L’histoire d’amour qui me lie à MEKONG DELTA ne date pas d’hier. Alors que dans les années 80 ma quête de l’extrême allait me mener sur les chemins dangereux du Death, du Grind et de toute autre excroissance bruitiste, elle m’entrainait aussi dans les pas de musiciens plus ambitieux techniquement parlant, et c’est ainsi que je découvris l’univers si particulier du Techno-Thrash, genre unique mêlant la complexité du Jazz à la puissance du Metal. De cette découverte, je retenus trois ou quatre groupes majeurs, dont celui si mystérieux de Ralph Hubert, ingé-son et propriétaire du label Aaarrg Records, qui au travers du médium MEKONG DELTA exprimait alors ses envies d’un ailleurs musical abscons. Tombant en 1987 sur un LP éponyme à la pochette étrange, je tombais immédiatement sous le charme de cette complexité étrange, de ce dédale de sons qui s’imbriquaient comme par miracle, et depuis plus de trente ans, ma passion ne s’est jamais éteinte. Certes, je le reconnais facilement, rarement album enregistré après la révélation des pseudos a trouvé place sur ma platine, place réservée aux miracles The Music of Eric Zann ou The Principle of Doubt, les deux chefs d’œuvres du concept avant que les obsessions pour la musique classique slave n’envahissent les pistes. Pour autant, je n’ai jamais abandonné ma tâche et j’ai chroniqué toutes les œuvres parues après la réunification des années 2000. Et de la reprise de contact Lurking Fear jusqu’au petit dernier In a Mirror Darkly, en passant par Intersections et Wanderer on the Edge of Time, ma prose a toujours été au rendez-vous de l’imagination de Ralph et ses acolytes. Il est donc tout à fait logique qu’en 2020, elle reprenne du service pour le onzième tome de cette incroyable aventure. Il faut dire que mon appétit était aiguisé par les différentes déclarations de Ralph sur le site officiel du groupe : le tempétueux bassiste déclarait en effet à l’assemblée que Tales of a Future Past serait à n’en point manquer l’album le plus ambitieux et technique de la formation, et en repensant aux deux chefs d’œuvre énoncés plus haut, je n’en étais que plus intrigué. Mais me méfiant naturellement de la confiance déplacée des arguments promo, j’abordais l’écoute avec circonspection. J’avais tort, et Ralph raison : Tales of a Future Past est en effet l’œuvre la plus proche du répertoire originel.
On retrouve les constructions si alambiquées de The Music of Eric Zann, et la mystique confinée de The Principle of Doubt. En développant dans des articles l’enregistrement de ce nouvel opus, Hubert s’épanchait sur les trois semaines nécessaires à l’enregistrement de ses parties de basse. Mais ceci ne suffisant pas à confirmer la parution d’un travail de haute tenue, j’attendais le résultat final avant de me prononcer. Et la sentence est sans appel : ce onzième album studio à de faux airs de synthèse parfaite des trois premiers disques du concept, ceux-là même qui ont déclenché tant de passions et d’interrogations. « Mental Entropy » donne le la, et lâche l’arythmie la plus inextricable, sur fond de riffs se métamorphosant comme des créatures d’une autre dimension. En adaptant sa musique à l’incroyable artwork du français David Demaret, MEKONG DELTA retrouve une seconde jeunesse, et excuse les quelques facilités de ses quatre derniers albums. Ici, point de pilotage automatique, point d’audace novatrice, juste des fondamentaux repris à la sauce 2020, à tel point que la production elle-même donne le sentiment de dater des années 80. Le son est aussi sourd qu’à la grande époque d’Aaarrg, ce qui convient parfaitement aux pistes proposées. En copiant légèrement le titre d’un des épisodes de la saga X-Men (Days of Future Past), Ralph assume subtilement les superpouvoirs de ses musiciens et les siens, et sa capacité à puiser dans son propre répertoire de quoi alimenter la machine à fantasmes de ses fans. Pourtant, cet album aura souffert d’un handicap temporel assez important. Plus d’un an après sa finalisation, il vient à peine de heurter le marché, et aurait pu se retrouver coincé dans des cartons en attendant des jours meilleurs. Mais aujourd’hui, jour de déconfinement pour la population française, il est là et bien là, et nous entraîne dans un voyage dans le temps de première classe, sorte de trip nostalgique ultime, laissant autant présager d’un futur incertain que d’un passé plus ou moins trouble.
