Shame Is Just a Word

Svarttjern

17/01/2020

Soulseller Records

Avec dix-sept ans d’existence au compteur, on peut commencer à s’asseoir sur une réputation bien établie. Jouer la sécurité, contenter les fans avec régularité, leur donner leur pitance sans chercher à savoir si un goût différent leur plairait. Ou pas. Ou se remettre en cause, jouer la versatilité, oser, se montrer culotté, et diverger grave sans perdre de vue les fondements. C’est un peu le cas des norvégiens de SVARTTJERN qui en dix-sept ans de carrière ont montré bien des visages. Après trois démos disséminées entre 2004 et 2008, le groupe d’Oslo a gravé pour la postérité et sans discontinuer quatre longue-durée, de Misanthropic Path of Madness en 2009 jusqu’au plus récent Dødsskrik il y a quatre ans, et à chaque fois, boum, la surprise, l’imprévu, l’accident, la divergence. On ne peut donc accuser ces musiciens de statisme ou d’ascétisme artistique, puisque chacune de leur sortie à surpris, décontenancé, un peu perdu, mais à chaque fois retrouvé. Les proverbiaux petits bouts de pain semés sur le chemin sont à mettre en lien avec leur talent surnaturel pour s’approprier des genres, des nuances, des fragrances. Et quatre ans après leur dernier effort, le fan de se demander à quelle sauce il va être sacrifié sur l’autel de l’anti-routine. La réponse est assez simple, et intervient quelques secondes après le début de « Prince of Disgust ». 2020 sera Black n’Roll, 2020 sera Thrash n’Black, mais 2020 sera toujours aussi méchante et professionnelle. Et c’est certainement cette complétude qui rend les norvégiens si différents, et uniques en leur genre. Black n’Roll, je déteste ce mot comme nombre d’entre vous, pour une simple raison. Il sert d’alibi, comme le Punk il y a quarante ans pour se contenter du minimum, d’un recyclage de riffs déjà périmés, et excuse dans le principe un son ignoble peinant à cacher un niveau musical médiocre. Mais le Black n’Roll, comme tout autre style, lorsqu’il est pratiqué par des instrumentistes capables et vraiment investis, peut être jouissif. Et puis pour être franc, Shame Is Just a Word n’est pas QUE du Black n’Roll. Il est aussi du Black norvégien dans toute la splendeur de ses nineties.

Qu’attendre d’autre que l’excellence de la part d’un groupe constitué de membres de CARPATHIAN FOREST, de MAGISTER TEMPLI, de VULTURE LORD et d’ex-RAGNAROK ? Une musique pleine et riche, basée sur un background solide, et une connaissance accrue du vocabulaire extrême. Avec ce cinquième effort studio, SVARTTJERN se replonge dans ses racines, et évoque le bon vieux temps des messes noires célébrées sous la lune un soir d’hiver, et attaque son propre patrimoine. Avec une nuance, et de taille. En y insufflant une passion soudaine pour le Thrash des années 80, remis au goût d’un jour sans espoir, mais constellé de thèmes accrocheurs et d’idées porteuses. Le premier indice qui nous mène sur cette piste est évidemment cette reprise totalement incongrue d’EXODUS, « Bonded by Blood ». Mais pourquoi pas, ce titre fut en quelque sorte la première vraie incursion du diable dans le Thrash, avec la voix de dément possédé de Paul Baloff, signant un pacte avec le malin pour transformer ses cordes vocales en haut-parleur du malin. Plaisir anecdotique sur ce nouvel album, cette cover en dit pourtant long sur la volonté des cinq norvégiens (HansFyrste - chant, HaaN & Fjellnord - guitares, Grimdun - batterie, Malphas - basse) de se rapprocher de leurs racines. Car au lieu de transposer cet incunable dans un vocabulaire Black, SVARTTJERN le reprend tel quel, sur le même tempo, en respectant le riff à la croche, à tel point qu’on a le sentiment d’écouter l’original avec feu Quorthon au chant. Délicieuse sensation de réaliser que les enfants du Thrash boom de 84/85 en admirent encore les effets, spécialement au sein d’un contexte aussi brutal. Et croyez-moi, SVARTTJERN qui s’offre une telle reprise, c’est autre chose que CRADLE OF FILTH qui s’amuse avec MAIDEN. C’est…crédible.

