« Si les INFRARED sonnent comme du Thrash classique, rien d’étonnant à cela, puisqu’ils en sont ! »
Le genre d’accroche qui donne évidemment envie à tous les enfants du Thrash boom de 84 de tendre l’oreille, et assurons d’ailleurs cette génération dont je fais partie que les canadiens du jour ne mentent pas, pire, qu’ils disent la vérité ! Si la vague vintage n’en finit plus de nous rincer les oreilles avec son déluge de nostalgie prononcée, certains groupent peuvent se targuer de nous les irriguer avec les flots originels, même si leur débit en temps et en heure ne fut que de quelques gouttes. En l’occurrence, une simple démo pour ces originaires de l’Ontario, R.I.P. (Recognition in Power), publiée en 1988, et qui depuis a fait le bonheur des tape-traders de tout poil, qui ne s’embarrassent pas des principes du CAC40 ou du Nikkei 225 pour savoir si leurs actions valent leur pesant de plomb. Quelques décennies passées dans l’ombre à se concentrer sur des projets plus personnels n’ont donc pas empêché ces musiciens de patienter, et d’attendre le bon retour de flamme pour réchauffer la cheminée, en se reformant dans les années 2010 pour accoucher de ce fameux premier album tant désiré, qui prit la forme du très professionnel No Peace, publié à compte d’auteur. Et ces thrasheurs du grand nord n’ont pas remisé leur motivation de revers, puisqu’ils insistent une fois de plus sur le DIY, en nous offrant une suite notable à leurs aventures, via ce Saviours, qui pourrait en effet les présenter comme les prophètes qu’on attendait. Si la scène canadienne fut l’une des plus prolixes dans les eighties (RAZOR, EXCITER, VOÏVOD, et je ne vais pas énumérer ici tous les valeureux combattants), et si elle peut toujours se targuer d’une productivité prononcée de nos jours, elle peut surtout compter aujourd’hui sur un combo chaud, qui fait le show, et qui nous délivre l’un des meilleurs albums du premier semestre. Comment ? De quelle façon ? En utilisant de vieilles recettes, que certains cadors ont plus d’une fois éprouvées, mais qui fonctionnent toujours de nos jours, le cheveu fier et le poing levé.
D’ailleurs, le quatuor aux 75 pour cent de membres originaux (Mike Forbes - basse, Alain Groulx - batterie, Armin Kamal - chant/guitare et Kirk Gidley - guitare) ne s’embarrasse pas de principes, et cite directement le Big 4 comme référence majeure. Il est certain que James, Lars, Dave, Charlie et Scott retrouveront leurs petits en écoutant ce Saviours, eux qui ont prôné ces théories en temps et en heure. Mais il serait injuste de réduire les INFRARED à une copie carbone des trois rois du Thrash (le cas SLAYER étant hors-sujet), eux qui le modulent justement pour y incruster des fragrances Hard, Heavy et tutti quanti, histoire de se rapprocher du côté METAL CHURCH de la colline penchée. La voix de Kamal a de fait des accents qui ressemblent étrangement au timbre de David Wayne, même s’il a plus de mal à atteindre les notes surréalistes de ce dernier. Mais l’esprit progressif général, et l’ambition dont font preuve les canadiens leur permettent de talonner en qualité des œuvres comme The Dark ou The New Order, tout en suivant avec application les partitions longues et chargées des confrères primés de METALLICA et MEGADETH, les deux références les plus fiables. Nous avons donc droit à un véritable festival d’idées et de dérivations, avec huit morceaux qui taquinent souvent le chrono pour le faire flirter avec les six et sept minutes, dans la plus directe lignée du diptyque magique Master of Puppets/…And Justice For All. De la longueur certes, mais de l’inspiration surtout, puisque ces titres aussi élargis soient-ils ne sont pas de simples fourre-tout, qui recyclent avec peine et aléatoirement les sempiternels mêmes arguments. Je parlais de progressif, mais cette étiquette libre convient parfaitement aux canadiens, qui dès l’entame de second chapitre nous assomment avec trois longues suites, « Project Karma », « The Demagogue » et « Saviour », totalisant une mise en jambe d’une vingtaine de minutes.
Et faites-moi confiance, ce temps est judicieusement exploité. Car en trois titres seulement, les INFRARED nous collent au plafond, et nous font remonter le temps pour de bon. Toutefois, inutile de leur reprocher une nostalgie trop figée, puisque les quatre musiciens n'hésitent pas à s’adapter à leur époque, en distillant de petits arrangements contemporains. Ainsi, la sublime intro acoustico-électrique du fabuleux « The Fallen » titille la corde sensible Gilmour pour une danse haine/amour entre Hard-Rock à la SCORPIONS/QUEENSRYCHE et Heavy flamboyant à la METAL CHURCH/FATES WARNING, tandis que le furieux « All In Favour » nous la joue revanchard et bavard à la ANTHRAX/MEGADETH, et fracasse tout de sa double grosse caisse engagée et bien huilée. Adeptes d’un mid tempo leur permettant d’imposer des riffs costauds, les instrumentistes n’en oublient pas la puissance pour autant, et ne risquent pas de rentrer dans le rang. Leurs motifs sont si facilement mémorisable que Saviours prend de sérieux airs de classique instantané, beaucoup plus crédibles que les ersatz produits à la chaîne par une jeune génération qui confond souvent taylorisme et braquet de vélo. C’en est à ce point miraculeux que certaines interventions donnent clairement le sentiment d’avoir été composées pour l’histoire, et prendre une revanche sur elle, lorsque le pavé sinueux « They Kill For Gods » unit dans un même élan de créativité le meilleur de James, Lars et Dave. On pourrait presque croire le line-up historique de METALLICA enfin réuni pour une nouvelle tranche de folie, et personne ne serait surpris que la légende désigne ce titre homérique comme faisant partie d’une réunion secrète des anciens frères ennemis. L’euphorie des propos vous semblera sans doute disproportionnée, mais pourtant, le résultat est là, sous vos oreilles, et il n’en tient qu’à vous de le constater…
Purement Thrash dans le fond, mais délibérément Hard-Rock parfois dans la forme, ce second album change la donne, et nous révèle un groupe sûr de son fait. Si la tonalité générale en appelle au ressenti le plus primal, et si le final « Genocide Convention » tire les dernières balles, histoire de vous faire tomber sous le feu nourri d’un Thrash débridé, les INFRARED s’avèrent surtout être de redoutables et pointilleux compositeurs, qui n’ont pas eu peur de prendre leur temps pour éviter la moindre erreur. De fait, Saviours finit par ressembler à un gigantesque paquet-cadeau emballé dans une pochette au trait soigné, contenant plus de surprises que quatre-vingt-dix pour cent des présents offerts par des suiveurs plus nonchalants.
« Si les INFRARED sonnent comme du Thrash classique, rien d’étonnant à cela, puisqu’ils en sont ! ».
Finalement, cette accroche biographique finit par prendre tout son sens, et offre une belle revanche aux canadiens que le destin a laissé un peu trop tôt sur le carreau. Car les INFRARED sont Thrash. Mais tellement plus que ça en même temps…
Titres de l’album:
1. Project Karma
2. The Demagogue
3. Saviour
4. The Fallen
5. All In Favour
6. They Kill For Gods
7. Father of Lies
8. Genocide Convention
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