Il y a des musiciens qui marquent plus que d’autres. Je ne parle pas là de légendes, d’artistes hors du commun qui vous écrasent de leur génie, mais plutôt d’auteurs/compositeurs/interprètes qui ont marqué votre vie de façon plus humble mais en laissant des traces tout aussi indélébiles dans votre mémoire. Pas le genre de gars à plaquer un chef d’œuvre intemporel sur la partition de l’histoire, plutôt le mec que vous avez connu au détour du hasard et qui depuis, ne vous a jamais lâché. Parce que vous lui êtes resté fidèle, mais aussi parce qu’il a continué sa route avec honnêteté, faisant presque profil bas de son talent pourtant indiscutable. Mike TRAMP fait partie de ces artistes qui m’accompagnent depuis mon adolescence, qui n’ont jamais pu rivaliser avec McCartney, Elton JOHN, Bowie ou Nick Cave, mais qui se sont fait une place dans mon cœur pour l’éternité. Le genre de type qui vous embrume la plume de son émotion sincère, et qui vous fait employer des tournures de phrases un peu nostalgiques sur les bords. Mike, je l’ai connu un après-midi de 1987, lorsque j’ai entendu pour la première fois sa voix voilée sur le séminal « Wait » de WHITE LION. Et derrière cette pochette blanche et féline se cachait un beau danois aux bouclettes blondes et au timbre cassé, qui de ses intonations fragiles était capable de hurler le Hard-Rock comme un diable dans sa boîte, et qui savait profiter avec intelligence de la maestria d’un guitariste hors-norme, un duo qui évoquait une sorte de démarquage angélique du tandem maléfique et roublard David Lee Roth/Eddie Van Halen. Mais le passé étant le passé et les stades s’étant transformés en salles de capacité plus humaine, l’homme n’a jamais rengainé sa musique, pour le plus grand bonheur de ses fans, qui comme moi, apprécient chacune de ses apparitions, qui ont en outre le mérite d’être fréquentes. Certains l’ont abandonné durant sa parenthèse FREAK OF NATURE, qu’ils jugeaient opportuniste, mais d’autres sont revenus dès Capricorn, qui renouait avec la simplicité d’une musique américaine délocalisée quelque part au cœur du Danemark. Quelque chose de pourri dans ce royaume ? Non, juste un homme sans autre ambition que de satisfaire vos envies d’ailleurs et d’autre chose.
2019, Mike est toujours là, peut-être de plus en plus intimiste, mais toujours aussi attachant. Avec une discographie ne laissant que peu de place au silence, le sieur TRAMP nous en revient donc avec un nouvel album, faisant rapidement suite au précédent Maybe Tomorrow, paru presque hier, mais reprenant visiblement les choses là ou Cobblestone Street les avaient laissées. Mais avec Mike, aujourd’hui est toujours un peu hier tant sa musique évoque un passé plus ou moins lointain, mais pas forcément le sien. Il l’avoue, avec peut-être un peu de condescendance promotionnelle, les stades, c’est fini pour lui, et les limousines aussi. Il se sent bien en jean, avec sa guitare et un public proche de lui, venu non pour admirer la rock star, mais pour partager avec l’artiste un petit bout de temps et une bonne dose de feeling. Et ça tombe bien pour la tournée à venir, puisque Mike nous a réservé avec Stray From The Flock un traitement à l’écart de l’esbroufe et de la retape de saison, lui qui nous garantit une fin d’hiver aussi chaude qu’un amour d’été. Rien de spécial à son programme, juste quelques chansons simples qui « ruissellent de sa guitare », lui qui a composé des centaines de morceaux, mais qui ne s’imagine pas faire autre chose. La passion guide toujours ses pas, et la sincérité aussi, puisqu’on ne peut pas nier que ce onzième album en solo porte les traces des routes arpentées et des amis rencontrés, comme l’indique cette pochette sur laquelle il pose nonchalant, près de sa moto qui a bouffé les kilomètres et transpercé des nuages noirs comme lui les décibels et les sourires lumineux. Du Rock donc, d’obédience classique, qui paie son tribut au patrimoine US, en saluant les ombres de Bruce, Tom, Bob, John Cougar, John Fogerty, mais aussi Dave Pirner, Eddie Vedder, Chris Cornell, puisque les nineties ont aussi été sa décennie d’adoption/rédemption, et le réel démarrage de sa carrière solo. Et plus de vingt ans après Capricorn, la première étape, Mike accepte les années qui passent, la nostalgie qui reste, et surtout, continue de nous aimer avec la même ferveur et la même discrétion.
