Il en va des disques comme des relations. On sait certaines difficiles, et des sentiments encore plus ardus à exprimer, sinon, à décrire…
Alors, la plupart du temps, on préfère jeter l’éponge et se contenter de les vivre, du mieux que l’on peut…le premier album des Anglais d’ASHENSPIRE est à l’image de ces relations complexes, il en a les sinuosités tortueuses, le lyrisme désespéré, et les tenants et aboutissants flous comme la vue d’un lendemain qu’on n’anticipe que dans la crainte.
Et pourtant, il est aussi lumineux qu’il n’est obscur. Des guitares, des cordes, des violons, une incarnation vocale théâtrale, une basse des seventies qui dénoue ses mystères devant vous sans que vous ne les compreniez, et pas mal de progressions qui finalement, nous ramènent au point de départ…qui n’existe pas.
Il est plus facile de ranger dans la catégorie faisandée « avant-garde » tout ce qu’on ne comprend pas ou qu’on ne peut pas caser dans une autre rubrique. Mais si un album mérite cette appellation sans prétention, c’est bien ce Speak Not Of The Laudanum Quandary, qu’on a vraiment beaucoup de mal à envisager comme premier effort tant il semble découler de nombreuses années de réflexion.
A la base, une histoire, celle de l’impérialisme Britannique, du comptoir des Indes, d’Horatio Herbert Kitchener, et ce thé pris at 5’O Clock, somewhere, in Dehli maybe…Cet impérialisme raconté par Messrs. Alasdair Dunn, Petri Simonen, Fraser Gordon et James Johnson, qui pour en illustrer le faux romantisme vraiment sanglant ont utilisé des instrumentations hors normes, piochant tour à tour dans le Black Metal, le Metal progressif, le Metal abstrait, et cette fameuse « avant-garde » dont on ne prononce le mot que du bout des lèvres.
Mais on ne peut que respecter un groupe qui en cite d’autres, comme les A FOREST OF STARS, DEVIL DOLL, DØDHEIMSGARD, VULTURE INDUSTRIES ou ALTAR OF PLAGUES pour placer les contours de sa démarche autour des légendes funestes de son propre pays. Mais précisons en amont quelques détails d’importance.
En choisissant un format très long d’une heure complète de musique pour seulement sept morceaux, les ASHENSPIRE ont pris un risque énorme, celui de se répéter à intervalles réguliers, surtout en osant des compositions dépassant en deux occurrences les dix minutes.
L’autre risque était de se fixer sur une éthique mélodique et rythmique, une philosophie d’arrangements, et de ne jamais en dévier, sous aucun prétexte. Et pourtant, aussi itératives et redondantes soient les idées étalées sur ce premier effort, aussi communs en soient les points, l’histoire se suit sans lassitude, malgré des tics d’interprétation qui envahissent l’imagination. A l’instar de ce chant d’Alasdair Dunn, qui n’en est pas un mais habitation d’un corps de théâtre, de spectacle, de bateleur de l’histoire, qui ne module que très rarement les mélodies mais les assomme de ses cris, de ses invectives et de sa phonétique martelée comme des ordres de l’armée.
Aucune gravité ni brutalité, juste des mots déclamés, des phrases parfois hurlées, comme un spectateur du passé qui exhorte ses troupes à faire des choix différents.
Ceux de Speak Not Of The Laudanum Quandary sont assumés, et juxtaposent des riffs en arrière-plan, souvent atones et hivernaux, des cordes subtiles qui de leur fragilité trouent la couche épaisse de ressentiment, une basse gigantesque et libre, des arpèges cristallins, et puis, ces couches de voix qui s’empilent dans les souvenirs…
Dès lors, me revient la tâche ardue de vous expliquer…
Mais vous expliquer quoi au juste ? Dans quelle galaxie évoluent les ASHENSPIRE ? Je serais bien à mal de vous décrire quoi que ce soit puisque je ne la connais pas.
Certes, ils empruntent des éléments de Black, de Post Black, de Pagan, de Folk, d’Indus même parfois, mais aussi d’un Progressif qu’on ne pourrait pas dater même au carbone 14, et puis, si vous voulez vraiment vous faire une idée, il vous suffit d’écouter n’importe quel morceau, tiens, même les suites interminables de « Fever Sheds » qui abuse des ruptures rythmiques tout en restant stable, ou de «Speak Not of the Laudanum Quandary », peut-être une de charges les plus spectaculaires du lot, qui s’accorde d’une incarnation à la Diamanda Galas pour mieux laisser parler un piano d’une pureté absolue…De la subtilité évanescente et pourtant bien concrète, et encore un tapis de cordes sublimes qui l’espace de quelques secondes vous font oublier la crudité d’un chant toujours plus poussé…
Ou aborder le cas du transcendant « Grievous Bodily Harmonies », qui justifie son titre une fois de plus en truffant sa violence larvée de cordes de piano et de violons qui planent au-dessus d’une histoire qu’on ne réécrira pas…Alors oui, les références utilisées par le groupe sont pertinentes, mais transcendées, adaptées à une vision, et à ce moment-là, même le chant se pare d’une tragédie palpable en osant quelques modulations plus musicales…Et ça passe, bien sûr que ça passe…C’est déclamé/chanté d’un ton à la Scott Walker abandonnant sa gravité pour oser un personnage Dark Black impromptu, et puis finalement, tout cède sous les coups d’une ultraviolence aussi imprévisible qu’attendue…Blasts, cassures de tempo, riffs qui accélèrent et cordes qui vitupèrent, pour une approche inédite du Post Black libéré de toutes ses astreintes artistiques.
On pourrait aborder les MY DYING BRIDE par leur versant WORMFOOD, mais la comparaison serait trop restrictive…On pourrait placer le nom de PENSEES NOCTURNES, mais juste pour information…
Mais on peut aussi se délecter d’un intermède comme « A Beggar's Belief », qui en deux minutes valide l’attente suscitée par tout ce qui a précédé…
Mais tout ça n’expliquerait rien non plus…
Speak Not Of The Laudanum Quandary est un écho du passé qui trouve refuge dans un présent qui ne date pas d’aujourd’hui. C’est un album unique, dont la portée ne sera peut-être pas comprise à temps, comme les erreurs de l’histoire dont on paie toujours le prix aujourd’hui.
Un album qui répète, sans lasser, qui martèle un message sans être déplacé. Un message mis en relief par des compositeurs et des interprètes qui refusent la facilité, au risque de s’aliéner les moins tolérants…et qui n’en ont cure.
Un album qui n’est ni du Black, ni du Metal, ni du Rock, ni du Post, ni quoi que ce soit, juste de la musique, confrontant la préciosité de violons et de pianos romantiques et d’un duo guitare/chant grandiloquent. Puissant, mais nuancé, violent mais apaisé. Ailleurs, mais ici.
Et que celui qui ose me parler d’avant-garde me jette le livret du premier concert de John Cale à l’âme.
Titres de l'album:
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