Tchornobog

Tchornobog

28/07/2017

I, Voidhanger Records

Je vous le disais, je vous le répète, et je vous l’assène, oui, le Black est sans doute la forme la plus riche et aboutie du spectre de l’extrême. Pour peu que ses pratiquants tolèrent le métissage si honni aux origines du style, celui-ci peut alors proposer des extensions de plus en plus intéressantes. L’argument mérite d’être rappelé de façon générique, mais se veut plus pertinent lorsqu’il est spécifique, ce qui est évidemment le cas aujourd’hui. Pour l’illustrer, j’aborderai donc un cas concret, et assez fascinant dans les faits. Le cas TCHORNOBOG est relativement fascinant, comme la plupart des sorties proposées par le label I, Voidhanger, puisqu’il se veut point de convergence entre trois sous-genres différents, complémentaires, mais souvent opposés et traités avec discernement et en vase clos.

Si le Death et le Black s’accordent très bien de leurs convergences, et si le Death et le Doom ont souvent fricoté ensemble au point de mettre au monde une quantité effarante d’enfants illégitimes, le BM, le Death et le Funeral Doom ont rarement partagé la scène à parts égales, ce qui rend ce premier album fondamentalement passionnant, bien que très difficile d’approche.

Il aura nécessité une gestation assez longue, puisque ses origines remontent à la fondation du concept il y a huit ans, et aura été enregistré en 2015, pour une sortie en été 2017, ce qui indique que le compositeur principal (et unique d’ailleurs) aura soigné les moindres détails de son grand-œuvre.

Unique compositeur, et musicien presque solitaire aussi. Car derrière le paravent nominal de TCHORNOBOG se cache en fait l’ukrainien Markov Sokola, qui avec Tchornobog nous propose un nouveau voyage aux confins de son imagination. Déjà responsable des projets AUREOLE et SLOW, Markov s’est une fois de plus laissé embringuer dans les dédales de sa psyché, pour nous offrir une aventure unique, se découpant en quatre longs segments, dont la durée pourra rebuter les plus modérés d’entre vous.

Avec un chapitre de douze minutes comme entrée la plus brève, ce premier album ne ménage pas vraiment nos nerfs, et les met d’ailleurs à rude épreuve dès son entame qui se permet une digression de plus de vingt minutes. Dès lors, deux options s’offrent à votre sens de la déduction. Soit une très longue et inamovible litanie va déchirer vos entrailles sans vous offrir la moindre variation, soit la multiplication des idées justifie ces extensions exagérées. Une petite indication avant de vous laisser plonger dans les eaux perturbées de l’inspiration de Markov, la réponse se situe plus ou moins à équidistance de ces deux destinations.

Loin d’être un monolithe pénible et écrasant, Tchornobog propose suffisamment d’idées, de riffs, et de changements de rythme pour maintenir votre attention, même si certains thèmes sont étirés pour ne pas avoir à se renouveler trop souvent. Et de fait, TCHORNOBOG navigue donc entre un BM sourd, diffus et relativement violent, un Death sombre et rauque, et un Doom tirant sur le Funeral, sans trop appuyer sur l’emphase et la redite pachydermique. En somme, le meilleur des trois mondes pour un univers très décalé, mais surtout ténébreux, oppressant, faisant la part noire aux incantations sentencieuses et aux intonations graves en écho.

« Le but de ce projet est de concevoir le corps comme une créature empathique, pour pouvoir comprendre à la fois le moi profond, mais aussi trouver un sens au monde qui nous entoure. Le Tchornobog est une entité, monumentale de mon désir personnel de combattre mes démons intérieurs qui prennent forme à travers elle. Je pense que tout le monde lutte contre son propre Tchornobog à sa façon. Voici donc la mienne ».

C’est donc ainsi que l’auteur/compositeur/interprète exorcise ses démons en musique, et qu’il traite de sujets qui le touchent, comme la religion, les déséquilibres mentaux, mais aussi les hallucinations auditives. Enregistré, mixé et masterisé au studio Emissary de Reykjavik en Islande par Stephen Lockhart, avec la participation rythmique de Magnús Skúlason derrière le kit (SVARTIDAUÐI), TCHORNOBOG est un gigantesque puzzle sonore qui pourrait tout aussi bien incarner la vie dans sa complétude la plus totale, comme le cauchemar d’un homme confronté à sa propre nature.

