J’ai toujours aimé m’approprier l’œuvre des grands auteurs. Tiens, par exemple, dans mon imaginaire, Lewis Carroll aurait dépeint Alice en robe sexy à sequins largement échancrée du dos, flirtant avec Roger Rabbit dans un monde à la Alex Proyas ou Wes Anderson, ce qui aurait rendu l’autre côté du miroir bien plus fascinant. Le chapelier fou aurait eu des allures de gangster de la prohibition des années 30, et les aventures folles l’eurent été encore plus. Mais après tout, je ne suis que chroniqueur à l’imagination un peu trop fertile, et je n’ai jamais pu coucher sur papier des histoires comme celles-ci. En tant que musicien, j’ai essayé la folie parfois, mais les limites de mon chaos intérieur ne m’ont jamais permis d’atteindre les sommets atteints par Mike Patton, CAPTAIN BEEFHEART, les RESIDENTS ou même DEVO. Alors, le jour où j’ai rencontré les frappadingues suédois de DIABLO SWING ORCHESTRA, c’est comme si la prise de mon pauvre petit cerveau avait été branchée sur le triphasé d’une démence scandinave assez rare à trouver.
J’ai chroniqué tous les albums de la bande de Stockholm, du bébé premier à ce petit dernier, et jamais je n’ai été déçu par leurs délires baroques, hispanisants, lyriques ou déviants. J’ai accepté comme tout le monde le remplacement de l’irremplaçable AnnLouice Lögdlund par Kristin Evegård il y a sept ans, en espérant qu’elle ait le même degré de timbrage que son illustre consœur, et même si Pacifisticuffs m’avait emballé come un cadeau de Noël en avance, son ouverture avait déclenché chez moi quelques regrets des boules d’antan, celles que le chat griffait de toutes ses forces avant d’aller vomir ses croquettes. Pacifisticuffs était un excellent album, comme l’étaient les trois qui l’avaient précédé, mais la démence en tap-dancing de The Butcher's Ballroom me manquait terriblement. Le cabaret de l’impossible était toujours aussi chamarré, ses numéros de plus en plus travaillés, mais il manquait l’odeur de sciure, il manquait l’énergie du désespoir dont font preuve les artistes qui manquent de moyens, mais qui ont ceux de leur audace, des moyens qui ne se monnaient pas. Et je savais très bien que Swagger & Stroll Down The Rabbit Hole allait cruellement lui ressembler, professionnalisme oblige. Alors certes, les fauteuils de l’opéra de misère sont aujourd’hui en velours, et un programme est même distribué à l’entrée. Autant accepter cette progression, et se concentrer sur la musique, jouée comme une tragédie grecque revue et corrigée par Tex Avery.
Avec un line-up inchangé depuis le départ d’AnnLouice (Andy Johansson - basse, Johannes Bergion - violoncelle, Pontus Mantefors - guitare/claviers/didgeridoo/effets, Daniel Håkansson - guitare/sitar/chant, Daniel Hedin - trombone, Martin Isaksson - trompette, Johan Norbäck - batterie, Kristin Evegård - chant/piano), DIABLO SWING ORCHESTRA continue donc son parcours émaillé de coups de génie, de coups de Trafalgar, et de coups d’état, et nous propose encore une fois la musique la plus merveilleuse du marché, celle qui s’abreuve et s’enivre de toutes les liqueurs possibles sans oublier d’y ajouter une bonne dose de sirop. Encore une fois produit en compagnie de Roberto Laghi, Swagger & Stroll Down The Rabbit Hole se trémousse pendant une heure, ne ménage ni ses efforts ni ses effets, enfile un smoking en repassant les sarouels, et laisse Kristin porter la robe de bal mais aussi le costume de Madame Loyal.
