Inutile de partir en vrille, inutile de se prosterner et d’analyser l’objet comme une tablette des dix commandements. La presse underground et mainstream internationale commence déjà à se faire des gorgées chaudes de la sortie de cet EP, tout ça parce qu’il est un side-project de la grande prêtresse Chelsea Wolfe. On le sait, dès que la chanteuse américaine baille ou s’intéresse à un opéra maudit, les journalistes sont pendus à ses lèvres et retranscrivent le moindre geste anecdotique. Mais cette fausse révérence de surface n’est pas le bon comportement à adopter face à ce petit projet annexe monté par la chanteuse et une de ses plus anciennes collègues. Pour ceux qui n’auraient pas suivi l’actualité (malgré le nombre d’entrefilets consacrés au sujet), MRS PISS est une petite récréation que se sont offertes deux amis/collègues, Chelsea Wolfe évidemment, mais aussi sa batteuse Jess Gowrie, à ses côtés depuis la tournée Hiss Spun. Sauf que le partenariat musical entre les deux femmes remonte beaucoup plus loin que cette nouvelle association à grande échelle, les deux amies usant déjà leurs idées à Sacramento entre 2006 et 2008 au sein du combo Black Metal RED HOST. Quelques vidéos de piètre qualité sont dispo sur la toile, ce qui vous permettra de juger des débuts de notre oracle Doom/Folk avec un minimum de recul. Mais aujourd’hui, ces années-là sont bien loin, et le BM n’est plus d’actualité depuis longtemps. Le Metal plus trop non plus d’ailleurs, Chelsea s’épanouissant bien plus dans le métissage des genres glauques pour produire son petit effet. Alors ramenons le projet MRS PISS à des proportions plus humbles, et traitons de son cas avec objectivité. En tant que récréation (peut-être annonciatrice d’une reprise plus sérieuse), Self-Surgery est loin d’être déplaisant, mais reste clairement une affaire mineure. Sans Chelsea aux commandes, peu de gens se seraient intéressés au projet, qui n’est rien de plus qu’une association légèrement Noisy, sombre, mais efficace dans les faits.
MRS PISS c’est un nom et une pochette gentiment provocateurs, pour à peine dix-huit minutes d’une musique assez linéaire qui rapproche les deux femmes de leurs racines Rock, Indie, Punk et Indus, pour peu qu’on tende l’oreille. Loin d’être pénible, l’écoute du EP en question est très plaisante, l’osmose entre les deux musiciennes étant palpable dès les premières secondes. Constitué de matériel simple et viscéral, cet EP se rapproche parfois des exactions les plus supportables de la scène No Wave new-yorkaise des années 80, rehaussées d’une lucidité alternative typiquement nineties. Avec Wolfe au chant et à la guitare, et Jess Gowrie à la batterie, guitare et basse, le duo fonctionne bien, et propose une musique abrasive faite de courtes chansons au son assez âpre et naturel, rien de choquant en soi, ni d’innovant, mais de quoi s’occuper si vos racines punky vous manquent un peu. Inutile de chercher ici les incantations qui ont rendu Wolfe célèbre, même si l’écho sur sa voix peut rapprocher certains titres de son répertoire originel. Non, ici, tout semble instinctif, naturel, délibérément artisanal pour éviter à l’entreprise de prendre des proportions hors-sujet. Le genre de truc qu’auraient pu pondre P.J Harvey dans les nineties en compagnie de Thurston Moore, ou Katy Jane Garside avec l’aide de Billy Corgan. Pas de quoi fouetter un chat, mais de quoi patienter avec moins de frustration en attendant le prochain LP de Chelsea. Tout commence assez fort avec le direct « Downer Surrounded by Uppers » qui pose les jalons. Riffs simplissimes, batterie rudimentaire, ambiance live et plaisir pas si coupable que ça, Chelsea se fendant d’un cri cathartique en final. Une musique qui ressemble un peu à MCLUSKY, qui hésite entre fulgurances Punk et lancinances plus gothiques/Indus (« Knelt », le tronçon le plus long et le plus hypnotique avec ses itérations éprouvantes), et qui fait montre d’une certaine créativité, surtout lorsque Jess sort de ses machines quelques sons synthétiques qui plombent un peu l’atmosphère. J’aime particulièrement « Nobody Wants to Party with Us », qui m’a fait penser à du Nicole Dollanganger revu et corrigé KRAFTWERK et SLEEP, mais chaque morceau à son propre intérêt, puisque tous ont le mérite d’être différents.
Et c’est là que l’intérêt du projet réside, dans cette créativité cachée sous une épaisse couche de DIY. On sent que les deux artistes ont des points en commun, et qu’elles ne se seraient pas contentées d’un machin pondu à la hâte pour faire la hype. « M.B.O.T.W.O. » ressemble à du Natasha Khan passé au prisme du Post Grunge, alors que « You Took Everything » ressuscite l’esprit de Sub Pop avec une gravité digne de SONIC YOUTH et MINISTRY. Plus fascinant que la moyenne des side-projects versés dans la complaisance, MRS PISS est un concentré de fun un peu bizarre traité avec tout le sérieux du monde, et offre des titres, qui retravaillés avec plus d’arrangements et un son plus conséquent auraient leur place sur un album officiel de WOLFE. Mais en tant que caprice mineur, l’objet fonctionne à plein régime, et délivre son message brutal et évanescent avec beaucoup de flair (« Self-Surgery », B.O pour séance d’automutilation). Les dix-huit minutes passent très vite et se terminent dans un chaos de bruit blanc, avec toujours cette frappe instinctive et ce chant en arrière-plan comme pour se cacher du succès. Pas de quoi se relever la nuit pour crier au génie, mais des pistes à suivre, et le témoignage de deux artistes qui se souviennent de leur jeunesse plus libre, et non soumise à caution artistique.
Titres de l’album :
01. To Crawl Inside
02. Downer Surrounded by Uppers
03. Knelt
04. Nobody Wants to Party with Us
05. M.B.O.T.W.O.
06. You Took Everything
07. Self-Surgery
08. Mrs. Piss
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