Une métonymie/allégorie en quelque sorte, qui s’articule musicalement autour d’une poignée d’inspirations fluctuantes, qui permettent à Sokola de rebondir sur des humeurs opposées/associées sans sauter du coq à l’âne. On retrouve donc de superbes parties instrumentales hypnotiques, à la limite du Post Metal et du Post Black (« Non-Existence's Warmth », qui juxtapose en toute schizophrénie des mélodies d’arpèges pures à des grognements d’arrière-plan assez effrayants), mais surtout, une exploration de la violence assez exhaustive, qui utilise tous les moyens mis à sa disposition par le Death, le BM et le Doom pour parvenir à ses fins.

Et une fois n’est pas coutume, le long morceau d’entame « The Vomiting Tchornobog » est loin de synthétiser toute l’affaire du haut de son tiers d’heure, puisque chaque entrée à sa propre raison d’être, et diffère de la précédente, tant au niveau du fond que de la forme.

Si « Hallucinatory Black Breath Of Possession » ose une crudité s’incarnant dans un nœud de blasts qui vous enserre la gorge, et qu’il ne respecte que peu de temps morts en se repliant sur la position fœtale d’un Black Metal froid et caverneux, « Here, At The Disposition Of Time » joue au contraire en clôture la carte de la pluralité Death/Doom/Black en incendie terminal.

On pourrait même parler de crossover d’avant-garde tant les genres sont abordés avec une patte très personnelle, tant dans la production que l’interprétation. On trouve des traces diffuses d’INCANTATION, d’EMPEROR, de NEUROSIS, d’ISIS, ou de DEATHSPELL OMEGA, mais surtout beaucoup de choses plus personnelles, comme le démontre sans attendre « The Vomiting Tchornobog ».

Il est donc facile de comprendre dès le départ que l’entreprise se voulait à la base novatrice, sans pour autant savoir où souhaite nous emmener l’artiste qui cache bien son jeu. Mais il reste crédible dans tous les secteurs, de l’instrumental à la composition, et ose lâcher quelques pavés dans la mare pour faire avancer les choses. De fait, son album est une pure réussite, qui ne montre aucune faiblesse ni ne tolère de baisse de régime. Entre deux accélérations progressives, un ralentissement suffocant, et des déviances harmoniques malsaines, Tchornobog dépeint un monde intérieur qui pourrait être votre, pour peu que vous combattiez aussi votre propre monstre. Mais n’est-ce pas ce que nous faisons tous ?

Alors non, cet album n’est pas uniquement Black. Loin de là. Je préfère le concevoir comme un disque de Metal très extrême, qui refuse les barrières et clivages, et qui puise à l’essence du mal son énergie du désespoir. Et plus qu’un simple LP, c’est un combat. Une lutte contre le statisme, et contre l’inéluctabilité de la nature humaine.

Et plus simplement, une réussite artistique aussi tétanisante que libératrice.


Titres de l'album:

  1. The Vomiting Tchornobog (Slithering Gods Of Cognitive Dissonance)
  2. Hallucinatory Black Breath Of Possession (Mountain-Eye Amalgamation)
  3. Non-Existence's Warmth (Infinite Natality Psychosis)
  4. Here, At The Disposition Of Time (Inverting A Solar Giant)

Bandcamp officiel


par mortne2001 le 29/07/2017 à 18:01
88 %    1411
Derniers articles

Dr. Feelgood

mortne2001 29/03/2025

Live Report

1000Mods + Frenzee

RBD 24/03/2025

Live Report

Datcha Mandala

mortne2001 22/03/2025

Live Report

Wishbone Ash

mortne2001 18/03/2025

Live Report

Peter Hook and the Light

RBD 14/03/2025

Live Report

Fanzinat - Projection du Documentaire

mortne2001 23/02/2025

Live Report

Voyage au centre de la scène : HOLY RECORDS

Jus de cadavre 23/02/2025

Vidéos

Obscura + Gorod + Skeletal Remains

RBD 17/02/2025

Live Report

Doom, Rock'n'Roll & Vin rouge

Simony 10/02/2025

Interview
Concerts à 7 jours
Tags
Photos stream
Derniers commentaires
NecroKosmos

Concert complet à Nantes. Pas pu y aller. Crotte...