Sans avoir besoin de rabaisser les voisins pour mettre en valeur son propre jardin, Shame Is Just a Word est monument d’humilité avec des ambitions majeures. Transposer le son des années 80 dans un contexte Black nineties, tout en acceptant les impératifs actuels de perfection de production. Sous cet aspect-là des choses, ce cinquième tome frise sans-faute absolu. Car chaque secteur de jeu, chaque humeur est imperfectible, et le son, gigantesque et clair, prend aux oreilles comme le cri d’un enfant sacrifié. Le parangon, aussi bizarre que cela puisse être, en est le final, ce « Shame Is Just a Word » catchy en diable. Avec des influences qui n’ont pas vraiment changé depuis les débuts, et une propension à séduire les fans de RAGNAROK et DARKTHRONE, les norvégiens signent le manifeste le plus décomplexé de leur carrière, qui ose le résumé exhaustif et sans reproche possible, cette furie dantesque qu’est « Ment til å Tjene ». En moins de cinq minutes, le groupe cite BATHORY, DARKTHRONE, le Punk, le BM le plus rudimentaire des débuts, et s’offre un burner de luxe qui va faire un carnage en live. Du BM efficace, populaire, mais pas vulgaire, puisque la technique des musiciens leur permet d’éviter le populisme de licks trop putassiers. C’est évidemment connu, reconnu, mais la méthode prend ici une ampleur inédite, comme si les 1349 découvraient le patrimoine de DISCHARGE entre deux colères noires. Puissant mais mélodique, séduisant mais repoussant, telles sont les dualités offertes par Shame Is Just a Word, sur lequel le quintet ne se refuse rien, de la majesté viking de BATHORY à l’emphase d’IMMORTAL (« Melodies of Lust »), au rouleau compresseur mid tempo de « Ta dets Drakt ». Toutes les allusions, toutes les citations, tous les clins d’œil sont assumés, et sublimés. Si le Black a toujours été la musique la plus laide, elle sait parfois se faire plus roublarde et multiplier les œillades sales et lubriques.

Sincèrement, et après de multiples écoutes, je pourrais presque affirmer que ce nouveau tome des aventures de SVARTTJERN est le premier grand album de BM de cette nouvelle année. Rien ne dépasse, rien n’est en trop, mais rien ne manque non plus. Les riffs sont hypnotiques, allusifs (le ton VOÏVOD de « Frost Embalmed Abyss » confronté à la rigueur hivernale des pères fondateurs norvégiens), les accointances assumées et acceptées (« Ravish Me », un tube Thrash remis au goût d’une nuit Black). En somme, plus qu’une énième surprise de la part des déments d’Oslo, ce Shame Is Just a Word prouve que la décontraction et le naturel sont les paravents les plus efficaces à une honte éventuelle. Mais quelle honte y-a-t-il à se faire plaisir, quand ce plaisir personnel devient une satisfaction collective ?        

            

Titres de l’album :

                        01. Prince of Disgust

                        02. Ment til å Tjene

                        03. Melodies of Lust

                        04. Ta dets Drakt

                        05. Frost Embalmed Abyss

                        06. Ravish Me

                        07. Bonded by Blood

                        08. Shame Is Just a Word

Facebook officiel


par mortne2001 le 17/05/2020 à 14:13
88 %    1114

Commentaires (1) | Ajouter un commentaire


LeMoustre
@93.4.16.166
18/05/2020, 09:01:55
Eh ben voilà qui donne envie. Bon, m'en vais écouter ces extraits, ce papier donne furieusement envie de débourser quelques euros, en tous cas. Merci.

Ajouter un commentaire


Derniers articles

Antropofago + Dismo + Markarth

RBD 16/01/2025

Live Report

Sélection Metalnews 2024 !

Jus de cadavre 01/01/2025

Interview

Voyage au centre de la scène : MONOLITHE

Jus de cadavre 15/12/2024

Vidéos

Corentin Charbonnier : l'anthropologue du Metal

mortne2001 09/12/2024

Interview

CARCARIASS + Guests

Simony 06/12/2024

Live Report

FALLING IN REVERSE + HOLLYWOOD UNDEAD

Chief Rebel Angel 06/12/2024

Live Report

Lezard'Os Metal Fest 2024

Simony 02/12/2024

Live Report

Voyage au centre de la scène : STILLE VOLK

Jus de cadavre 01/12/2024

Vidéos
Concerts à 7 jours
Tags
Photos stream
Derniers commentaires
Chazz

Haaaa le Rock est tout sauf négociable !! Merci pour cette belle critique.Chazz (2Sisters)

17/01/2025, 22:44

Bill BAroud

Non putain ça fait chier ! Je m'en fout de revoir Rob derrière le micro de mon groupe préféré d'amour !

