des parties aux parties elles-mêmes.
Cette somme atteint donc des profondeurs qu’on pensait encore difficilement atteignable, que « Throne of Black Illumination » incarne avec toute la noirceur idoine, et que le final « Black Sun Nimbus » (lancé en éclaireur avant la sortie du LP) aplanit près des Enfers de son mid tempo rageur et ferme.
Un son (la batterie bénéficie d’un traitement très poussé et les guitares savent rester arides), une attitude, et surtout, une morgue personnelle à la hauteur du talent collectif, et finalement, DOEDSVANGR se transforme de side-project ponctuel en concept-group ultime, ce que le splendide artwork de Satan ov Suns confirme au premier regard.
Qui aurait pu croire que l’avenir d’un style passerait par un regard sincère sur son passé ? C’est en tout cas la solide éventualité soulevée par ce LP d’un classicisme foudroyant, qui en moins d’une heure réfute toute théorie d’évolution, tout en proposant lui-même des pistes en forme de jeu de mémoire.
Et comme tout est parti de Norvège finalement, il est assez normal que tous les chemins nous y ramènent.
Titres de l'album:
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