30/03/2025, 07:45

Simony

        

29/03/2025, 07:56

Simony

Je n'avais pas été vraiment convaincu par l'album précédent, trop gonflé aux hormones inutilement, là ça respire, ça pue le old-school à plein nez, ça sent l'achat !

29/03/2025, 07:54

Simony

On va peut-être vous ouvrir un sujet "La Géopolitique vue de ma fenêtre" dans le forum, ça pourrait vous être utile parce que je ne suis pas certain que ça passionne tout le monde tout cela....En tout cas, étant donné qu'il y(...)

28/03/2025, 17:07

Zoubida

28/03/2025, 09:03

Humungus

Metalnews = RMC "Les grandes gueules"... ... ...

28/03/2025, 07:04

Zgueg

"Oui, comme nous en France en 1914 quand nous voulions récupérer l'Alsace et la Lorraine. Rien de choquant pour moi."Ouais, rien de choquant. Cet idiot utile de Zelensky avait juste faite sa campagne en faveur de la paix. 

27/03/2025, 20:46

Jus de cadavre

"Poutine ne s'est pas levé un matin en se demandant ce qu'il pouvait faire ce jour-là, puis a décidé que d'envahir l'Ukraine, ce serait marrant"Ça c'est une certitude, pour Poutine l'Ukraine c'est la Russie. Po(...)

27/03/2025, 20:18

MorbidPSG

Et l'Ukraine n'a pas respecté les accords de Minsk, Zelensky déclarant même vouloir récupérer le Dombass par n'importe quel moyen.C'est un peu plus compliqué que les Russes ont envahi l'Ukraine (Poutine ne s'est pas lev(...)

27/03/2025, 19:36

Jus de cadavre

Génocide ou pas, il y a un pays qui en a envahit un autre (du moins il essai hu hu). Point barre. C'est pas plus compliqué que ça. Si on cherche à justifier ou excuser ça, le monde va devenir un enfer total (plus qu'il ne l&apos(...)

27/03/2025, 16:49

CHUCK MAURICE

Je ne vois pas pourquoi les fans Russes du groupe devraient pâtir de la politique de POUTINE et être privés de les voir en live.  La prochaine étape c'est quoi ? obliger tous les groupes à arborer un drapeau ukrainien ?

27/03/2025, 15:53

DL100

Ce que tu fais MorbidOM, c'est une généralité pour tout un peuple. Marrant, quand on fait ça avec un pays d'Afrique ou du Moyen-Orient, on est aussitôt taxé de "fachos"...

27/03/2025, 10:22

MorbidPSG

27/03/2025, 06:02

MorbidOM

Il me semble que lorsqu'on parle de “désukrainiser” l'Ukraine on est pas loin d'une logique génocidaire.Après mon jugement est peut-être influencé par les massacres de Boutcha ou la déportation de dizaines de milliers d&ap(...)

26/03/2025, 20:47

Invité

La milf est de retour !

26/03/2025, 19:16

Satan

J'aime beaucoup Céleste mais il était en effet d'une bêtise incommensurable que de faire telle tournée. Après, il ne faut pas se plaindre des conséquences, assez cohérentes avec les vives tensions géopolitiques actuelles.Apr&egr(...)

26/03/2025, 16:53

DL100

MorbidOM qui critique ( à juste titre ) les donneurs de leçons... mais tout en endossant lui aussi le rôle de donneur de leçons !!

26/03/2025, 14:33

Ivan Grozny

La Russie organise un génocide ? Il faut faire attention aux mots qu'on écrit parfois.

26/03/2025, 13:42

Ivan Grozny

Merci oui c'était bien eux. J'avais beaucoup aimé leur prestation sans donner suite, c'est l'occasion de se rattraper.@Buck Dancer : sur Reign of infinite je trouve également.

26/03/2025, 13:37

MorbidOM

Pour une fois je soutiens complètement les festivals qui ont autre chose à faire que de se farcir ce genre de polémique. Ça n'a rien à voir avec exhumer des paroles volontairement provocantes écrites il y a 20 ans. Et puis on parle quand (...)

26/03/2025, 11:24