Mon clavier avait déjà exprimé tout le bien que mon âme pensait de Nomad en 2015, et il reprend du service aujourd’hui pour confier le bonheur ressenti par mon cœur à l’écoute de ce Stray From The Flock. Pourtant, pas grand-chose d’inédit à se mettre sous la dent, mais des saveurs auditives traditionnelles qui réchauffent le gosier, des guitares, distordues mais polies, et surtout, une voix, CETTE voix dont on se délecte depuis plus de trente ans, et qui continue de transcender des morceaux d’apparence simples, mais réellement riches au niveau des mélodies et des arrangements. Une continuité du chemin que Mike a emprunté il y a maintenant fort longtemps, et qui retranscrit parfaitement son apprentissage de l’Americana, lui qui se prétend encore simple gamin de Copenhague qui n’a jamais été à l’aise à l’arrière des grosses bagnoles. Et on le croit sans peine, lui qui se rapproche de plus en plus de la synthèse parfaite de la nostalgie un peu amère des SOUL ASYLUM et de la fierté américaine quinquagénaire de BON JOVI, sans copier l’un ou l’autre, mais en suivant leurs traces Classic Rock presque sans faire exprès, à pas feutrés, avec cette volonté incroyable de ne jamais trahir ses idéaux. Des idéaux parfaitement retranscrits par « No End To War », aux mots un peu désabusés, mais qui en huit minutes et trente-sept secondes représente la quintessence du Hard Rock à la sauce TRAMP 2019. Comme un vétéran qui rentre au pays pour le retrouver déchiré, le drapeau en berne et le nationalisme capitaliste exacerbé, les larmes aux yeux mais la rage en écume, et les guitares qui déchirent un ciel encombré d’un gigantesque mur de haine. Ce morceau, très intelligemment placé en intro rappelle évidemment le FLOYD des années de désillusion, le Roger Waters le plus Heavy lorsqu’il s’enfermait dans son imaginaire paranoïaque vicié, avec son faux rythme roublard à la « Have a Cigar » et son riff tendu comme « In The Flesh ». Admirable pour le moins, épique, et une autre facette de l’artiste danois qui décidément à tout compris à l’essence même d’une musique qu’il parle comme une première langue apprise à la naissance…
Mais ce lyrisme ne fait pas oublier les fulgurances plus intimistes, celles qui strient « Homesick » comme un mal du pays qu’on ressent lorsque les tournées s’éternisent et que votre terre natale vous manque. C’est dans ces moments de pudeur extrême que la voix de Mike retrouve toute sa grandeur, loin du vibrato un peu forcé de « When The Children Cry », et plus proche des cordes abimées d’un Bob Seger. On sent le mec qui a roulé sa bosse et sa moto aux quatre coins du monde, mais qui n’a pas oublié son pays, même si l’Amérique de Bruce Springsteen a toujours été son Graal personnel. Et puis, « You Ain’t Free No More », au lick gluant mais pas dupe à la Keith Richards, soutenu par un orgue mutin et un peu fatigué, « One Last Mission » et son mid tempo lourd comme un sac à dos, « Messiah », pesant comme les claviers de Jon Lord mais léger comme la guitare de Tom Petty, et « Die With A Smile On Your Face », qui suggère les production de Daniel Lanois, mais qui se niche au creux des reins de Loreena McKennitt et qui caresse avec tendresse la nuque de Bonnie Raitt. Country à violons, Folk de raison, pour un âge de saison qui ne regarde plus le soleil se coucher. Les meilleurs jours de notre vie ? C’est bien ce que « Best Days Of My Life » nous promet en bon contemporain de Jon Bongiovi, et c’est finalement le constat dressé par Stray From The Flock, qui de la part d’un new old kid on the block, est plus qu’un simple onzième album, mais une photo de plus dans l’album de famille.
« Je veux que les fans sachent que lorsqu’ils cherchent un album de Mike TRAMP sur les étagères, quel que soit celui qu’ils prennent, ils trouveront toujours ce que je suis. »
Un musicien qui nous a marqué plus que d’autres.
Titres de l'album :
1. No End To War
2. Dead End Ride
3. Homesick
4. You Ain’t Free No More
5. No Closure
6. One Last Mission
7. Live It Out
8. Messiah
9. Best Days Of My Life
10. Die With A Smile On Your Face
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