Il y a peu, des milliers de fans en France se ruaient sur l’album posthume de leur idole de toujours, un disque en direct de l’au-delà qui clamait que finalement, son pays c’était l’amour. Notre pays à nous a sombré dans les affres d’une tristesse sans nom, lorsque l’increvable Johnny Hallyday a fini par rendre les armes, bouffé par un cancer bien décidé à réclamer son dû d’une vie d’excès. Mais il est tout à fait normal de chercher refuge dans une ultime célébration lorsqu’on a perdu une icône que le temps avait fini par transformer en légende éternelle, et le monde du Metal n’échappe pas à cette règle, de façon plus mesurée et modeste évidemment…Alors, lorsque la triste nouvelle du décès de Warrel DANE est tombée dans les colonnes des sites spécialisés, la stupeur a fait place à la résignation, celle d’avoir perdu un des plus grands chanteurs de Heavy Metal toutes époques confondues. Les fans de SANCTUARY et de NEVERMORE ont pleuré leur vocaliste lyrique, celui là-même qui transcendait de sa voix irréelle les chansons mystiques de Refuge Denied, Dreaming Neon Black ou Into The Mirror Black, et qui avait fait partie de deux des groupes les plus emblématiques d’un Power Metal de grande classe… Mais il fallait bien accepter l’inéluctable, et se réfugier dans le giron protecteur des anciens albums du musicien, qui nous avait même gratifiés en 2008 d’un premier LP solo, Praises to the War Machine, bifurquant légèrement de sa trajectoire habituelle pour explorer des territoires moins foulés…Nous savions que l’homme en préparait un second, et nous attendions avec impatience de le découvrir, jusqu’à ce que cette funeste nouvelle tue dans l’œuf tous nos fantasmes…Allions-nous pouvoir tendre une oreille curieuse sur les travaux de ce chanteur inimitable, ou le temps et la perdition condamnaient-ils ce second chapitre en solitaire à alimenter les tiroirs des projets mort-nés ? La réponse nous en est donnée aujourd’hui par Nuclear Blast, qui publie Shadow Work, au titre si prémonitoire et au contenu si surprenant, nous permettant une dernière fois de nous envoler au son onirique d’une voix venue d’ailleurs, sublimant pour une dernière fois des compositions d’une violence épique sans pareille…
Non, Warrel DANE n’a pas eu le temps de finir cet album. Il n’a en fait enregistré que des démos et des bandes de pré-production, et la tâche s’avérait difficile pour assembler ces idées et les transformer en véritables morceaux. Pourtant, les musiciens impliqués dans le projet ont tout fait pour lui donner un aspect homogène, et surtout, vivant, malgré l’absence du moteur principal du concept. Et sous cet aspect-là, le résultat est bluffant, et sonne comme l’aboutissement d’un effort collégial, et non comme un dernier hommage rendu à un homme dont le talent n’avait d’égal que le caractère fantasque et ultra productif. Mais loin des orientations du premier album solo du regretté, Shadow Work se rapprocherait plus des albums les plus puissants de NEVERMORE, faisant ainsi le point de jonction entre Warrel et ses différentes entités, bouclant une boucle au moment de refermer les portes de l’histoire. L’histoire a commencé au Brésil, là ou Warrel s’était réfugié avec son équipe de tournée locale pour coucher sur bandes son inspiration personnelle. Le boulot avait bien avancé, et l’homme semblait satisfait de sa performance jusqu’à ce triste jour de décembre où son cœur a fini par lâcher, laissant ses compagnons dans une infortune peu enviable, et surtout, incertains de la suite à donner à cette aventure en forme de tragédie. Alors, considérant sans doute que leur chanteur méritait plus qu’un enterrement de seconde zone en discrétion assumée, Johnny Moraes (guitare), Thiago Oliveira (guitare), Fabio Carito (basse) et Marcus Dotta (batterie) ont continué le travail, se confrontant à une tâche titanesque, puisque DANE n’eut le temps d’enregistrer qu’un seul titre complet en studio. Triant patiemment les démos et bandes test, les quatre instrumentistes ont achevé le travail entrepris, et récupéré cette voix magique sur tous les supports possibles, respectant le cahier des charges pour nous offrir un véritable album, et non un simple assemblage de témoignages poignants destiné à faire pleurer dans les chaumières les fans à l’amour le plus ardent. De fait, ce second tome en solo n’en est plus vraiment un, mais garde quand même l’empreinte d’un des vocalistes/auteurs les plus imprévisibles de sa génération, qui loin de partir apaisé et repentant, nous laisse sur une ultime déflagration grandeur nature, explosant de fierté et de gloire à la face d’une mort venue le récupérer beaucoup trop tôt.
