J’ai découvert les TENGIL il y a trois ans maintenant, via leur premier long ou énième EP Six, qui m’avait durablement impressionné. A tel point que je l’écoute encore régulièrement aujourd’hui, et que j’en ai même par erreur acheté deux copies…J’avais cru y voir un certain avenir pour le Post Metal qui me semblait tourner en rond, tout en admettant qu’ils n’en jouaient pas vraiment. Mais ce qui m’avait frappé dans leur musique, c’était cette dualité qui tendait à rendre nostalgiques les passages les plus crus, et agressives les impulsions les plus éthérées. Il me semblait que le quatuor était parvenu à trouver un équilibre entre la quiétude et la colère, bien plus facilement que certains de leurs collègues qui hésitaient encore entre les deux voies. Mais j’y avais aussi décelé de l’audace instrumentale, et beaucoup de courage de composition, une interprétation libre mais répondant à des critères très stricts, et plus simplement, une musique aussi belle qu’elle n’était terrifiante. Sans vraiment me demander à l’époque de quoi leur avenir serait fait, j’étais curieux de découvrir de quelle façon ils allaient négocier leur futur, sans savoir qu’il me faudrait attendre trois années pour avoir un semblant de réponse. Celle que prodigue Shouldhavebeens, qui thématiquement, m’a rappelé le All That Could Have Been de NINE INCH NAILS, ou le « What Might Have Been » de Jimmy Nail. Une histoire qui reste sciemment vague, et qui évoque le parcours de deux amis, durant trois Saint-Sylvestre, dont une qui va durer toute la vie…Peu de protagonistes, un scénario pas vraiment clair, pour une direction artistique qui reprend les choses là où Six les avaient laissées, traçant une nouvelle voie tout sauf diplomatique qui va encore surprendre pas mal de monde, et probablement les laisser sans mots et sans voix…
Il n’est pas facile de décrire la musique du quatuor suédois (Sakarias - chant, bruits, Pontus - guitare, bruit, Kalle - basse, bruit et Tobias - batterie), puisqu’elle se fait un malin plaisir de dévier, de sinuer, et de rappeler que le Post Hardcore et le Blackgaze, genres si décriés peuvent parfois s’unir pour créer une nouvelle option, de bruit et de fureur, mais aussi de quiétude et de splendeur. Encore une fois dissimulé sous une pochette de toute beauté, Shouldhavebeens utilise l’art du contrepoint et du contrepied, en poussant l’alternance à un climax qui laisse admiratif. Et il n’est pas facile non plus d’appréhender cette nouvelle œuvre par son entame, qui joue justement du paroxysme de différence entre l’harmonie et la violence, en juxtaposant une contemplation sur un faux rythme accéléré parfaitement incongru, qui dérangera sans doute le plus grand dénominateur commun. « I Dreamt I Was Old » suggère une alliance parfaitement improbable entre Thrash Industriel à la LARD et Post Hardcore à la DEFTONES, tout en multipliant les clins d’œil aux THE OLD DEAD TREE. Une batterie qui pilonne sans relâche, au point de se prendre pour une boîte à rythme ayant tourné fou, et qui supporte un chant pur comme des volutes grégoriennes dans une église abandonnée. Des guitares qui égrènent des arpèges, et qui nous traînent aux pieds d’une distorsion excessive qui semble vouloir noyer l’espace vital. Quelques silences, des arrêts impromptus, et toujours cette voix, à la limite de l’envolée et de la cassure qui nous relie aux nuages pour nous emporter dans un ciel chargé et perturbé. Entrée en matière volontairement en trompe l’œil, « « I Dreamt I Was Old » n’est qu’une intro parmi tant d’autres, et pourtant, déjà une acmé. Difficile de croire que le pic de créativité est atteint dès l’ouverture, et pourtant, il en incarne une possibilité. Sauf que comme d’habitude dans le cas des TENGIL, ce morceau n’est qu’une étape, un leurre, qui renvoie toutefois le très classique « A Box » de Six dans les cordes des prologues classiques, un peu trop même. C’était d’ailleurs le talon d’Achille de la précédente réalisation, cette façon d’entamer les débats de façon un peu trop simple et directe. Cette fois-ci, les suédois ont compris la leçon, et nous font perdre nos repères immédiatement, trop pressés sans doute d’en découdre et de planter un décor mouvant…Mais avec un final qui envahit, et qui reprend les rênes de la logique, tout semble possible…Et l’est, par extension.
