S’il est un style de Metal qui s’accommode fort bien d’un chant en français, c’est bien le Black Metal. Il faut dire aussi que les musiciens du cru – et spécialement les paroliers – font des efforts immenses pour faire sonner le verbe avec la musique, ce qui donne souvent lieu à des juxtapositions poétiques superbes, toujours en lien avec une certaine approche de l’occultisme, et de l’histoire avec un grand H.
Les AVE TENEBRAE ne font pas exception à cette règle mais la confirment avec leur second album au titre évocateur, Tandis que les Parjures se Meurent, dont la pochette nous offre une splendide peinture sombre tout à fait en adéquation avec le style pratiqué, à la croisée des chemins entre un BM progressif, un Death évolutif, et un Heavy massif, évoquant bien des références que les originaires du Val D’Oise parviennent à fondre dans un univers très personnel et disons-le, envoutant.
L’histoire d’AVE TENEBRAE remonte à la fin des années 90, lorsque Julien Hovelaque décide de monter sa propre entité pour exposer ses vues sur une musique extrême, mais riche et mélodique.
Les années passant, le groupe publie des démos à intervalles réguliers, Lord of Banshees en 1999 et A L’Aube Du Sacrifice en 2000, avant que la créature ne s’endorme et que le projet ne connaisse un hiatus jusqu’en 2009.
De retour avec une troisième démo, Aux Portes de L’Empyrée, AVE TENEBRAE semble enfin prêt à signer son grand retour avec un premier LP, Les Chants de Mnemosyne. Toutes les composantes du concept sont là, et l’orientation du groupe commence à se clarifier, mais il faudra encore trois ans pour que M & O Music publie enfin la suite des aventures, Tandis que les Parjures se Meurent, disponible depuis le mois de novembre.
Aujourd’hui, Julien (guitare/chant) se retrouve épaulé par Damien Hovelaque (basse, depuis 1998), et Sacha Clerc-Renaud (guitare depuis 2006), trio soutenu par la performance studio de Cédric 'Viken' de NIGHTCREEPERS à la batterie.
En écoutant ce deuxième effort, on sent une véritable osmose entre les musiciens, stylistique et technique, puisqu’une fois de plus, la part belle est faite aux longues évolutions majestueuses et amples, dans un créneau de Black progressif aux subtils accents de Death qui permet au groupe de nous entraîner dans son monde sans avoir besoin de se mettre à genoux ou d’expliquer ses parti-pris.
Aussi généreux qu’il n’est misanthrope, Tandis que les Parjures se Meurent se veut démonstration d’une fascination pour l’Antiquité, et place à la même hauteur aspirations littéraires et musicales, fonctionnant comme une chanson de geste en sept chapitres, qui se complètent à merveille, sans pour autant que leur homogénéité ne nuise à l’originalité de chaque pièce prise indépendamment.
Pour situer sa démarche, le groupe cite quelques influences notables, dont DISSECTION qui en effet semble avoir rayonné de sa dualité lumière/ténèbres sur l’inspiration du groupe, mais aussi AT THE GATES pour ces multiples emprunts au Heavy Metal, ainsi que LORD BELIAL pour l’intensité Black qui se dégage des sillons. D’autres se sont permis quelques parallèles intéressant, avec ENSLAVED notamment, mais il est évidemment possible de trouver trace d’innombrables modèles tant la musique émanant des sillons de ce deuxième album parvient à capturer l’essence même de l’extrême mélodique, tout en aménageant des parties très sombres et lapidaires.
Pour être honnête, avec des compositions flirtant souvent avec les sept minutes, il est impossible de se faire une opinion viable après une ou deux écoutes sommaires. Tandis que les Parjures se Meurent est de cette caste d’albums complexes qui requièrent une attention particulière, tant leur richesse est dense et leur complexité d’importance.
Si les plans purement BM ne sont jamais étendus au-delà du raisonnable, l’équilibre entre Black, Death, Thrash et Heavy est parfois si parfait qu’on a le sentiment d’assister à l’émergence d’une nouvelle orientation (« Quand Notre Monde a Perdu son Eclat »), et AVE TENEBRAE a souvent recours à des astuces harmoniques héritées de la NWOBHM pour agrémenter ses morceaux déjà touffus d’une dimension supplémentaire.
Outre le chant très écorché et cauchemardesque de Julien, on remarquera bien évidemment le travail incroyable accompli par un duo de guitaristes à la gémellité frappante, qui n’ont de cesse de se compléter avec flair, et la puissance imaginative d’une rythmique polyvalente qui s’adapte à tous les climats imposés.
Difficile de parler de cet album. Il se ressent en premier lieu, et ce, dès l’entame grandiloquente et funèbre de « A Travers la Prairie d'Asphodèles », qui introduit le conte à grand renfort de guitares un peu acides mais hautement mélodiques. Basse qui dispose d’une place suffisante pour nous envouter de ses arabesques et circonvolutions (beau travail d’arrangements de Damien), et qui annonce une explosion BM déracinante, qui toutefois ne tombe jamais dans le piège du chaos trop touffu et désorganisé.
La production somme toute assez claire ne semble handicaper que les fréquences les plus graves de la batterie qui se perdent dans un écho mat, mais l’équilibre entre les instruments est travaillé, et met en valeur la luxuriance des tons qui se veulent aussi abordables qu’abrasifs.
Fréquents intermèdes en arpèges, passages en blasts intenses, et une accumulation de rondes qui nous enfoncent dans un univers occulte fantasmagorique (« La Tristesse du Bien Divin », qui démarre sur les chapeaux de roue avant une fois de plus de partir dans les dédales d’un Death progressif à la DEATH particulièrement prenant), segments plus brefs pas moins complexes pour autant (« La Table D’Emeraude », assez proche d’un CARCASS de fin de carrière en plus ambitieux), pur terminer sur une énième digression cinématique (« Tandis que les Parjures se Meurent »), qui ose l’écrasement rythmique en intro pour une fois de plus nous faire perdre nos repères en jouant l’alternance entre fausses accalmies et réelles crises de colère Death/Black impressionnantes de maîtrise instrumentale.
Extraordinaire réussite que ce second LP des AVE TENEBRAE, qui confirment en sept titres tout le bien que l’on pensait déjà de leur univers hermétique et pourtant si chaleureux.
Même si les textes fouillés sont difficilement compréhensibles, leur phonétique s’accorde parfaitement de ce bouillonnement créatif incessant, et Tandis que les Parjures se Meurent se pose en nouvelle pierre angulaire d’un style complexe, et prouve une fois de plus que la scène BM française est une des meilleures du monde, si ce n’est la plus imaginative.
Un album à écouter avec attention et ouverture, à réécouter pour en saisir toutes les nuances, et à ne jamais ranger trop loin dans les étagères de sa discothèque pour pouvoir le garder à portée de main.
Titres de l'album:
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