Je regardais justement hier soir le dernier film de M. Night Shyamalan, Split. L’histoire de ce schizophrène aux vingt-trois personnalités finissant par se transcender pour en former une nouvelle, à l’état primal et à la force physique et psychique décuplée.
Célébrant le retour en forme d’un des réalisateurs les plus doués mais complaisants de sa génération, il me permit aussi de faire un parallèle avec le format du même nom, qui en essence, doit justement opposer des personnalités contraires ou justement complémentaires pour en faire apparaître une nouvelle, à même d’optimiser les qualités et travers de chacun de ses intervenants.
Et une nouvelle occurrence m’en est donnée ce matin via l’association de deux groupes aussi différents qu’ils ne sont leur propre extension.
Etats-Unis et Angleterre, Grind et Sludge, deux conceptions du Hardcore et du Metal qui au sein d’un même contexte se retrouvent, s’entremêlent et donnent naissance à une puissance supérieure, usant de la vitesse, de la brutalité et de la lourdeur oppressante pour faire passer le même message ancestral. Puissance et puissance aboutissent à la même déflagration de haine musicale, peu importe le vecteur pourvu que les décibels remplissent la pièce et suscitent la colère, l’intérêt, et interpellent l’auditeur.
Prêts pour un peu d’historique des factions ? C’est parti.
A gauche, et les premiers à intervenir chronologiquement, les Anglais de CLOUD RAT. Formé en 2009, ce trio originaire de Mount Pleasant/Detroit/Grand Rapids dans le Michigan (Brandon – batterie, Madison – chant et Rorik – guitare), joue une forme très ambivalente de Grindcore Punk comme ils aiment à la nommer, mais n’en oublient pas pour autant d’user d’éléments de Sludge, de Doom, et de Darkcore pour densifier encore plus l’impact de leur propos.
Ces pro-vegan/anti-jerks ont déjà à leur actif une bonne quantité de réalisations, dont un solide premier EP éponyme paru en 2010, et une compilation de grande qualité, Blind River, sortie en 2014. Le trio jouit déjà d’une bonne réputation underground, et collabore avec quelques noms connus de la scène, comme les THOU, DRUG OF FAITH ou REPUBLIC OF DREAMS, après avoir sorti un nombre conséquent de LP résumant leur parcours. Ce parcours fut donc productif, et trouve une nouvelle entrée avec ces deux faces partagées avec les MOLOCH.
En connaissant les lascars en surface, il serait aisé de se dire que leur Grind offre le contrepoids idéal au statisme des MOLOCH, mais ce serait mal connaître nos trois olibrius. Bien loin de se contenter de rythmiques en blasts et de riffs tronçonnés puis assemblés à la hâte, les CLOUD RAT aiment brouiller les cartes et multiplier les influences, comme en témoignent une fois de plus les sept morceaux qu’ils placent sur ce Split. Certes, la majorité d’entre eux se veulent attaques massives, franches et brutales d’un Grind sans concession, aux tranches largement épaissies d’un Hardcore à tendance Sludge subtilement compact et moite, mais une bonne partie se place volontairement sous l’égide d’un Core assez déroutant et perturbant, qui ne se contente pas de foncer dans les murs.
Et dès « Baby Sling Ballon Born », les choses se compliquent et deviennent moins immédiates. Tempo qui décélère, guitares qui dévient dans les dissonances, pour une sorte de variation sur un thème Crust à dominante Indus, laissant même échapper quelques inflexions Post-BM (principalement dans les couches vocales). Certes, les affolements de BPM sont toujours là pour guider le navire vers les récifs Grind, mais si « Biting The Air » confesse encore son allégeance aux blasts, il en profite pour semer sur son passage des plans plus conséquents et stables.
Et plus on avance sur leur face, plus les titres s’allongent et se temporisent, pour atteindre une sorte d’apogée Ambient sur l’accrocheur et onirique « Amber Flush », très synthétique et lancinant. Genre de mélange entre un PORTISHEAD de cauchemar et un BAT FOR LASHES tenté par le péché HEAD OF DAVID, ce morceau est une troublante conclusion qui prépare à merveille le terrain pour leurs associés du jour, trop heureux de rebondir sur cette lenteur cotonneuse…
De leur côté, les MOLOCH ne jouent pas vraiment dans la même catégorie, et peuvent se targuer d’une carrière qui leur a permis de multiplier les formats de sortie. Leur Bandcamp annonce d’ailleurs la couleur sur sa page de présentation, en occupant tout une page de pochettes monochrome ou pas.
Beaucoup de splits d’ailleurs dans cette énumération, dont certains avec CORPUS DEI, ROT IN HELL, METH DRINKER, LICH ou ENSORCELOR.
Mais les originaires de Nottingham ne sont pas du genre à renier leur crédo pour s’adapter à leurs comparses, et les deux morceaux qu’ils présentent sur ce nouvel effort en commun ne trahissent aucunement leur inspiration lente et processionnelle.
« The Ninth Wave/Bloody North » et ses douze minutes permet donc à Harry, Henry, Steve et Chris de répandre la bonne parole Sludge à tendance Doom avec une gravité bien sûr de circonstance, étirant des plans lourds au-delà de toute raison, mais imbriquant aussi en chausse-pied des passages assez malsains, les plaçant au croisement d’une fusion entre les FETISH 69 et SLUDGEHAMMER.
Feedback, dialogue semblant sorti d’un torture-porn, puis soudaine reprise de la litanie avec force cris et coups de reins rythmiques épars, la machine horrifique est bien huilée et permet de suivre les pérégrinations cauchemardesques de ces Anglais sans faire aucun effort.
« Lead », tout en restant dans un domaine familier enfonce le clou, et profite d’une longue intro en percussions inquiétantes pour donner le la biaisé, et se veut lourdeur Sludge/Indus extrême, laissant la guitare et la basse bourdonner et non jouer, pour créer une sorte de drone/mantra assez fascinant.
Grind, Sludge, Doom, Indus, Ambient, voici donc un Split qui donne dans la cohésion via la variété et qui satisfera certainement les plus extrêmes d’entre vous.
Mais il n’en reste pas moins de même une belle démonstration de complémentarité de deux forces qui en font émerger une troisième, comme ce fameux schizophrène qui voit ses visages se fondre en un seul, nouveau, hideux, inconnu.
Tout ça n’est sans doute pas rassurant, mais c’est cathartique, à un certain niveau. Et une façon de démontrer que la laideur à plus d’une apparence dans son sac…
Titres de l'album:
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