Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais j’aime bien imaginer des trucs. Des trucs légèrement historiques sur les bords, mais raisonnables dans leurs extrapolations. Du genre, « et si ce bon vieux Paulo ne s’était pas tiré de MAIDEN ? », « et si le chien de Mustaine n’avait pas pissé sur la bagnole de James ? », « et si les CRAMPS avaient enregistré un album avec HELLHAMMER ? », « et si BAUHAUS et VENOM avaient tourné en commun au début des années 80 ? ». Voilà, ce genre d’idées débiles qui vous effleurent le cerveau à des heures indues, et qui vous empêchent de dormir, imaginant l’impossible, l’incongru, l’improbable…Mais c’est rigolo en fait, parce que ça permet de mettre en place un monde parallèle, à base d’unions contre-nature, et de composer dans sa tête des morceaux qui n’ont jamais vu le jour…Et justement, le premier album des américains de DEVIL MASTER répond à ce genre de logique illogique, tout du moins partiellement, à condition d’avoir l’esprit un peu tordu. Sur le papier et sur la toile, le projet est banalement bradé comme un truc Blackened Crust de plus, un machin satanique de pacotille qui se sert du passé pour se construire un barnum au présent, mais après avoir écouté le truc en question, on comprend vite que c’est beaucoup plus que ça, tout en restant une anecdote un peu branque. DEVIL MASTER, plus qu’un énième produit occulte cheap de plus, est justement une sorte de mariage incongru entre des sonorités à la base antagonistes, une fusion entre le décorum rigolo de la première vague Black des années 80 et le son déviant des groupes un peu cryptiques de la même époque. Je parlais d’un fantasme conjoint entre les CRAMPS et HELLHAMMER, et justement, Satan Spits On Children Of Light correspond à peu près au cadre planté. Ou alors, une intrusion de Robert Smith dans la cave de répète du BATHORY de 83. Ou alors, une jam stupide des VENOM sur un vieux riff de Link Wray. Un bouzin subtilement psychédélique sur les bords, mais vraiment méchant et agressif au milieu. Sans comparaison normale possible. Et c’est plutôt pas mal. Quoique plus ludique que crucial, mais c’est déjà bien.
En substance, les DEVIL MASTER se sont formés il y a trois ans, et ont profité de cette période pour nous inonder de maquettes, de singles, de EP’s, et même d’une compilation avant de se voir signés sans qu’on sache pourquoi par le géant Relapse aux Etats-Unis, ce qui leur a permis enfin de coucher sur bande leur délire en version longue-durée. Et après une démo éponyme en 2016, un simple en 2017, un EP la même année (Inhabit the Corpse), et la compile Manifestations l’année dernière, c’est enfin en version plus pro que les zigues nous bousculent en 2019, via ce Satan Spits On Children Of Light qui ne supporte ni la lumière, ni les bondieuseries, ni la politesse sonore. Et croyez-moi, les treize morceaux de ce truc ramonent bien les bronches, même si on sent que la formule a déjà atteint sa perfection dans le paroxysme. Quatuor bien frappé (Cassidy McGinley - basse, CAPE OF BATS, ARDMORE ASSAULT, BLANK SPELL, PROJECT VENT, Francis Kano - guitare, CAPE OF BATS, INTEGRITY (live), ARDMORE ASSAULT, Dodder - claviers et Max - chant), DEVIL MASTER a trouvé une formule à base de D.C. Comics et d’iconographie digne d’un Halloween cheap, et se pose en sauveur du marasme ambiant de son attitude frondeuse et de sa musique faussement simple. Visuellement, on pense à un démarcage plus ou moins habile et cocasse des GENOCIDE (ceux de l’unique album Submit to Genocide, encore un truc réservé aux handicapés du bon goût), à un mélange entre le DANZIG le plus ludique et un NOTRE DAME qui s’habillerait chez Tati, mais artistiquement parlant, l’affaire est beaucoup plus sérieuse. Entre des guitares qui trifouillent les graves de la démo Satanic Rites et une rythmique primaire et tribale qui provoque une rencontre entre le GUN CLUB et les DISCHARGE, on nage en plein BM de Noël, chez de gros tarés qui sont restés bloqués sur les pédales d’écho, sur une réverb excessive, un delay mal maitrisé, alors que le chanteur se prend pour une seconde ligne rythmique et une copie presque carbone de Darby Crash en montée d’acide Tom Warrior. Pas désagréable, d’autant que le tout est très homogène dans la barbarie, et que le Punk s’est toujours très bien marié au Black le plus primal qui soit, comme un énorme « No Future » hurlé dans une vieille crypte avec une fille à poil qui se demande quand le bouc va commencer à lui lécher la plante des pieds.