Revigoré par une tournée anniversaire, l’homme n’avait donc pas choisi de revenir sous son propre nom animé d’humilité. Loin de l’épure mélodique basique de son précédent effort, ce Shadow Work est un véritable testament de l’ombre, unissant dans une violence patente les univers de NEVERMORE et de Devin TOWNSEND, et prônant des valeurs symphoniques extrêmes, proches parfois d’un Death opératique et technique s’appuyant sur les compétences d’un backing-band au niveau hallucinant. Il pourrait même se voir comme le paroxysme d’un LP inédit de NEVERMORE, tant certaines de ses sonorités sont proches des délires mystiques de l’ancien groupe de Warrel, spécialement sur ce final dantesque en legs ténébreux « Mother Is The Word For God », véritable orage créatif nous faisant encore plus regretter la disparition du vocaliste qui n’avait jamais chanté de manière aussi convaincante et poignante. En près de dix minutes, DANE nous démontre à postériori à quel point sa contribution au Metal a été importante, et ce morceau aux allures prophétiques synthétise près de trente ans de présence sur la scène, associant le lyrisme de SANCTUARY au pathos évolutif de NEVERMORE dans un déluge de notes, de breaks, d’arrangements de cordes synthétiques, conférant à cet épilogue une ampleur shakespearienne qui laissera des traces dans les mémoires. Mais loin d’un ultime au-revoir lacrymal et dramatique, Shadow Work est surtout un gigantesque album de Metal féroce et assourdissant, ce que « Madame Satan » prouve avec force et fougue. Bombardant sur un rythme presque indécent, ce premier véritable morceau est une litanie de gloire et d’emphase, et prend aux tripes de ses riffs saccadés et de ses accélérations maitrisées, se posant en tube improbable d’un musicien intenable. On reste bluffé face à cette démonstration de brutalité théâtralisée, et la voix de Warrel passe une fois encore par toutes les émotions, profitant sans le savoir d’un travail d’arrière-plan remarquable, spécialement au niveau de la frappe stratosphérique de Marcus Dotta…Grognements Death auxquels Warrel ne nous avait que très peu habitués, atmosphère à la KING DIAMOND/STRAPPING YOUNG LAD pour une démonstration de Death opératique et technique tout simplement époustouflante.
Et si la reprise transfigurée des CURE ne constitue qu’un intermède plaisant et presque ludique, le reste des compositions flirte avec la perfection, même si trois d’entre elles ont été laissées sur le carreau. Nous sommes donc face à six chansons inédites, dont une éponyme qui une fois encore taquine le fantôme de NEVERMORE, mais aussi une sublime power-ballad plaçant l’émotion au-dessus de tout, et nous tirant une larme de son aura SISTERS OF MERCY, enfonçant encore plus ce dernier salut de studio dans les ténèbres du manque et de la solitude personnelle. Oui, Warrel DANE nous manque comme Johnny Hallyday vous manque, mais laissez-nous partager notre tristesse entre une poignée d’initiés, sans transformer cette mort en symbole de foire qu’elle n‘est pas. Avec Shadow Work, l’artiste tire sa révérence en mode sombre, mais garde proportion humaine, nous rappelant quel musicien extraordinaire et visionnaire il fut. Le paradis a des allures d’enfer parfois pour ceux qui restent…
Titres de l'album :
01. Ethereal Blessing
02. Madame Satan
03. Disconnection System
04. As Fast As The Others
05. Shadow Work
06. The Hanging Garden (THE CURE cover)
07. Rain
08. Mother Is The Word For God
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