Tenons-nous enfin nos TANKARD à la française ? Nous disposions dans le passé d’un arsenal de thrashers légèrement portés sur la cervoise, mais pour autant, aucun n’avait cru bon de consacrer son nom de baptême à ce breuvage moussu aux bulles si charnues. C’est chose faite aujourd’hui, puisque de Paris nous en vient un nouveau combo pas vraiment adepte de l’éthylotest, mais toujours prêt à lever le coude pour s’en envoyer une ou accessoirement, faire un peu de musique. Enfin, nous en vient, nous en revient plutôt puisque les origines de BEER BREATH remontent à l’année 2002, lorsque Brett et Pantin se mirent dans l’idée de composer ensemble dans le but de monter un ensemble légèrement cacophonique. Las, les deux acolyt(r)es prirent soudainement la tangente vers des plans de carrière beaucoup plus sérieux, laissant le projet sur le carreau. Mais ne renonçant pas à payer leur tournée, les deux amis ont donc quelques années plus tard (beaucoup en fait) remis les sous-bocks, recrutant quelques compères histoire de ne pas tailler le bout de gras en duo. C’est ainsi qu’en cette morne année 2018, BEER BREATH connaît une seconde jeunesse et nous offre ses vues sur la société et ses inégalités sous la forme d’un premier LP assez bref mais intense, aux entournures Death mais au propos fondamentalement Thrash. Ou les deux, mais c’est tout comme. Outre Brett et Pantin aux guitares, on retrouve donc au zinc de ce nouveau troquet Captain (chant), Charogne (basse) et Anciles (batterie), et leur Story of a Decayed Life, sans avoir le panache des plus grandes réalisations du style, coule agréablement aux oreilles, et à des allures de malt et de houblon traités façon artisanale, en famille, pour obtenir un breuvage de qualité, certes encore un peu rustre, mais qui débouche les conduits.
Un breuvage qui se boit d’ailleurs cul-sec, et qui percute immédiatement le palais, d’autant plus que sa dégustation ne prend qu’une demi-heure. Pas vraiment le temps de se la jouer tastebière raffiné, puisque les sept gorgées sont rapidement avalées, même si certaines se rapprochent de l’épaisseur de la Guinness traduite dans un langage musical très Death n’Thrash. Difficile de classer les maîtres brasseurs dans une catégorie particulière, puisque leur son est assez massif et diffus, et leurs morceaux construits sur une alternance de plans écrasants, de sifflantes, de soudains aplatissements du foie, et de virulentes accélérations de la vessie. Et comme ces boit-sans-soif ne revendiquent d’autres influences que la bibine, l’herbe, la cuisine, les gueules de bois et autres hobbies de désœuvrés hédonistes, il est assez complexe de les situer sur une échelle de Valstar à MORBID ANGEL, autrement qu’en les classant de 1 à 7 de la cave au grenier. Sachez simplement que si leur concept se veut ludique, et que leur musique à des relents festifs, leur Death est tout à fait sérieux, et que cet album a été pensé comme une œuvre complète. Chaque morceau recèle son lot d’idées, la plupart du temps pertinentes, même si le son global un peu étouffé dans le vomi peine à restituer leurs prouesses. Nonobstant ces critiques mineures, (et le fait que certains morceaux restent un peu trop en bouche, comme le très redondant « Take Away », qui ne dévie que très rarement de son thème gravissime), Story of a Decayed Life est d’une cuvée qui mérite d’être remarquée, dans un registre extrême raisonnable, profitant de vocaux parfois bien gore qui dynamisent un peu les choses.
Mais alors, on picole ? Oui, mais on ne finit pas bourré à vomir dans l’escalier, puisque malgré des instincts souvent bestiaux, les gus savent faire glisser le goulot. Ainsi, « Beer Motherfucan Chicken » entame les hostilités façon pluralité, révélant des fragrances différentes, toutes violentes évidemment, mais allant du raclage de glotte à la ABORTED à l’inflammation du palais façon Death anglais, abordant même le degré d’alcool des CARCASS les plus raisonnables. Guitares bien grasses, mais lâchant des riffs pas fadasse, rythmique solide et subtilement grisée, et Captain, en taulier façon grogneur sympathique, qui râle pour faire déguerpir les derniers poivrots, mais qui les laisse quand même finir leur porto. Entrechoquement de chopes en licks accrocheurs, soli certes torchés mais pas racoleurs, et ensemble qui groove autant qu’il ne gueule, pour une accommodation d’un Thrash épicé dans une Leffe de Death vraiment corsée. « Until The Last Drop » confirme qu’on n’est pas ici pour gâcher, et qu’il faut tout avaler. Délié de guitare presque Mosh, pour une ambiance délétère de bar interlope, bondé de figures Death à l‘ancienne (SUFFOCATION, et même quelques membres de BENEDICTION) et de légendes Thrash européennes (Tom de SODOM, mais aussi les mecs de NOMED et d’AGRESSOR), qui trinquent tous à la santé de l’extrême, sans cloisonnement ni guerre de clan. Et à part celui de Campbell, on ne trouve ici que des motifs entêtants, comme le chant d’un pic-vert le matin suivant. The Morning After ? Oui, mais pour le moment la soirée n’est pas finie et continue d’ailleurs plutôt bien, diluant dans un Death vraiment sombre et lourd quelques gouttes d’Indus finement versées (« AA Sucks »), ou trempant ses lèvres sur un faux-col Thrash addictif et réactif (« Hobo Stalker », le faux-hit de l’album en mid-tempo trépidant sur nappes de guitares trucidant).
Et sans se vautrer dans la fange de l’amateurisme, les BEER BREATH ont su garder cet esprit underground qui rapproche leur premier album d’une véritable tranche de vie. On a le sentiment très patent de voir des potes enfin concrétiser leurs vues discographiquement parlant, et cette ambiance de camaraderie ne fait qu’ajouter une plus-value à la fête, même si celle-ci est encore loin d’être parfaite. Oui, certains plans sentent parfois le réchauffé et le répété (le riff de « Emberiza Hortulana » en étant le meilleur exemple, et assez crispant passé la minute, spécialement sur un tempo aussi pataud), mais heureusement, le quatuor à la bonne idée de terminer la beuverie par une ambiance tamisée, via les mélodies un peu nostalgiques de fin de soirée de « Morning Hangover », qui sentent bon les souvenirs de picole et les bisous à Nicole. On note à ce moment-là que ces furieux savent aussi se montrer plus modulés, et on apprécie l’ouverture vers un avenir plus surprenant et moins docile. Mais sans savoir si ce premier essai sera transformé et suivi d’une seconde tournée, on peut apprécier Story of a Decayed Life, à savoir une bonne occasion de lever son verre à la santé d’un Death/Thrash rondement mené, qui enivre mais ne laisse pas sur le bitume la gueule enfarinée et l’haleine chargée.
Titres de l'album :
1.Beer Motherfucan Chicken
2.Until The Last Drop
3.AA Sucks
4.Take Away
5.Hobo Stalker
6.Emberiza Hortulana
7.Morning Hangover
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