Le pied justement, on le prend. Parce que ce machin, aussi bricolé soit-il est sérieux, et professionnel dans la débauche. Avec un son de guitare qu’on pense piqué au Pornography des CURE ou aux JESUS AND MARY CHAIN, des riffs aussi basiques et simplistes qu’un apprentissage de Mantas dans sa chambre d’adolescent, des arrangements cryptiques qui essaient de coller les miquettes, et une énergie à décorner Belzébuth lui-même, Satan Spits On Children Of Light fonctionne comme une catharsis de jeunesse, et ne s’embarrasse pas de principes techniques. A cheval entre régurgitation et barouf de branleurs qui apprennent à maîtriser leurs instruments, on frise l’underground rendu populaire au lycée, même si on comprend vite que les astuces de débauche sont plus ou moins toujours les mêmes. Le principe est simple, un thème par morceau, pas plus, un maximum d’effets, une ambiance glauque mais mignonne, et on fonce dans le tas, si possible en mode maximum BPM, sauf que parfois justement, le rythme ralentit et nous permet de mieux comprendre le génie incroyable de l’opération. C’est en substance « Desperate Shadow » qui nous en fournit les clés, avec son mid bien appuyé, son lick crétin qui colle au palais, et sa guitare qui s’amuse en arrière-plan à balancer des sons de l’espace, dans le plus pur style de VENOM qui découvre le solfège et les pédales en même temps. Efficace au dernier degré, aussi claquant qu’un shot de vodka pure avalé après avoir fumé deux ou trois clopes mal roulées, Satan Spits On Children Of Light est le genre d’exutoire horrifique qui s’amuse à piocher dans les caisses de la contre-culture d’il y a trois décennies de quoi élaborer ses gags d’aujourd’hui, et je dois avouer que le Proto-Surf gothique et venimeux de « Nightmares in the Human Collapse » est plus original et euphorisant que les trois-quarts de la production actuelle.
Ok, comme je le disais, d’un morceau à l’autre, on reste en terrain connu. Les tronçons sont plus ou moins longs, plus ou moins rapides (plus dans le cas de « Black Flame Candle », « Devil Is Your Master », mais avec toujours cette guitare bizarre qui allège le tout), plus ou moins agencés comme une maison des horreurs (« Webs of Sorrow », ça c’est vraiment vilain), mais le principe reste le même, et nous plonge en plein délire Goth, Punk, Surf Music, Thrash, Black, emballé dans un paquet bien paillard, et sujet à caution. Et finalement, un album conjoint des CRAMPS et de HELLHAMMER m’aurait vraiment fait marrer. Vous imaginez les photos promo avec le vilain Tom et l’affreux Bryan Gregory côte à côte ? Ben là c’est pareil, sauf qu’ils en sont fiers.
Titres de l'album :
1.Listen, Sweet Demons...
2.Nightmares in the Human Collapse
3.Black Flame Candle
4.Devil Is Your Master
5.Christ's Last Hiss
6.Skeleton Hand
7.Nuit
8.Gaunt Immortality
9.Desperate Shadow
10.Her Thirsty Whip
11.Dance of Fullmoon Specter
12.Webs of Sorrow
13.XIII
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