Songs for the Enamel Queen

Black Sheep Wall

26/02/2021

Silent Pendulum Records

« I am

The failure that feeds you

But the biggest mistake I could make

Was trusting the shithead that was me. »

Ces quelques vers permettent de prendre la mesure de tout l’enthousiasme qui se dégage du quatrième album des américains de BLACK SHEEP WALL. Avec Songs for the Enamel Queen, le quintet (Brandon Gillichbauer - chant, Andrew Hulle - guitare, Scott Turner - guitare, Juan Hernandez Cruz - basse et Jackson Thompson - batterie) rompt avec six années de silence, ces six années nous séparant de leur troisième longue-durée I'm Going to Kill Myself, qui n’était déjà guère une ode à la vie et à l’espoir. Dire que retrouver les californiens est un plaisir serait d’une dichotomie assez éprouvante. Leur musique en appelant à la souffrance et au désespoir, les croiser de nouveau sur notre chemin ne peut pas être un plaisir, ou alors un plaisir masochiste, celui qui résulte d’une prise de conscience que personne ne veut affronter, un constat inéluctable : la vie est une salope qui prend à malin plaisir à vous briser le cœur et les reins. Mais si conceptuellement, le comeback du quintet est une épreuve de plus à passer pour le chroniqueur et le public, artistiquement, l’affaire est beaucoup plus saine et nous laisse saufs. Encore une fois, les cinq musiciens sont allés piocher du côté des recoins les plus sombres de l’humanité de quoi tenir le cap de leur insistance, et ce quatrième album à des allures de résumé d’une démarche certes nihiliste, mais assez lucide pour que l’on s’y accroche.

BLACK SHEEP WALL a beaucoup d’équivalents sur la scène qu’il arpente, et reste pourtant farouchement indépendant et unique. En se sevrant d’influences Sludge et Post Hardcore, le groupe permet encore une fois de tisser des liens entre les psychopathes de PRIMITIVE MAN et les chamans de NEUROSIS, sans pourtant emprunter à leur vocable. Et c’est après un très court insert trompeur que les choses commencent vraiment à mettre mal à l’aise, avec le premier pamphlet « New Measures of Failure ». D’une façon spectaculaire, le groupe ose donc s’essayer au calibrage de la défaite et de l’échec en jouant la musique la plus fertile qui soit. Cette seconde dichotomie en dit long sur l’aspect clair-obscur de cette réalisation, qui n’hésite pas une fois encore à maltraiter la mélodie par la rythmique et le chant, pour nous offrir une symphonie de douleur éprouvante, qui rappelle parfois la quiétude des MONO pour mieux nous assommer d’une accélération à la UNSANE. Et si l’on se plaît à imaginer la bande dans une cave new-yorkaise pour élaborer ses méthodes de tortures, c’est qu’il est assez difficile de croire que tout ça a été conçu sous le soleil de Moorpark en Californie, terre des palmiers et de l’apparence gagnante.     

Losers magnifiques, les BLACK SHEEP WALL trempent dans les affaires louches du Doom, négocient Sludge pour nous proposer le Post-Hardcore le plus pur qui soit sur le marché. Cette première longue composition de treize minutes nous le prouve de ses dissonances, de ses accords harmoniques répétés ad nauseam, et de son tempo versatile, soudainement bloqué dans les tours. Mais Songs for the Enamel Queen n’est justement qu’une accumulation de pensée traduites en musique qui prennent leur temps pour s’insinuer dans notre cerveau, et le contaminer comme un virus. S’ils sont en effet l’échec qui nous nourrit, nous pouvons nous attendre à une disette d’espoir assez sévère, de celles qui mènent sur le chemin du suicide.

Mais Songs for the Enamel Queen n’est pas que lancinance et observation d’un monde exsangue et sans solutions viables. Cet album est aussi un exutoire formidable à cette violence intérieure qui nous malmène jour après jour, comme le démontre avec férocité « Concrete God », l’un des trois morceaux brefs de l’album. D’ailleurs, les cinq musiciens se débarrassent assez rapidement de ces chansons destinées à faire le lien pour nous entraîner dans le labyrinthe d’un triptyque final assez obsédant, et ressemblant de près à l’énigme de Westworld. Qui sommes-nous, pourquoi, comment, et quel est le but de tout ça ? Nous faire voir la vie telle qu’elle est, et nous faire piger que nous ne sommes finalement que des observateurs passifs de la décadence et d’une mise à mort programmée.

Les riffs sont lourds, l’ambiance sèche comme un cadavre en plein désert, et il n’existe aucune échappatoire à ce désespoir inique. Et dès le riff d’intro de « Ren », nerveux comme un dernier spasme, les choses s’enfoncent dans les traumas les plus lourds. Le groupe a toujours cette façon unique de fondre les styles en un seul, le sien, provoquant le Post-Hardcore le plus violent pour l’obliger à assister aux agapes du Sludge le plus nauséeux.

Jackson Thompson multiplie alors les fills pour se déguiser en percussionniste fou, soutenu par l’énorme basse de Juan Hernandez Cruz, tandis que le chant atonal de Brandon Gillichbauer créé le décalage indispensable à cette personnification de la déshumanisation. Les stridences, le feedback sont évidemment des armes traditionnelles, comme ces soudains arpèges doucereux, mais personne n’est dupe : le propos n’est pas d’apaiser, mais de jeter du pétrole sur le feu. Et affronter les trente-cinq minutes finales sans reprendre son souffle serait d’une inconscience rare. On est bien sur tenté de s’enfiler ces trois derniers moreaux comme les cachets restant au fond de la boite pour en finir, mais il vaut mieux les apprécier, et agoniser pour le mieux.

Je ne sais pas si les BLACK SHEEP WALL sont les musiciens les plus néfastes de la scène, et s’ils peuvent se confronter aux figures les plus létales. Ils ont en tout cas les qualités nécessaires pour nous extirper de notre torpeur, et nous obliger à affronter la bête qui sommeille en nous. Le problème est que cette bête a cessé de se battre depuis longtemps, et qu’elle pousse un dernier râle sur « Prayer Sheet for Wound and Nail », avant de se reposer sous l’éternité d’un Post-Rock plus apaisé et contrôlé.


« But the biggest mistake I could make, was trusting the shithead that was me »


Le constat est amer, mais sans appel. Nous sommes nous propres démons.  

                                                                                              

Titres de l’album:

01. Human Shaped Hole

02. New Measures of Failure

03. Concrete God

04. Ballad of a Flawed Animal

05. Ren

06. Mr. Gone

07. Prayer Sheet for Wound and Nail


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par mortne2001 le 04/10/2021 à 14:53
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