Il y a deux façons de jouer du bourrin. La première consiste à appuyer là où ça fait mal, en lâchant prise de temps à autres et en calmant la douleur par une pommade quelconque, la seconde consiste à appuyer là où ça fait mal, sans jamais relâcher la pression. Si la première exige quand même quelques connaissances en premiers secours, la seconde ne demande que du sadisme, toutefois doublé d’une certaine intelligence de vilénie et de dosage, histoire de ne pas occire la victime au bout de quelques minutes. Paraboles bien sûr, mais qui s’appliquent à bien des cas extrêmes, notamment ceux évoluant dans un registre Powerviolence, Grindcore ou Noise, styles qui s’appliquent depuis des années à repousser les limites de la brutalité d’un côté, tout en s’ouvrant d’autres possibilités. Mais aujourd’hui, le cas qui nous intéresse est d’école, et déjà connu des plus masochistes des amateurs de bordel en tous genres. Les Allemands d’IMPLORE ne sont connus ni pour leur sens de l’abnégation ni pour leur empathie musicale, et ce, depuis leurs débuts en 2012. Depuis, le quatuor (Gabriel – basse/chant, Petro – guitare, Markus – guitare/chant et Guido – batterie), naviguant entre Germanie et Italie s’est fendu de quelques sorties, dont deux EP initiaux (Phos Zoe en 2012 et Black Knell en 2014), d’un premier longue-durée (Depopulation en 2015), et d’un nouvel effort concentré en 2016, Thanatos, qui semblait indiquer que la direction d’ultraviolence choisie n’avait pas vraiment dévié. On se disait que les années passant, la rage allait bien finir par se calmer, et puis ce Subjugate est finalement tombé entre nos oreilles médusées, s’échinant à nous démontrer que la colère n’avait pas été diluée, loin de là…Il semblerait même qu’au fil du temps, les allemands deviennent de plus en plus véhéments, et n’acceptent plus que les versants les plus agressifs des genres qu’ils mettent en exergue…
On le sait, le Grind, et toutes ses excroissances ou racines/déviances, ne tolère que peu l’engagement partiel. On s’y jette à corps perdu, comme dans une bataille contre le marasme ambiant que l’on ne supporte plus. Il est de notoriété publique que les IMPLORE détestent leurs contemporains et leur comportement hautain et méprisant face à une nature en constante extinction, mais reconnaissons que sur ce second long, ils ont mis les bouchées doubles pour nous prouver que leur misanthropie atteint de nouveaux sommets. Encore plus virulent que tout ce qu’ils ont pu produire auparavant, ce nouveau-né ressemble à cri éploré, qui nous strie les tympans de son rejet d’une modernité qui nous pousse à nous concentrer sur nos besoins au mépris de ceux de nos voisins.
Alors, pour illustrer ce mécontentement somme toute assez logique, le quatuor nous a lourdé quatorze bombes de bile à la face, histoire de bien enfoncer le clou de leur lucidité dans les oreilles. Et la déflagration fait très mal, puisque l’intensité du bombardement ne faiblit qu’en de très rares occasions, et qu’il est enrobé d’un son gigantesque, de ceux qui couvrent le bruit des funestes sirènes trouvant écho dans une nuit de guerre…Niveau influences, la tendance n’a pas vraiment changé, et les morceaux se veulent toujours aussi brefs et virulents comme des attaques éclairs. Si les sacro-saintes trois minutes ne sont atteintes qu’en une seule occasion, « Ecocide » permet justement de diluer la véhémence ambiante dans un marigot Industriel que les NAPALM DEATH n’auraient certainement pas évité. Samples, atmosphère éprouvante, suffocante, pour un intermède qui permet au quatuor de repartir de plus belle, blasts en bille de tête et force roulements de toms et autres riffs décochés sur la pomme posée sur notre tête sans demander un quelconque consentement (« Technology a Justification for Killing », constat assez vrai sur fond de Crust/Grind noir comme un avenir sans espoir).
Bourrin, agressif, IMPLORE l’est sans conteste possible, et s’autorise un passage en revue de toutes les fragrances les plus absolues. Si les références NASUM, NAPALM, BRUTAL TRUTH sont évidemment les plus flagrantes, il serait de mauvais esprit d’occulter cette facette technique qui les rapproche parfois d’un Mathcore de folie, qui amplifie la technique précise et mathématique d’une soufflante Crust tonitruante. On pense évidemment aux CONVERGE, mais aussi à NAILS, doublé d’un feeling à la THE KILL, qui emprunterait aux CULT LEADER leur épaisseur de ton histoire d’intensifier encore plus le son. De tous ces repères émerge une machine à broyer les tympans, qui ne tolère aucune baisse de régime avant de nous avoir complètement ruiné l’audition. Beaucoup trouveront ça un peu redondant, et systématique dans la bousculade, pourtant, ce désir de ne jamais céder le pas à la tentation d’une astuce un peu plus ludique rythmiquement fait justement la force d’un combo qui n’a jamais fait grand cas de son envie d’aller plus loin et plus fort que tout le monde. On reconnaitra au passage les qualités instantanées d’un batteur qui connaît son métier, et qui cogne, frappe, tanne et use ses peaux à grand renfort de hits qui eux non plus ne décélèrent pas, mais sans non plus oublier les capacités vocales d’un chanteur au timbre monocorde, qui cherche à tout instant à tester le potentiel de résistance de ses cordes vocales. On hurle le message humaniste pour mieux l’incruster dans la mémoire collective, et ça fonctionne, puisqu’on reste attentif de bout en bout, et qu’on en vient à partager les vues d’un combo qui refuse la demi-mesure.
De là, chacun choisira son option. Ceux qui piocheront trois ou quatre morceaux pour agrémenter une playlist, et ceux qui dévoreront le tout d’un appétit glouton, certains d’avoir affaire là au plat d’ultraviolence le plus conséquent du mois. Difficile de dire ce qui différencie Subjugate de Depopulation, si ce n’est ce nihilisme d’ouverture, qui toutefois n’empêche nullement nos allemands d’introduire subrepticement quelques nuances à peine discernables (l’intro subtile de « Untouchable Pyramid », qui dégénère vite en blitzkrieg Crust). Mais en dépit de ces quelques annotations sur la marge, ce second album vaut ce qu’il est, et est ce qu’il vaut, à savoir une sévère décharge électrique qui vous tétanise la colonne et vous fait exhorter vos traumas les moins contrôlables. Un festival de méchanceté instrumentale, qui taquine le Crust d’une touche BM assez conséquente, et qui frise le Grind d’impétuosité Math/Hardcore, sans donner l’air d’y toucher. Celui de Subjugate est plutôt frais, du fait de la grisaille sans ambivalence affichée sur la pochette qui vous prévient des intentions qu’elle contient. Conchier l’humanité et l’harmonie, massacrer les inégalités, et nous éveiller à la réalité sociale d’une époque qui ne conçoit l’individualité que comme partie d’un tout, qu’il convient de privilégier, pour que la machine à billets puisse continuer de fonctionner.
Vous risquez d’implorer la pitié, mais les IMPLORE ne cherchent qu’à vous subjuguer. D’une frappe continue sur les rotules qui vont vous laisser handicapé. Des oreilles certes, et de votre libre arbitre, malmené par tant de pamphlets éructés et régurgités à vif.
Mais il y aura toujours deux façons de jouer du bourrin. Celle des allemands est la plus radicale, mais elle est valide.
Titres de l'album:
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