Pensant avoir affaire à un groupe de Rock progressif, voire de Metal progressif, je me suis fourvoyé quant aux intentions de TETRACTYS, qui s’il est bien progressif, s’ancre plutôt dans un extrême teinté de Death. Mais le Death progressif, lorsqu’il se veut plus efficace et émotionnel que démonstratif s’avère aussi riche que ses homologues plus pondérés, ce qui est le cas de ce groupe pas vraiment sorti de nulle part. Fondé en 2014 par le guitariste Hector Bravo, TETRACTYS est donc le fruit de la collaboration de ce musicien chilien et de collègues de même nationalité vivant en Europe. Un projet assez particulier dans les faits, qui depuis sa création a fait fi de la distance pour produire une œuvre riche, qui comptait à ce jour deux longue-durée. From Darkness to Sublime, sorti en 2016 et A Mysterious Place On Sight en 2018 ont donc jeté les bases d’une approche complexe et plurielle, qui si elle s’abreuve à la fontaine d’un Death Metal plein et brutal, ne rechigne pas à boire des eaux plus douces, mélodiques, et subtiles en bouche. Et au moment de proposer son très attendu troisième album, le quatuor a donc décidé de continuer sur la même lancée, tout en accentuant ses côtés les plus accessibles, sans trahir sa violence d’origine. Farouchement indépendant, le collectif n’a donc d’autre support que le sien, et publie ses œuvres à compte d’auteur. Ce qui ne signifie aucunement que l’art développé sur ses albums est bradé par un son de démo, la production de Solstice étant tout à fait professionnelle et compétitive. Nous pouvons donc apprécier pleinement les dédales rythmiques et harmoniques de ces six morceaux, qui tout en conservant leur unité, ont tous une personnalité propre. Des morceaux certes longs, mais pas longuets, qui reposent toujours sur un fil conducteur décomposé en une kyrielle de petits plans séparés.
La force du groupe ? Ce côté versatile renforcé d’un flair certain pour les agencements évolutifs, et surtout, un énorme travail de guitare qui met en avant la singularité. Certes, le tout est quand même assez conventionnel dans son culot, les avancées ne se perdant pas dans le labyrinthe de l’imagination, mais les longs passages instrumentaux ont ce caractère hypnotique qui les affilie aux meilleurs représentants du genre. Difficile toutefois de comparer les chiliens à des concurrents éventuels, leur musique paraissant dater des années 70, et avoir été traduite dans un langage plus contemporain. On peut évidemment penser aux débuts d’OPETH, avec un caractère moins virulent et des tendances plus enjouées, ce qu’on remarque surtout sur « Stones of Baalbek » à la dualité vocale rappelant aussi la magie de CYNIC. Mais la mayonnaise prend, grâce à des talents individuels notables, et un collectif soudé, une rythmique percussive et inventive et des riffs qui s’amoncèlent sans faire un gros tas inextricable. Les accroches sont mémorisables, les acrobaties rythmiques éparses mais bien concrètes, et c’est surtout l’ambiance qui passionne, cette ambiance un peu embrumée et cotonneuse, qui fonctionne un peu comme un métronome bancal, nous plongeant dans un rêve musical parallèle à la croisée des époques. Les trouvailles sont bien senties, le chant solide et sans artifices d’effets, et les tourbillons de mélodies créent un vortex sensoriel en forme de tunnel de genres fondus les uns dans les autres. Si les growls permettent de relier le tout à un Death progressif humble mais crédible, la majorité des idées semblent plutôt s’échapper de tout carcan pour proposer un mélange de Heavy Metal, de Rock, d’extrême mesurée, pour ne pas être catalogué trop facilement.
Décomposé en six mouvements, dont cinq plutôt longs, Solstice est donc une œuvre qui déroule sa richesse au fur et à mesure des écoutes. Le premier niveau révèle un groupe méchamment en place et agressif, comme en témoigne l’intro massive de « Quantic Link », dense et tendue, le second met la lumière sur des capacités de composition manifestes. Il faut en effet du temps pour décomposer les plans des chiliens qui font appel à plusieurs styles pour parvenir à leurs fins, utilisant les possibilités du silence parfois pour mieux imposer le chaos, et il n’est pas rare de penser à plusieurs groupes complètement différents en écoutant la même chanson. Ainsi, ce même « Quantic Link » propose une fusion intéressante entre les DEFTONES, TOOL, WASTEFALL, sans copier l’un ou l’autre, mais en adoptant des postures croisées. Technique sans être démonstrative, la musique de TETRACTYS est donc la plus intelligente, associant des compétences instrumentales et une logique de sensibilité, les plans les plus abscons n’étant jamais gratuits. On s’immerge donc dans cet océan de sons avec délice, les courants caressant le chaud et le froid, parfois en quelques secondes (l’opposition entre le chant éthéré de « Wings of Fire » et sa rythmique aux breaks agressifs), appréciant au passage le travail énorme fourni par une basse volubile qui offre un contrepoint parfaitement équilibré aux nombreux soli. Quelques breaks Jazz, des déconstructions Prog-Rock sublimes, pour des accalmies qu’on déguste du bout des tympans, et la révélation d’un immense talent et d’une culture étendue du sujet. Sans abuser d’effets ou autres arrangements fourre-tout, les chiliens enrichissent leurs compositions avec leur seule imagination, proposant parfois des inserts planant symptomatiques des seventies.
Innovant jusqu’au bout, le quatuor ose une sortie totalement hors-contexte, dissonante, lente et étrange avec ses nappes de notes en volutes fantômes, et « Atacama » de laisser une impression bizarre, comme si la porte d’une autre dimension avait bien été franchie. Vous l’aurez compris, sans révolutionner le genre, Solstice l’honore avec ses morceaux évolutifs, remplis de trouvailles impeccables, et mérite une attention particulière et en tout cas, de nombreuses écoutes pour se révéler à son plein potentiel.
Titres de l’album :
01. Dunes
02. Wake
03. Stones of Baalbek
04. Quantic Link
05. Wings of Fire
06. Atacama
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