Mine de rien, ça va bientôt faire trente ans que les SADIST trimballent leur bonhommie morbide dans les rues de Gênes, et leur carcasse à travers le monde. Le genre de carrière qui impose le respect et force l’admiration, d’autant plus que les mecs ne sont pas du genre fainéant, puisqu’ils rassasient leurs fans à intervalles assez réguliers. Pourtant, on a vraiment l’impression qu’ils ont du mal à s’extirper d’un semi anonymat dans lequel leur nom fameux les plonge, un peu comme si le poids du respect occultait leur réelle valeur, ce qui est évidemment dommageable. Mais après cinq démos consécutives en début de parcours, et une tétralogie d’albums impeccables avant la rupture (Above The Light, 1993, Tribe, 1995, Crust, 1997 et Lego 2000), on pourrait estimer aujourd’hui que les italiens font partie de la légende, le genre de catégorisation un peu condescendante et mettant de côté la valeur concrète de leur travail. Mais ne vous leurrez pas, sur la scène Death européenne, ces musiciens hautement recommandables sont toujours aussi influents, même si quelques erreurs d’appréciation sont venues émailler leur avancée. Je m’étais rapproché d’eux à l’occasion de Season In Silence, il y a huit ans, et j’avais beaucoup apprécie Hyena, leur dernière livraison publiée en 2015. J’y avais retrouvé toutes les composantes d’un Death technique sevré d’influences Jazz et Progressif, qui cherchait plus loin que la fosse commune du coin de quoi exhumer ses idées, et j’étais donc ravi d’apprendre que le quatuor remettait le couvert à l’occasion d’un projet parfaitement alléchant sur le papier, et difficile à transcrire en musique. Car avec Spellbound et sa pochette au clin d’œil plus qu’appuyé, les génois se sont attelés à une tâche ambitieuse, et un hommage pesant son poids de légende, un peu dans la même optique qu’OBSZÖN GESCHÖPF et son Master of Giallo. Sauf qu’ici, Argento, Bava et consorts voient leur propre modèle honoré, puisque les SADIST ont décidé de dédier leur travail au maestro Hitchcock, ce que cette pochette en ombre de Motel funeste dévoile de son trait macabre et grossier.
On se dit alors très légitimement que ce choix de concept global va forcément influencer la direction artistique d’un album qui doit se démarquer de ses prédécesseurs, ne serait-ce qu’en termes d’ambiances, et si la cassure est quelques fois relativement patente, elle consiste la plupart du temps à laisser des claviers envahissants faire les trois-quarts du boulot en répandant leurs nappes électroniques. Le reste de la trame générique ne dévie en rien des convictions habituelles d’un groupe qui a trouvé son approche et son style depuis longtemps, et il est difficile de ne pas voir en Spellbound qu’une extension de l’ouverture déjà opérée sur Hyena et Season In Silence. Ce qui gêne un peu sur ce huitième longue-durée, c’est ce manque d’ambition tacite qui voit un groupe aux possibilités infinies se contenter d’un travail de fond et non d’un boulot de longue haleine qui aurait pu leur permettre de sortir leur œuvre définitive. On sent que le potentiel technique n’a pas été exploité à plein régime au moment des compositions, et si l’ensemble est bien évidemment d’une qualité irréprochable, il reste raisonnable ce qui a tendance à le handicaper assez rapidement. En choisissant comme source le monde paranoïaque et labyrinthique du légendaire réalisateur chauve, les italiens se sont fixé une absence totale de mesure, mesure qu’ils semblent respecter en contraignant leur morceaux dans le temps, et en synthétisant leurs idées sur deux ou trois plans fameux certes, mais déjà connus. Et comme en outre le mixage de leur album n’est pas exempt de reproches, on regrette au final qu’ils ne se soient pas abandonnés au délire le plus total, en essayant vraiment de retranscrire les films du maître dans un langage musical tout en gardant leur identité. A ce point d’analyse, on a parfois l’impression d’entendre une version résumée des meilleurs efforts de NOCTURNUS, le tout arrangé à la sauce SADIST, spécialement à cause de cette juxtaposition entre un chant terriblement grave et rauque, et ces nappes de synthé mélodiques et légères. En parlant de synthé, on est loin des scores déviants et menaçants de Bernard Herrmann, les partitions restant la plupart du temps figées sur quelques notes éparses, plus destinées à essayer de retranscrire un climat que d’imposer des sentiments induits. Et cette superficialité, une fois associée aux intentions de base est très gênante, alors même que l’album en lui-même peut être considéré comme une belle réussite.
