Une guerre cosmique entre de monstrueuses divinités, émergeant d’une mythologie enfouie dans le passé, tel est le programme proposé par deux autres monstrueuses entités, nous en venant des Pays-Bas. Le projet CELESTIAL BODIES est donc tout sauf anodin et distille sa philosophie nihiliste au travers d’une musique chaotique qui ne l’est pas moins. A la base de ce nouveau concept, deux hommes qui sont tout sauf des inconnus, et qui évoluent dans des univers aussi parallèles que perpendiculaires.
L’un s’occupe de la noirceur et des dissonances au sein de NIHILL, manipulant l’électronique et les couches de chant abrasives et écorchées, et il s’appelle Vincent Koreman. L’autre expérimente sur son kit de nouvelles formes d’expression rythmique, et assure l’assise aléatoire au sein des DEAD NEANDERTHALS, et il se nomme Rene Aquarius
Les deux travaillant conjointement bruit dans la main ont donc décidé de proposer leurs vues sur un Black Metal largement Noisy, qui peut tout autant évoquer ABRUPTUM que FULL OF HELL, MERZBOW, et tout autre créature protéiforme refusant la normalité d’une musique dite « structurée », pour se concentrer sur des évolutions libres qui flirtent souvent avec les frontières du bruit le plus brut et absolu.
Pourtant, une certaine cohérence unifie leur travail à quatre mains, et il faut reconnaître que Spit Forth From Chaos, en tant que première tentative parvient à susciter l’intérêt, à cause de son refus des contraintes, mais aussi grâce à une intelligence de composition qui réfute les principes du Noise le plus obtus.
Nous n’avons donc pas affaire à une accumulation de sons stridents et de parties instrumentales aléatoirement assemblées, mais bien à un concept qui sait exactement où il va, même s’il emprunte parfois des nébuleuses opaques qui nous perdent dans le cosmos de l’avant-garde.
En presque quarante minutes, les deux hollandais font le tour de leur question BM un peu sadique et bruitiste, et ne cherchent nullement à fédérer l’opinion publique. Mais pour autant, ils ne cherchent pas non plus à s’aliéner une fanbase potentielle, et reconnaissons avec objectivité que leur travail est largement digne d’intérêt. Difficile de les comparer à d’autres élites déjà existantes, même si le duo cite l’influence d’ABRUPTUM, qu’on pourrait fondre dans l’ombre d’un PAINKILLER pour obtenir une sorte de Black Jazz noisy en équilibre instable.
En fait, le tout sonne comme une jam impromptue et les lumières éteintes entre un MERZBOW un peu fatigué de se fracasser contre le mur du feedback, un GNAW THEIR TONGUES désireux de sonner un peu plus musical que d’ordinaire, et un éventuel FANTOMAS plus obsédé par John Cale que par les bandes originales de film.
La comparaison est somme toute assez personnelle, mais colle bien à la réalité expérimentale de ce premier album qui ne supporte que très peu de comparaisons, et qui rebutera autant qu’il ne séduira les moins impressionnables d’entre vous.
Mais il est difficile de résister à cette combinaison étrange entre des volutes électroniques stridentes et un constant numéro de funambule rythmique. Les deux hommes semblent se connaître parfaitement et se reposer l’un sur l’autre, même si quelques flottements indiquent une improvisation indéniable par moments.
Et les oreilles les plus sensibles ne pourront supporter des attaques soniques aussi intenses et irritantes que celle de « Kingdom Of Black Torment », qui semble jouer avec nos nerfs pour nous pousser dans nos derniers retranchements de tolérance. En triturant un beat épileptique qui virevolte comme une mouche évitant l’écrasement fatal, Rene Aquarius nous bouscule de ses codes de frappe libre, qui s’accommodent pourtant très bien de la voix passée au papier de verre de son compère Vincent. Ce dernier accumule les bruitages qui percent les tympans, donnant à la musique de CELESTIAL BODIES un background Space-Noise assez perturbant, que seules des lignes vocales noires rattachent au BM le moins traditionnel.
En gros, et pour résumer, ça hurle, ça frôle l’overdose de percussions, et les itérations acides de claviers achèvent de nous donner la nausée. Et pourtant, impossible de se détacher de cette expérience extrême qui tourne et tourne sans presque jamais se répéter, et qui nous hypnotise de son parti pris absolu.
Terrifiant non ?
Oui, pour le moins.
Dans un registre similaire et néanmoins différent, « No Place To Hide » suggère une collision entre les premières et démoniaques années de HELLHAMMER et les exactions les plus glaçantes de REVENGE, le tout survolé d’un chant qui puise dans ses traumas les plus incurables l’essence d’une expression cathartique.
Spit Forth From Chaos est le genre d’album en définitive qu’il faut écouter in extenso pour en comprendre les méandres et les interrogations. Interrogations qui n’aboutissent à aucune réponse, et qui sont exposées clairement dès le chaotique « The Final Covenant », qui s’impose en forme de Free Black Jazz extrêmement intense et difficile d’approche.
Mais le duo à l’intelligence de butiner les fleurs du mal sans trop s’arrêter sur un pistil, et tranche ses visions en segments assez fins, et parfois, complètement fous, comme le vol d’un sphinx à deux doigts du trépas (« The Nazarene Bastard Crownded », limite Grind/Noise/Black/Jazz, et finalement, plus que limite même).
D’autres à contrario s’imposent dans le temps et l’espace, comme pour symboliser cette lutte entre des Dieux mythologiques à la mémoire pointue, méchamment réveillés par une contestation qu’ils ne tolèrent pas (« Burning Trident », l’équivalent musical de Poséidon sortant des eaux pour calmer quelques excités).
Quelques traces d’Indus/Ambient, qui nous rappellent au bon souvenir des SWANS, du BRUTAL TRUTH d’Endtime et des FETISH 69 («Sign Of The Wolf », que nos TREPONEM PAL auraient pu entonner s’ils avaient connu les CNK), et un final traumatique qui pousse tous les excès au-delà de la tolérance la plus large (« Towards Perdition », qui mérite bien son nom et qui atomise un Black libre sur les neutrons d’un Noise jazzy tournant fou, pour la conclusion la plus BM de l’album), et le bilan est plus que positif pour un disque qui se veut l’équivalent d’une séance de flagellation auditive aux vertus étonnement curatives…
Que la plèbe se rassure, ce LP n’est pas pour elle. Il vaut mieux être rompu à l’exercice du Black Noise le plus free, et du Jazzcore le plus fourni. Mais en tant que side-project, CELESTIAL BODIES signe avec Spit Forth From Chaos la plus belle illustration du chaos originel, qui a débouché sur un monde tordu envahi de créatures futiles idolâtrant de faux dieux au nom du progrès.
Faites-vous une idée de la symphonie originelle et de la colère brute. De nos jours, retrouver ses racines les plus éloignées est un luxe qu’on ne peut pas refuser.
Titres de l'album:
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