Le premier indice est de taille. Kristin Hayter est passée de Profound Lore à Sargent House, et cet indice n’est pas anodin. Si ses premiers albums avaient secoué la planète Metal de leurs accents de violence très prononcés, il faut s’attendre cette fois-ci à quelque chose de différent, mais pas moins intense pour autant. D’ailleurs, l’artiste nous prévient en amont, avant même que nous n’ayons pu poser nos oreilles sur son œuvre : les pêcheurs, soyez prêts. Et nous sommes tous des pêcheurs dans ce monde, que nous le voulions ou non. Nous mentons, nous volons, nous trompons, nous tuons, nous détruisons, et aucune sentence ne saurait être trop sévère pour nous ramener à notre condition anecdotique d’occupant d’un monde que nous ne méritons pas. Le monde de Kristin est rempli de ressentiment, de fureur, de haine viscérale contre l’injustice de la loi qui place les hommes au-dessus de tout, et qui excuse leurs comportements les plus ignobles. Mais une fois encore, Kristin via son médium LINGUA IGNOTA ne se contente pas de ressasser de vieux souvenirs, et enrichit sa musique, utilise l’instrumentation de son environnement, et glace les sangs, peut-être encore plus que par le passé.
Inutile de le cacher de la même façon, plus le temps passe, et plus Kristin s’incarne comme la Diamanda GALAS moderne, celle qui nous terrorisait au début de sa carrière de son obsession pour le sida et le jugement divin. On en prend acte sur le tétanisant « I Who Bend The Tall Grasses » et son orgue d’église funèbre qui annonce le jugement dernier, et sur lequel la chanteuse crache ses tripes et son amertume dans un micro qui n’a sans doute pas résisté à l’exercice. Le mimétisme est à ce point troublant, qu’on s’attend à voir sur son écran le visage émacié et les yeux noirs de Diamanda percer notre âme, mais loin d’un pur plagiat, il convient de voir en ce titre le même exutoire musical pour deux artistes aux univers parallèles.
Et le choc est gigantesque, et frontal.
Sinner Get Ready pourrait être le The Divine Punishment de notre nouveau siècle, annonciateur de fléaux, de punitions, d’actes de contrition et autres agenouillements devant le destin, et un Dieu fatigué de devoir pardonner. Il l’est d’ailleurs d’une certaine façon, les deux albums partageant le même sens d’instrumentation, la même façon de doubler les voix comme une âme tourmentée par les erreurs (« Many Hands », qui n’est autre que l’écho de « This Is The Law Of The Plague »). Tout en restant musicale, tout en offrant parfois des moments de grâce pure tout autant influencés par la Country la plus introspective que par le Gospel le plus pur, qui lui permet de développer son art vocal proche d’une Tori Amos (« Pennsylvania Furnace »), Kristin s’enfonce de plus en plus dans ses névroses, et ne semble pas apaisée. Elle affronte ses démons d’album en album, et a la générosité de nous faire partager son parcours, émaillé de cris, de petits moments de joie, et d’une longue route à faire pour attendre la paix intérieure, qui n’est pas forcément incompatible avec le chaos développé sur cet album.
Pour le grand public, d’aussi loin qu’il soit concerné, Sinner Get Ready semble plus abordable, pour la simple et bonne raison que la culture de son environnement a joué un grand rôle dans sa composition. Ainsi, les Appalaches trouvent ici leur bande-son la plus personnelle, dans ces textures de voix et cette orchestration de guingois (« Repent Now Confess Now », Tom Waits rencontrant une ancienne tribu et leur composant un chant d’apaisement à mille voix), dans ces instruments qui répondent au piano sentencieux et aux voix une fois encore mélangées comme des prières anciennes (« The Sacred Linament Of Judgment »). Une description fidèle d’un lieu de vie, une autre façon d’agencer sa pensée et d’exprimer ses sentiments, avec une multitude d’arrangements qui n’évitent pas à la chanteuse/compositrice de s’exposer à nu, peut-être encore plus que sur Caligula, encore un peu trop drapé dans l’horreur.