Pour l’occasion, Ralph retrouve un de ses anciens lieutenants, qui avait collaboré avec lui pour l’enregistrement de Lurking Fear, le guitariste Peter Lake (THEORY IN PRACTICE). A ses côtés, les associés habituels, Alex Landenburg (batterie, CYHRA, KAMELOT, LUCA TURILLI'S RHAPSODY) et Martin LeMar (chant, LALU, TOMORROW'S EVE). Soit une configuration assez classique depuis la reformation, pour un album qui ne respecte pas vraiment le schéma établi durant cette période. Et sans vraiment surprendre encore totalement, « Mental Entropy », choque légèrement de son hermétisme et de ses ambitions clairement techniques. Arythmie constante, chant enterré dans le mix comme à la grande époque, climat anxiogène, entre hermétisme d’un futur encore inconnu et crainte d’un passé qui se reproduit, mélodies amères directement héritées de The Principle of Doubt, pour un résultat global entre jonction des époques. En écoutant les lignes de basse de Ralph, on comprend aisément pourquoi l’homme a dû passer plus de trois semaines concentré sur son instrument, et très rapidement, « A Colony of Liar Men » appuie sur la corde de la confirmation, scellant le destin des deux premières époques du groupe. Les riffs retrouvent cet allant étrange qui transforme des guitares en couloirs de labyrinthe, et l’ambiance générale, biscornue et multidirectionnelle nous ramène en 1988/89 et la révélation d’un groupe unique en son genre. Evidemment, les influences classiques sont assimilées depuis longtemps, et plus seulement confinées à un seul titre de l’album. On les rencontre au détour de plusieurs passages plus harmoniques que la moyenne, et surtout, dans la complexité des arrangements instrumentaux. Les breaks et cassures sont si nombreux qu’on se demande parfois si le titre a changé ou pas, mais la lecture n’est pas gênée par une trop grande difficulté à suivre. « Landscape 2 – Waste Land » confirme cette présence classique avec son déroulé digne d’une BO de Ridley Scott, et même si l’orchestration sonne un peu trop synthétique pour vraiment faire vibrer la fibre classique en nous, la guitare de Peter Lake s’arrange pour faire passer la pilule.
« Mindeater » retrouve de son côté la méchanceté Thrash des années Eric Zann et « Hatred ». Il est décidément très plaisant de constater que le groupe se rapproche de ses racines pour signer le quatrième volet d’une tétralogie qui n’aurait jamais pu exister sinon. Et sans vouloir révéler tous les détails d’un travail qui repose sur l’effet de surprise de la nostalgie, autant dire que chacun des chapitres de ce nouveau tome réserve son lot de plaisir. L’attention se portera évidemment sur le très long et évolutif « When all Hope is Gone », qui de ses presque dix minutes reste le pôle d’attraction de Tales of a Future Past. Sorte de mélange improbable entre KING CRIMSON et les propres délires de Ralph Hubert, ce titre est l’acmé d’un album qui ne ménage pas ses efforts pour séduire les fans de la première heure, les fans regrettant ces productions maison qui enfouissaient les prouesses techniques sous un magma de fréquences tamisées et de dynamiques bridées. Mais pour ne pas se contenter d’un simple retour en arrière, aussi enrichissant soit-il, MEKONG DELTA se propose aussi d’aborder le Progressif des années 70 via l’acoustique et délicat « A Farewell to Eternity », avant de terminer par une dernière bourrasque de violence précise et un « Landscape 4 – Pleasant Ground » faisant montre de toutes les capacités de musiciens en parfaite osmose. Avec Tales of a Future Past, le quatuor a offert à ses fans le plus beau des cadeaux, un regard en arrière sur sa propre légende, tout en osant la faire évoluer pour accepter les exigences de notre nouveau siècle. De là à considérer ce onzième tome comme la suite logique du magnum opus The Principle of Doubt, il n’y a qu’un tout petit pas de fourmi que je franchis allègrement.
Titres de l’album :
01. Landscape 1 – Into the Void
02. Mental Entropy
03. A Colony of Liar Men
04. Landscape 2 – Waste Land
05. Mindeater
06. The Hollow Men
07. Landscape 3 – Inharent
08. When all Hope is Gone
09. A Farewell to Eternity
10. Landscape 4 – Pleasant Ground
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Quand on se souvient du petit son des années 80... Mais la prod ne fait pas tout, ça reste du pilotage automatique. C'est pas avec un truc pareil que je vais me réconcilier avec eux, et ça fait 20 piges que ça dure.
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