C’est l’histoire la plus simple qui soit, celle d’une amitié qui unit quatre potes qui font de la musique ensemble. L’histoire la plus banale du Rock n’Roll, mais aussi la plus sincère. Une histoire qu’on nous a déjà racontée des milliers de fois, mais qui continue de nous intéresser au plus haut point, et en parlant des ABBYGAIL ce matin, j’ai le sentiment de parler d’un groupe du coin, répétant dans un garage ou une salle prêtée par la municipalité pour mettre les MJC à feu et à sang.
Cette histoire vous sera sans doute mieux racontée par ses protagonistes, ces quatre musiciens qui depuis des années écument le circuit des clubs, et qui jouent leur musique avec passion et sens du partage. Il y a beaucoup d’empathie dans cette musique, simple, directe, mais bien composée, dans cette interprétation avec le cœur, et il n’est guère étonnant en écoutant Still Burning de constater qu’effectivement, le feu brûle encore. Le feu de la passion, de la sincérité, en une musique sans trop d’autre ambition que celle de vous divertir, et de faire plaisir à ses auteurs.
Ses auteurs justement, ont déjà du bagage derrière eux, et vous invitent à monter dans leur bagnole pour un trajet vers le paradis, sur fond de riffs d’enfer. Luke Debruyne (guitare/chœurs), Anthony Deron (batterie), Pascal Roszyk (basse) et Bertrand Roussel (chant) sont justement des narrateurs hors-pair, avec un bagout assez exceptionnel, mais qui sait se recentrer sur l’essentiel : l’histoire du Rock n’Roll, et de leurs influences qu’ils nomment sans honte : AC/DC évidemment, mais aussi MSG, UFO ou RAINBOW, soit pas mal de Schenker. Un Rock joué Hard, avec les tripes et qui sent la sueur, comme le vestiaire d’un match qui se déroule sous nos oreilles depuis des décennies.
On comprend assez rapidement que l’Australie des frères Young a joué son rôle dans l’éducation du quatuor. « Watchman Of Darkness » et son intro digne de la période Bon Scott, son binaire strict, son groove suintant, et ces heures passées sur la route à jouer aux cartes et picoler, « Magic Finger » qui révèle une habilité digitale le confinant à l’hommage persistant sont autant d’indices sur la jeunesse de ces quatre-là, qui ne jouent d’autre jeu que celui de la franchise instrumentale. Des lyrics en phase, un sens du rythme imparable, et une humilité naturelle font de ce troisième album le digne successeur des deux premiers. Electric Lady, après un premier EP éponyme posait les bases de la passion, Gun Control tapait dur sur le système pour y faire entrer les informations de base, et Still Burning laisse tourner le moteur à chaud pour ne pas faire baisser la moyenne.
Bien sûr, tout ceci est convenu et joué d’avance. En écoutant certains morceaux, on peut presque anticiper le refrain dès les premières notes d’entame. « My Religion », tube évident, laissera le public au tapis, le poing levé, et les oreilles fumantes. Entre Rock généraliste de tradition et Hard-Rock historique de baston, Blues qui transpire et plus simplement, énergie de tous les diables, Still Burning déroule sa version des choses, entre le Delta du Mississipi et Sydney, entre les croyances Black et le son blanc, pour un résumé de l’histoire qui s’il se veut nostalgique, ne verse jamais dans la facilité old-school ou le plagiat trop évident. Le son est souple, la basse gironde, les guitares affamées mais aussi séductrices, et le chant feulé, murmuré, hurlé à pleins poumons comme un crédo qui trouve toujours des centaines d’adeptes de ses échos.
Alors, on danse, on se prend à rêver à cette jeunesse pas si perdue que ça, on laisse les pentatoniques faire leur office sur « The Night Before », on passe sous silence les textes un peu trop grivois pour être honnêtes (« Your Favorite Fuck Buddy »), parce que derrière, ça usine Young comme à la grande période Bon, on accepte les allusions plus que directes de « Gamebae » qui va faire trembler les amplis on stage et dodeliner du chef tous les chefs de file de la génération 70, et on passe du bon temps en compagnie de gens cultivés, juste assez rustres pour ne pas sonner trop policé, mais qui comptent quand même sur une production claire et ample pour convaincre le chaland.
Les morceaux se succèdent comme sur une setlist rédigée à la main, entre lourdeur plus prononcée via l’héritage SAB de l’éducation Seattle (« The Enemy You Love To Hate ») et sensibilité plus affirmée qui sent bon la fin de nuit (« Man On The Shelf »). Toutes les facettes du Rock sont passées en revue, et signées d’une nouvelle main même si le binaire direct se taille la part du lion du début à la fin. Alors, « Pale Blue Dot » qui joue avec vous tel un chat avec un faisceau laser, « The Answer » et son excès de vitalité qui booste alors que l’heure tourne, et finalement, tout un nouveau répertoire non seulement au niveau de l’ancien, mais encore plus convaincant.
Le virage du troisième album a donc été redoutablement bien négocié par les ABBYGAIL par un truchement très simple : ne rien changer à leur recette. On pourra arguer de la monotonie parfois crispante d’un chant pas toujours inspiré, on pourra pointer du doigt les évidences des références, mais le Rock étant une affaire de goûts personnels, nul ne saurait remette en cause l’amitié qui lie ces gars-là, et qui les lie à leur public.
Titres de l’album:
01. Watchman Of Darkness
02. Wild Horse
03. My Religion
04. Magic Finger
05. The Night Before
06. Your Favorite Fuck Buddy
07. Gamebae
08. The Enemy You Love To Hate
09. Man On The Shelf
10. Pale Blue Dot
11. The Answer
12. Five And Still First
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