Ecrit et composé en treize chapitres, dont certains atteignent des niveaux de métissage assez exceptionnel, ce cinquième album est évidemment encore un numéro hauts en couleurs de la part de suédois de plus en plus maîtres de leur art, qui n’hésitent plus à danser Electro Indus Metal pour rappeler à RAMMSTEIN que la Suède peut aussi se tanzeriser velu. On y trouve tout ce qu’on a toujours adoré de la part de ces iconoclastes, ce Jazz Folk déjanté comme une puce sur le dos de Demis Roussos, ce Metal de cabaret digne de tziganes convertis par Rob Zombie, ces instants acoustiques plus sensibles qu’on écoute d’une oreille attentive et le cœur au chaud près du feu, et évidemment, ces blagues construites qui font rire de joie les amateurs d’art baroque que nous sommes. Et si l’ensemble commence comme un disque de Pop atmosphérique bien gentil coincé dans ses bacs, ou comme la B.O d’un film sauvage, les aventures ne tardent pas à dévier vers un chemin beaucoup moins traditionnel via le classique hit d’entame que les DSO n’ont jamais eu le moindre mal à trousser. Ici, c’est le terrible et percutant « War Painted Valentine » qui fait office des trois coups de bâtons, dans les roustons, et entre ces arrangements latino et ce riff costaud, les hanches palpitent, les yeux crépitent, et la sarabande Rap/Metal/Jazz/Tango peut commencer.
Plus prosaïquement, Swagger & Stroll Down The Rabbit Hole est paradoxalement l’album le plus pro et le plus fou de la bande. Le plus pro puisque chaque détail de chaque composition a été soigné, mais aussi le plus fou puisque celui qui repousse encore plus les limites de l’impossible, qui finalement n’existe plus. On peut désormais s’attendre à tout de la part d’un groupe qui aurait pu se taper le duel avec n’importe quel fleuret électrique de l’écurie Ipecac.
La soie, l’organza le disputent au jean des salopettes et au cuir des casquettes, et le cabaret de l’étrange nous entraîne encore sur les pistes les plus sud-américaines via un « Celebremos Lo Inevitable », qui fête effectivement l’inévitable : le retour en fanfare(s) des enfants prodiges de nos samedis soirs. Mais l’humour ne se cache jamais bien longtemps sous le manteau du vol musical à la sauvette, et lorsque Kristin se retrouve à faire du speed-dating avec un pyromane, l’ambiance se réchauffe façon samba chantée par un Ricky Martin sous LSD. Tout y passe une fois encore, l’exubérance des conquérants, la timidité des courtisans, la Pop traditionnelle remise au goût d’une nuit plus Folk et POGUES que la moyenne, avec des chœurs sortis de l’imaginaire d’un programme Disney + (« Jig Of The Century »), jusqu’aux allusions à un passé pas si lointain que ça regardé du bon bout de la lorgnette (« Malign Monologues », qu’on aurait déjà pu écouter sur Pandora's Piñata).
Claviers ludiques, chœurs démoniaques, ambiance de dancefloor étrange coincé dans un hangar de dealers (« Out Came The Hummingbirds »), syncopes qui en donnent une bonne (« Snake Oil Baptism »), aveux en comptine d’enfant mode berceuse suédoise embrumée (« Les Invulnerables »), le spectacle est bluffant les costumes hypnotiques, et les pas de danse sur la piste démangent les guiboles d’un Devin Townsend qui se demande en se grattant la tête pourquoi il n’a pas pensé à ça avant…Mais Ziltoïd se trémousse come un bel alien à l’aise sur notre planète, et apprécie d’un rire tonitruant « The Prima Donna Gauntlet », gant de velours qu’on retire avec une sensualité extrême.
Mais lorsque le piano et les cordes veloutées nous rappellent à une nuit qui se termine, on esquisse une dernière fois un pas chassé pour ne pas sortir du bar et humer encore une fois ce parfum de folie. En compagnie des DIABLO, le swing de l’orchestre arrête le temps, fige le destin, et rend la vie plus belle de ce côté du miroir, le plus attirant des deux.
Titres de l’album:
01. Sightseeing In The Apocalypse
02. War Painted Valentine
03. Celebremos Lo Inevitable
04. Speed Dating An Arsonist
05. Jig Of The Century
06. The Sound Of An Unconditional Surrender
07. Malign Monologues
08. Out Came The Hummingbirds
09. Snake Oil Baptism
10. Les Invulnerables
11. Saluting The Reckoning
12. The Prima Donna Gauntlet
13. Overture To A Ceasefire
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