Encore une découverte intéressante en provenance d’Europe centrale, qui décidément semble s’éveiller aux courants extrêmes en vogue dans le monde entier et bénéficier de moyens suffisants pour exprimer ses vues sur une musique beaucoup moins linéaire que celle de ses homologues scandinaves ou américains.
Direction Pécs, en Hongrie, pour y rencontrer un trio adepte du mélange des genres, et qui n’hésite pas à incorporer des éléments de Hardcore sombre dans son BM opaque, en traitant le tout via un prisme de Sludge et Post Black assez fascinants dans les faits et intelligents dans la démarche.
Rencontrons donc ce matin les membres du trio CVLT OF GRACE (Zoli – basse/chant, May – guitare/chant et Matyi – batterie), qui selon la bible Encyclopaedia Metallum ont sorti en août de l’année dernière leur premier EP cinq titres, qui pourrait bien représenter le point de départ d’une longue et riche carrière, entre et hors de leurs frontières on l’espère.
Sous une pochette à l’esthétisme antique et morbide se cache donc un EP très riche, qui finalement brouille toutes les pistes et offre un point de vue glauque et opaque sur le Metal extrême contemporain, en osant aller plus loin qu’un simple BM dénaturé de Hardcore.
A l’écoute de ce Tears, il est évident qu’on n’en versera aucune tant le mélange est homogène et efficace, évoquant tout autant les TRAP THEM (une des influences du groupe) que les UNSANE ou BOTCH et la ligue des MARTYRDOD ou CULT LEADER, soit la crème de la crème de la liberté violente et décadente de ces dix dernières années, sans aucun complexe.
Mais loin de recycler des influences déjà épuisées par bon nombre de leurs frères d’armes, les CVLT OF GRACE préfèrent se poser en tant que nouveaux chantres d’un Post Metal encore plus dense et nihiliste que la plupart de la production, triturant les sons pour n’en retenir que les plus abrasifs et provoquants.
Post Metal dans un nouveau sens du terme, car inutile de s’attendre à de longues digressions stériles et faussement mélodiques censées caractériser un spleen harmonique souvent très pauvre musicalement. L’efficacité et la véhémence sont les objectifs principaux de ce trio qui ne fait rien comme les autres, et qui finalement suggère une nouvelle catégorie, celle du Chaotic Post Black, à mi-chemin entre un Sludgecore vraiment suintant à la PRIMITIVE MAN maltraité par un maniement instrumental sans concession à la BOTCH, cloué au lit par une fièvre Post Black refilée par les salauds de LITURGY.
L’image vous semble abstraite et quelque peu absconse ? Ne vous inquiétez pas, la musique proposée sur les cinq morceaux de cet EP est beaucoup plus simple à appréhender qu’il n’y paraît, et place en exergue un sens rythmique suffocant doublé d’une efficacité de riffs pourtant roublards qui pillent le répertoire Urban Hardcore des nineties sans aucune retenue. Du BM sale et pourrissant, aux derniers réflexes musculaires Sludgecore, qui se traînent dans les caniveaux et bas-fonds de l’humanité avec un dernier accès de rage Chaotic Core, tel est le tableau dépeint par ce Tears, qui en effet semble pleurer le destin d’une humanité qui n’en est plus que de nom.
Fondé en 2011 et passé de l’état de quintette à celui de trio, les CVLT OF GRACE ont d’ailleurs perdu leur bassiste durant l’enregistrement de cet EP, ce qui a conforté les trois membres restants dans l’idée que la formulation la plus resserrée leur convenait à merveille.
Et il est certain qu’à trois, ils n’ont besoin de personne pour exprimer leurs vues sur des thèmes variés, d’actualité évidemment, avec leur opinion sur la crise des migrants les plaçant en porte à faux avec leur propre gouvernement, mais à vrai dire, ils préfèrent de loin, que chacun puisse se faire son propre avis sur leurs textes, ainsi que sur leur musique, assez difficile à situer comme je l’ai déjà expliqué.
Il est de plus évident qu’en évitant de citer trop d’influences, les trois musiciens ont pris le parti de laisser parler leur originalité, qui passe par une diversité de climats et de tempi, comme le démontrent les deux premiers titres de l’album, indissociables et complémentaires.
« From Hell (Land of Anxiety) » et « To Hell (Land of Ignorance) » est justement le diptyque focalisé sur la situation catastrophique de ces populations fuyant un enfer pour en rejoindre un autre, le premier physique et moral et le second philosophique et d’opinion, se voyant rejetés de leur propre pays en guerre pour en atteindre un autre où ils sont perçus comme des envahisseurs encombrants.
Pour accompagner cette analyse, les CVLT OF GRACE ont choisi d’amalgamer la puissance chaotique du Hardcore et du Crust, la violence sourde du BM, et la véhémence lourde du Sludgecore, pour obtenir un résultat qui dérange et provoque, de ses soudaines accélérations épidermiques rompant la monotonie d’un beat monolithique et atonal.
« Dogfaced Children » de son côté pourrait s’apparenter à une forme nouvelle de Blackened Hardcore, ou de Sludge opacifié de Post BM désincarné, mais les fulgurance Crust et D-beat nous aiguillent sur un autre terrain une fois de plus, un terrain mouvant où la chute est toujours possible et même inévitable.
Mais les trois Hongrois restent fermement campés sur leurs positions aussi fluctuantes soient-elles, ce que confirment les deux segments finaux, plus compacts et unidirectionnels et qui se vautrent dans un Crust sale et boueux, ralentissant pour atteindre des sommets d’oppression.
Basse gigantesque et rauque, qui claque sur les écrasements d’une batterie qui en profite pour redécoller de plus belle, tandis que la guitare aux intonations profondes évoque un Sludge vraiment nauséeux, à des années lumières de son équivalent NOLA, empreint de Blues.
Ici, les accents mélodiques n’ont pas droit de cité, et seules la brutalité sourde et la vilénie instrumentale sont reines, sans que la pertinence du propos musical n’en pâtisse, bien au contraire.
Tears est un EP qui n’est pas beau, mais qui assume sa laideur et la transcende pour en déformer les codes. Il est surtout le fruit d’années passées sur la route à observer, et à roder une musique en compagnie d’autres ensembles partageant plus ou moins la même philosophie.
Non, la réalité ne fait pas de cadeau, mais les CVLT OF GRACE parviennent quand même à en extirper des idées fertiles.
Et si vous aimez plus que tout vous réveiller le matin en vous disant que cette journée sera pire que la précédente, alors servez-vous de Tears comme alarme. Il ne contredira en rien votre état d’esprit résigné.
Titres de l'album:
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