L’apaisement global ne doit surtout pas cacher que Kristin tire à vue sur tous les ennemis. Entre ce prédicateur s’excusant publiquement d’avoir pêché avec une prostituée de Babylone, et cette réfractaire vaccinale qui argue du sang du Christ répandu sur tout son corps, Kristin fustige l’hypocrisie des bigots, le vol caractérisé du catholicisme sur les âmes, et l’endoctrinement du libre arbitre sous couvert d’une vie éternelle qu’on nous survend depuis le concile de Nicée.
Mais Dieu n’existe que dans le cœur des hommes qui veulent qu’une force supérieure les guide, et Jésus n’est pas mort pour les pêchés de Kristin, qu’elle n’a pas commis d’ailleurs. A l’image d’une Patti Smith, d’une Anna von Hausswolff, elle broie la poésie dans la violence, et si l’ombre de Trent Reznor plane sur le trip piano/voix/samples de « Perpetual Flame Of Centralia », il est aussi possible d’y voir du Johnny Cash, et tous ces artistes qui ont chanté le renoncement, la vérité, et l’authenticité des sentiments sans passer par des formules faciles.
Lumineux dans les ténèbres. Voici peu ou prou la qualification d’un album qui dénote déjà dans le parcours de Kristin/LINGUA IGNOTA. Car si Sinner Get Ready débute comme la malédiction finale d’une humanité enfin prête à disparaître dans le chaos et les flammes, il continue sa route en prônant des valeurs de vie et de communication. « Man Is Like A Spring Flower » est sans doute ce que l’artiste de Chicago a produit de plus pur et harmonieux, et même le final cotonneux et embrumé de « The Solitary Brethren Of Ephrata » sonne comme la libération d’une âme en proie aux affres du doute.
Kristin/LINGUA IGNOTA doutera certainement toute sa vie, mais sa musique atteint quant à elle une maturité étonnante, et une virtuosité contextuelle tout simplement inédite pour un non-style aussi risqué. Dans un registre allant du Dark Folk le plus ténébreux au Gospel le plus radieux, Sinner Get Ready juge, condamne, mais n’exécute pas. Et finalement, le paradis est peut-être déjà sur terre, dans ces petits détails qu’on ne remarque que lorsqu’on a perdu tout espoir.
Titres de l’album:
1. The Order Of Spiritual Virgins
2. I Who Bend The Tall Grasses
3. Many Hands
4. Pennsylvania Furnace
5. Repent Now Confess Now
6. The Sacred Linament Of Judgment
7. Perpetual Flame Of Centralia
8. Man Is Like A Spring Flower
9. The Solitary Brethren Of Ephrata
Très belle chronique.
Le précédent m'avait... secoué ! Quasi impossible à écouter en entier tellement c’était intense et fatiguant, tellement c'était les tripes qui causaient. Mais la curiosité va me pousser à tenter celui-ci pourtant !
Découverte en live il y a deux ans, la forte impression laissée donnait des espoirs pour la suite :
http://www.metalnews.fr/livereports/author-punisher-lingua-ignota-hag
Selon ces extraits on irait vers une musique toujours à fleur de peau mais moins écorchée, les blessures semblent sublimées par un sentiment de révolte froide tout à fait élégant. La comparaison avec Diamanda Galas est encore plus évidente, bien que Kristin aie clairement sa propre personnalité. Cela sent la confirmation.
Une sous Diamanda Galas, dont on ne peut que saluer le talent, non sans regretter une idéologie féministe exacerbé littéralement hors des réalités.
C'est mignon, mais quand on à vécu l'émergence de certains, certaines artistes en fin 80 / 90, ca laisse grave de marbre.
Mention spécial pour cette chronique, dont la justesse d'écriture, et ternie par une note globale bien trop élevé
(les ref sont bonne ceci dit)
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