Soul of Ruin, Body of Filth

Abjection Ritual

06/04/2018

Malignant Records

Non mais sérieusement les mecs, il se passe quoi en Pennsylvanie ? Je veux dire, la vie est si pourrie que ça ? Parce que si l’on en croit les rapports artistiques adressés par les groupes de l’état, qu’ils viennent de Philadelphie, d’Allentown, de Lancaster, de Greensburg ou d’Erie, le bilan n’est pas des plus brillants…On pensait les new-yorkais et les bostoniens les plus à même de se complaire dans une lassitude et une violence musicales fort à propos, mais finalement, ils n’ont pas à se plaindre visiblement…En témoigne le troisième album des joyeux lurons d’ABJECTION RITUAL, qui avec Soul of Ruin, Body of Filth viennent de franchir un nouveau palier dans la gaieté et l’optimisme primesautier...Certes, et j’en conviens, avec un nom pareil et un titre d’album fleurant aussi bon l’optimisme benoît, il eut été difficile de les prendre pour autre chose que des embaumeurs de sourires ou autres assureurs en rupture de bans de crash boursier. Et c’est exactement l’impression qu’ils nous donnent en choisissant systématiquement la voie la plus sombre et la position la plus recluse, puisque ce troisième longue-durée des originaires d’Erie est un monument de découragement, un nouveau culte de la lassitude, et un mausolée érigé en souvenir d’une envie d’exister autrement qu’à travers le prisme des soucis quotidiens harassants. Nous connaissions déjà ces joyeux drilles, puisqu’ils avaient eu la bonté de partager leurs conceptions par deux fois, mais cette seconde collaboration avec le label de Baltimore Malignant Records les laisse apparaître presque transfigurés, et prompts à accommoder leurs recettes d’une nouvelle instrumentation, apte à transcrire leur vision nihiliste et terminale avec plus de volume sonore. Une nouvelle approche donc, qui s’éloigne du Dark Ambient et de l’Indus électronique bruitiste, pour se rapprocher d’une forme de Néo-Doom très altérée, et assez symptomatique d’un croisement entre la lourdeur du Post Hardcore des NEUROSIS, et de l’oppression des friches industrielles des GODFLESH et autres SWANS des débuts.

Si le tableau vous sied, restez, vous êtes à la bonne place. D’une part, parce que vous évoluez en terrain connu. Et d’autre part, parce que Soul of Ruin, Body of Filth est probablement l’album de Crossover le plus réussi de ce premier semestre. En optant pour le choix très difficile de l’union entre des styles déjà situés aux extrêmes, les ABJECTION RITUAL ont fait le pari de dénaturer les obsessions et les traumas pour les rendre encore plus létaux pour l’organisme. Et le pire, est qu’ils ont relevé le pari avec un brio incroyable, nous présentant une œuvre ambitieuse, aussi organique qu’elle n’est viscérale, mais construite en progression logique et en crescendo comme un film pour les oreilles nous entrainant dans le pire cauchemar qui soit. Celui de l’inéluctabilité de la réalité…Peut-on rêver pire situation que celle d’une existence pathétique menant quoiqu’il arrive à un terme, qui la plupart du temps, est synonyme de maladie et de souffrance ? Grâce à un petit jeu concentrique, les américains prônent la technique du yo-yo, se rapprochant et s’éloignant constamment de leur style d’origine, pour mieux nous perdre de riffs massifs et d’intermèdes Ambient, histoire de bien dessiner le labyrinthe d’un destin qui n’a rien d’une ligne droite en raccourci. Et ça fonctionne, d’autant que les éléments empruntés à droite et à gauche permettent d’effleurer le BM (le chant infâme de « Ruin », le morceau qui ose la jonction entre le NEUROSIS de Enemy of the Sun et le CRADLE OF FILTH de Midian), mais surtout de se positionner en tant qu’ardent défenseur d’une musique maladive, mais libre, qui pourrait s’apparenter à du Post-Hardcore méchamment sanctionné, ou du Post-Indus salement épaissi. En ajoutant des guitares, une basse et une batterie à leur barnum instrumental habituel, les pennsylvaniens nous offrent des redondances, des itérations, mais aussi une densité sonore qui relègue le fameux Filth des SWANS au rang de délicat souvenir d’une nuit d’été. En témoigne « Blood Mother », qui tente le coup du Sludge vraiment pathogène, infectant un organisme auditif en se frottant au Drone le plus assourdissant, mais aussi à l’Ambient le plus alarmant. Bruitages, samples, mais surtout, une incroyable cohésion dans l’agencement des plans, qui tiennent tout autant de dialogues musicaux que de partitions jouées à la blanche près, et qui une fois assemblés forment une symphonie de l’horreur qui fascine tout autant qu’elle ne révulse…

Difficile à imaginer, mais il est certain que l’image la plus probante reste celle d’un NEUROSIS classique, officialisant une liaison discrète avec HALO. Pourtant, on retrouve régulièrement des traces de passé, lorsque le grouillant et déliquescent « Deathbed Conversation » nous illustre une sorte d’extrême onction donnée par un prêtre défroqué, au travers d’une succession de sons tous aussi graves les uns que les autres. Ondulation d’un corps s’abandonnant à la mort tandis que ses dernières paroles s’évanouissent dans l’air, ce morceau permet de relier le présent des ABJECTION RITUAL à leur passé, et ainsi d’assurer une continuité dans le changement sans trop déstabiliser les fans. D’ailleurs, cette pérennisation se complète très bien en écho du phénoménal et grondant « Carnassial Passage », qui lui aussi joue le Harsh, le Noise, le distordu, le hideux et l‘insidieux, en empilant les strates de sons tournoyants et dérangeants sans complaisance. Mais l’expérience et l’évolution (sans parler de métamorphose, ce qui n’est assurément pas le cas) n’auraient pas été complètes sans un final reprenant à son compte la nouvelle formulation, et « Old Sins » de valider une fois pour toutes le melting-pot déjà évoqué. Se traînant d’une lourdeur asphyxiante, ce pavé de plus de neuf minutes et trente secondes ose les dissonances les plus prononcées, le chant le plus exhorté, la rythmique la plus pilonnée, pour une très longue litanie mortifère s’achevant dans un déluge de feedback et de percussions suggérées. Mais en nous laissant sur un ultime coup de rein fatal, Soul of Ruin, Body of Filth évite le parallèle trop prononcé qui aurait pu l’emprisonner dans l’ombre de NEUROSIS, et lâche un ultime pied de nez qui justifie les louanges qu’on pourrait légitiment lui adresser.

Alors oui, je me demande vraiment à quoi ressemble la vie en Pennsylvanie. Mais si son poids est aussi lourd à supporter que les rythmiques de plomb de cet album, si ses soucis transpercent le cœur comme les stridences de ces morceaux, et si son terme est aussi résigné que les plaintes vocales de ces chansons, alors je souhaite ne jamais y mettre les pieds. Et sans incarner l’appel au suicide qu’il n’est pas, Soul of Ruin, Body of Filth n’en reste pas moins un cliché musical de ruines, suintant la pourriture, la solitude et l’abandon.


Titres de l'album:

  1. Lamentations
  2. Body of Filth
  3. Blood Mother
  4. Deathbed Conversion
  5. Ruin
  6. Carnassial Passage
  7. Old Sins

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par mortne2001 le 28/04/2018 à 14:43
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