17/01/2025, 17:03

Humungus

Le coup de la goutte de résine, ça va me faire la soirée...

17/01/2025, 16:52

senior canardo

2 sisters 1 cup ! haha joli pochette

17/01/2025, 10:02

Seb

J'ai cru comprendre que Zetro se retirait pour problème de santé.J'espère que ça ira pour lui.En tout cas avec Dukes sur scène, ça va envoyer le pâte.

16/01/2025, 18:21

MorbidOM

Super nouvelle pour moi, le chant de Zetro m'est difficilement supportable. Celui de Dukes n'a rien d'extraordinaire mais il colle assez bien à la musique et le gars assure sur scène. 

16/01/2025, 12:15

Jus de cadavre

Eh beh... Étonné par ce changement de line-up. Vu comment Exo était en forme sur scène ces dernières années avec Souza ! Mais bon, Dukes (re)tiendra la barque sans soucis aussi.

16/01/2025, 10:22

Simony

Merci Styx je transmets à notre expert informatique.

15/01/2025, 15:53

Simony

Merci Styx je transmets à notre expert informatique.

15/01/2025, 15:53

Styx

Super. L'album devrait être à la hauteur. Beaucoup de superbes sorties sont à venir ce 1er semestre 2025. P.S. : le site metalnews devrait passer en mode https (internet & connexion sécurisé(e)s) car certains navigateurs le reconnaisent comme(...)

15/01/2025, 12:58

Incroyable album

Je viens de tomber dessus, grosse baffe dans la gueule, et c'est français en plus!Un disque à réécouter plusieurs fois car très riche, j'ai hâte de pouvoir les voir en concert en espérant une tournée pour cet album assez incr(...)

14/01/2025, 09:27

Humungus

Qui a dit que l'on n'était jamais content ?!

13/01/2025, 08:36

Humungus

Capsf1team + 1.Je dirai même plus : Mettre cela directement sur la bandeau vertical de droite qui propose toutes les chroniques. En gros faire comme pour les news quoi : Nom du groupe, titre de l'album et entre parenthèse style + nationalité.

13/01/2025, 08:36

Capsf1team

Oui en effet dans les news on voit bien les étiquettes, mais sur la page chronique on a juste la première ligne de la chro, peut-être que ce serait intéressant de le mettre dans l'en-tête. 

13/01/2025, 07:59

Simony

Capsf1team : tu voudrais que l'on indique cela où exactement ? Dans l'entête des chroniques ? En début de chronique ?Aujourd'hui le style apparait dans les étiquettes que l'on met aux articles, mais peut-être que ça ne se voit pas d&(...)

12/01/2025, 17:38

Humungus

Poh poh poh poh... ... ...Tout le monde ici à l'habitude de te remercier pour la somme de taf fournie mortne2001, mais là... Là, on peut dire que tu t'es surpassé.Improbable cette énumération.Et le pire, c'est qu'a(...)

12/01/2025, 14:27

Benstard

Litany la claque a l'époque. Ce son de grosse caisse du futur.

11/01/2025, 13:35

Buck Dancer

Jus de cadavre, putain mais merci pour la découverte Pneuma Hagion. C'est excellent! Du death qui t'envoie direct brûler en enfer.

11/01/2025, 12:16

Capsf1team

Merci pour tout le travail accompli et ce top fort plaisant à lire tous les ans. Moi aussi je vieilli et impossible de suivre le raz de marée des nouvelles sorties quotidiennes... Suggestion peut-être à propos des chroniques, est-ce que l'on ne pourrait pas indique(...)

10/01/2025, 09:12

RBD

J'aurais pu citer les Brodequin et Benighted que j'avais bien remarqués en début d'année, aussi, mais il faut choisir... Quant au Falling in Reverse, cette pochette ressemble trop à une vieille photo de J-J Goldman dans les années 80, je ne peux p(...)

09/01/2025, 19:49