Et hors des passages vraiment marqués, et un peu trop écrasés par des claviers qui se taillent la part du cadavre, on retrouve le SADIST des grands jours, celui capable de rappeler l’ATHEIST le plus alambiqué et le DEATH le plus fier, tout en nous écrasant d’une puissance à la SUFFOCATION sans avoir à forcer sa nature violente ou sa vocation. Seulement, ces passages sont plutôt rares, et lorsqu’ils parviennent à se hisser au premier plan, ils sont irrémédiablement castrés par ce synthé omniprésent, mais pas omnipotent, qui a tendance à occulter le talent naturel des musiciens à extirper le Death technique et progressif de ses envies les plus banalisatrices. Et donc, sur tous les fronts, le délice est un peu atténué par l’ambivalence, puisqu’on ne retrouve ni l’ADN véritable d’un groupe assez unique en son genre, ni les atmosphères des films d’Hitchcock, nous pensant errant dans les dédales d’une série B bon marché tentant désespérément de retrouver le souffle épique des films du maître en les copiant de façon malhabile. D’un côté donc, le petit chauve bedonnant voit ses meilleurs films adaptés de façon un peu simpliste et putassière, et de l’autre, le groupe tente par tous les moyens de rester lui-même tout en enfilant un costume un peu trop étriqué pour lui. Bien sûr, certains morceaux sont de vraies réussites, mais ils le sont la plupart du temps parce qu’ils oublient le concept du jour et se contentent de reproduire des recettes habituelles de façon plus contemporaine, enfilant les plans techniques et les passages concassants (« Frenzy », qui coupe enfin la chique à ce malheureux synthé, ne lui laissant que quelques espaces suffisants en compagnie de la basse pour mieux nous étrangler du foulard de la mélodie), sans vraiment chercher le mimétisme, même si l’amertume des riffs permet par intermittence de se plonger dans les pellicules citées.
Manque d’investissement absolu donc, et trop grande prudence dans l’élaboration d’une étape qui aurait dû être la plus fascinante. Et si « Rear Window » nous donne parfois le vertige de son imbrication de guitares et de chant, si « The Birds » constitue une entrée en matière alléchante avec ses syncopes et ses appoints de synthé - une fois n’est pas coutume - assez pénétrants, si « Notorius » fait la nique à des années de CRADLE OF FILTH en trouvant en quatre minutes le secret d’une symphonie morbide vraiment hypnotique (on sent même un peu de GOBLIN se cacher derrière tout ça durant le break jazzy), on déplore quand même le raisonnement beaucoup trop humble et se reposant sur des gimmicks un peu faciles. Les SADIST étant suffisamment compétents et intelligents pour élaborer une œuvre aux dimensions un peu moins proportionnées que d’ordinaire, on aurait bien aimé décoller vers les paradis Hitchcockiens avec plus de panache, même si au final, Spellbound sera probablement l’un des meilleurs albums de Death de cette fin d’année. Ce qui en soi, et au vu de la répétitivité irritante du genre n’est pas un mince exploit…
Titres de l'album :
1.39 Steps
2.The Birds
3.Spellbound
4.Rear Window
5.Bloody Bates
6.Notorius
7.Stage Fright
8.I'm the Man Who Knew Too Much
9.Frenzy
10.The Mountain Eagle
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