Dieu donne ses plus durs combats à ses plus forts soldats.
On connaît tous cet adage, mais il convient aujourd’hui de le nuancer pour l’adapter à une autre réalité. Car si Dieu n’aime rien tant que tester ses ouailles pour éprouver leur foi, son ancien ange désormais déchu Lucifer lui, préfère envoyer ses troupes les plus brutales mener les combats les plus difficiles. Les deux divinités ont donc plus ou moins la même approche, et se ressemblent beaucoup plus qu’il n’y parait. D’autant que de nos jours, la frontière entre le bien et le mal devient de plus en plus floue.
J’aurais pu m’abstenir d’une telle entrée en matière, tant la production Thrash 2023 a encore été florissante et abondante. Mais entre les mordus old-school, les traditionalistes indécrottables, et les habiles faiseurs s’appropriant un savoir-faire ancien, les raretés n’ont jamais autant mérité leur appellation, et les épiphanies n’ont pas été légion. Alors, tomber sur un disque de la trempe de Switch To Reset est un petit miracle qu’il convient de chérir comme il le mérite, puisque ce premier album est d’une perfection troublante.
CROSSFIRE n’a rien à voir avec ce groupe Heavy belge que les amateurs de poussière eighties affectionnent. Non, celui-là vient d’Irlande, le pays vert, à l’histoire troublée et violente, parfaitement retranscrite en musique ici. Et ce CROSSFIRE dublinois a choisi la voie Ô combien dangereuse d’un Thrash élaboré, subtilement technique, mais dense, débordant de violence, mais aussi de nuances. Et c’est justement cet équilibre qui en fait la richesse.
Conor Jordan (basse), Kevin O’Connor (chant/guitare), Dan O’Connor (batterie) et Matt O’Brien (guitare) se fréquentent depuis une bonne grosse décennie, mais n’ont pour le moment gravé qu’un simple EP, lâché il y a déjà cinq ans. Bound in Skin permettait déjà d’apprécier l’art des irlandais pour tisser des ambiances prenantes, mais autant dire qu’il n’arrivait pas à la cheville de ce fantastique Switch To Reset, qui comme son titre l’indique, nous force à un redémarrage de la machine en fin d’année pour pouvoir continuer à travailler au corps une actualité musicale brûlante.
Brûlant, le mot est juste. Le Thrash du quatuor sait évidemment se montrer abordable, avec ses nombreuses harmonies empruntées au répertoire de METALLICA ou MEGADETH, syncopé proprement comme seul Jeff Waters sait découper ses licks, mais aussi puissant qu’une charge virulente de VIKING ou DARK ANGEL. Le meilleur des deux mondes, d’autant que les ambitions sont clairement affichées dès le départ. Avec une heure de musique pour huit morceaux, Switch To Reset n’a pas emprunté le chemin le plus facile, et louvoie avec beaucoup d’intelligence entre ses influences. En résultent des morceaux qui frappent comme cette tonitruante ouverture « Switch To Reset », découpée comme une dinde de Thanksgiving, ou qui caresse dans le sens du poil comme cet instant de tendresse amère qu’est « Lost All Control ».
Mais alors, qu’est-ce qui distingue le quatuor de Dublin de ses confrères old-school ? Une envie d’aller plus loin, de combiner les écoles pour réunir les fans dans un même élan, entre technique affutée, puissance ouverte, et velléités progressives manifestes. Et avec une première moitié de métrage atteignant presque la demi-heure, il n’est guère difficile de comprendre que CROSSFIRE a beaucoup plus de choses à dire et à jouer que nombre de ses frères d’arme.
Un Master of Puppets contemporain ? Un Never, Neverland extrême ? Un So Far, So Good….So What ? plus propre et calibré ? Un peu tout ça à la fois, même si les irlandais savent se détacher des tutelles encombrantes pour développer son propre savoir-faire. Et entre les soli irrésistibles de Kevin O’Connor et la solidité de la rythmique Conor Jordan/Dan O’Connor, Switch To Reset bénéficie d’un traitement de première classe.
Certes, le fond de l’air est connu et sifflé, mais l’intelligence dans l’agencement des morceaux permet au quatuor de sublimer son traditionalisme. Difficile en effet de résister à la charge rude « Coercion » qui braille à la limite du Death/Thrash, ou du précis et précieux « Turned To Stone » qui rappellera à quel point METALLICA et MEGADETH ont été importants pour la culture US brutale mais raisonnable.
On se dit de temps à autres qu’un HEATHEN très inspiré aurait pu signer pareilles chansons durant sa période la plus ambitieuse (celle de Victims of Deception s’entend), et la bonne impression dégagée par la première partie de l’album se transforme en révélation à l’occasion d’un triptyque final faisant la part belle aux évolutions et autres circonvolutions harmoniques.
« Guns For Hire » prépare habilement le terrain, et se repose sur son riff redondant et ses accélérations impromptues, pour que « Prometheus », le premier des hommes ne revienne nous conter fleurette…en prenant méchamment son temps.
Quintessence absolue de ce que le Thrash a toujours pu incarner de plus musical, cet épilogue de plus de dix minutes fait encore une fois honneur à METALLICA et cette vague californienne inévitable, et met l’emphase sur l’oppression rythmique, avant de décoller d’un up tempo rageur et fédérateur. Avec une grande place laissée à un solo d’anthologie qui flirte avec le talent des plus grands instrumentistes, « Prometheus » est une dernière étape d’une valeur énorme, fait d’autant plus remarquable que le titre est un…instrumental. On se souvient donc des « Orion », et autres « The Ultra-Violence », nostalgie d’une époque ou cet exercice de style était incontournable.
CROSSFIRE est donc ma révélation tardive d’une année 2023 tout aussi riche que ses aînées. Une révélation qui risque de se transformer en passion, pour peu que les chapitres suivants de cette saga soient aussi bien écrits.
Titres de l’album:
01. Switch To Reset
02. Book Of The Dead
03. Lost All Control
04. Who Goes There?
05. Coercion
06. Turned To Stone
07. Guns For Hire
08. Prometheus
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