Sept morceaux, dont un qui ne compte pas vraiment, et trois qui s’étalent dans le temps, histoire de nous offrir un scénario qui prend le sien. Nous ne saurons pas grand-chose de ces deux amis, ni des Saint-Sylvestre qu’ils ont passées ensemble, mais nous saurons par contre que les suédois ont encore peaufiné leur art. D’ailleurs, une certaine apothéose nous en est offerte sur le progressif et quasiment mystique « And the Best Was yet to Come », qui semble vouloir transposer le U2 de Joshua Tree loin de l’Amérique, du côté de Borås, où les nuits sont longues et le désert, de solitude. Ce sont d’ailleurs les thèmes abordés sur ce nouvel EP/LP, la nostalgie, la solitude, la maladie mentale, la décadence, la promesse d’autres lendemains, et comment notre vision de l’avenir détermine ce que nous allons devenir. Une façon pessimiste de voir la vie qui vient, et une lucidité qui fait accepter le passé comme solde de tout compte et de point de départ d’années qui en découlent directement ? C’est l’une des options privilégiées par le quatuor, qui une fois encore, atteint des sommets dans la violence et des ailleurs dans le silence. Combinant ce que le Post Hardcore et le Blackgaze peuvent produire de plus dur et assourdissant, et ce que le Post Metal peut offrir de plus apaisant, sans trop sauter du coq à l’âne, TENGIL reste unique et louvoie ente musique sacrée pour profanes, et distorsion de profanes pour initiés. On croit même parfois déceler des traces de Dream Pop, de Rock lyrique et emphatique, mais tout ça garde dimension humaine, comme un poème lu à l’être aimé que personne d’autre n’entendra jamais. Pour souligner les thèmes, le quatuor n’hésite d’ailleurs pas à se frotter à l’Ambient bruitiste (« With A Song For Dead Darlings »), ou à l’intermède fugace et inexistant (« A Lifetime Of White Noise », dix secondes de silence), ne choisissant jamais la facilité, mais évitant aussi la trop grande complexité.
Et autant dire que la voix incroyable de Sakarias (dont le nom émerge de toutes les compositions) a encore muri, que l’homme maîtrise de mieux en mieux ses possibilités lyriques, et que ses envolées dans les aigus rappellent autant Matthew Bellamy que Manuel Munoz. Et que du coup, ses capacités permettent à la musique de s’évader dans une tentative Post Opératique (« It’s All For Springtime »), ou au contraire, de rattacher le ciel à la terre dans un talk-over narratif qui ose les mots parlés sur tapis instrumental onirique de toute beauté (« All For Your Myth », sublime de pureté). Ce qui n’empêche nullement le groupe de prendre une porte de sortie invisible, en nous laissant seuls avec un faux Post Rock déchainé et vraiment accrocheur (« In Murmur », rythmique faussement simple, guitare qui tisse des murs de violence, pour un capharnaüm final aux aspirations plus classiques), avant une fois encore de se murer dans le silence.
Je ne sais pas si Shouldhavebeens hantera mes nuits comme Six avait embelli mes jours, mais il a toutes les chances de représenter une autre possibilité pour les suédois qui échappent une fois encore à toutes les étiquettes. Deux amis, trois Saint-Sylvestre, dont un éternel. Quatre suédois, un public, trois années dont une qui semblera trop courte. Des histoires qui se croisent, se ressemblent mais ne sont pas les mêmes.
Titres de l'album:
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