Lorsqu’on aborde le cas des plus grands vocalistes du Hard Rock et du Heavy Metal, le consensus tombe toujours comme un inévitable couperet. Les noms honorés et cités sont toujours les mêmes, de Robert Plant à Geoff Tate, en passant par Bruce Dickinson, Rob Halford, David Coverdale, Ian Gillan, Klaus Meine sans vouloir dresser une liste exhaustive. Si quelques outsiders parviennent de temps à autres à se frayer un chemin vers le panthéon (Todd La Torre, Glenn Hughes, Alan Tecchio, Chris Cornell, John Bush, Mike Patton…) certains sont délibérément occultés, eut égard à des critères totalement subjectifs au regard de leur parcours, de leur discours ou de leur passé. C’est cette réflexion qui m’amène depuis des années à défendre bec et ongles certains vocalistes au talent indéniable, comme Kip Winger, ou plus probant, Michael SWEET. Je comprends pourquoi l’évangélique chanteur est immanquablement relégué au rang de prêcheur plutôt que hissé au niveau des meilleurs chanteurs de l’histoire de la musique, mais lui tenir grief de son parcours au sein de STRYPER dans les années 80 est d’une injustice rare. Certes, l’imagerie mise en avant ne l’a pas aidé à gagner une quelconque et légitime crédibilité, certes, les accents sucrés de sa musique et des ballades sirupeuses comme « Honestly » ou « All of Me » n’ont fait que conforter ses détracteurs et abonder dans leur sens, mais il faut bien laisser place aux faits et abandonner toute forme de subjectivité malhonnête et déplacée. Michael SWEET, à l’image d’un Geoff Tate a toujours été un incroyable chanteur, au vibrato puissant, au lyrisme exacerbé, mais il n’a pas toujours privilégié les meilleures approches pour mettre son talent en avant. C’est ainsi qu’entre deux comeback et albums de STRYPER, le musicien a développé une carrière solo beaucoup plus musclée et portée sur le Heavy Metal, non pour obtenir égoïstement la reconnaissance qu’il pense mériter, mais tout simplement parce que cette musique fait aussi partie de son univers. La preuve, l’homme reconnaît une fascination pour IRON MAIDEN, JUDAS PRIEST et DIO, et son dixième album solo, comme beaucoup de précédents, le prouve avec une flamboyance remarquable.
Distribué aux USA par Rat Pack Records et en Europe par Frontiers Music, Ten est comme son nom l’indique le dixième album solo de Michael, et certainement l’un des meilleurs. Enregistré et mixé par Danny Bernini au Spirithouse Recording Studio à North Hampton et masterisé par Alex Saltz, il constitue en quelque sorte le regard en arrière le plus appuyé de son auteur qui se concentre sur ses passions de jeunesse, et l’avoue sans détour. Il déclare à son propos, "Je suis très enthousiaste à propos de cette sortie. Il existe des idées de métal old-school tout-en-un telles que JUDAS PRIEST, DIO et IRON MAIDEN - toutes les choses que j’aime écouter.", et autant dire qu’il ne trompe personne sur la marchandise, puisque ce nouvel épitre à la gloire d’un Metal non dilué est tout ce que la nostalgie peut compter de meilleur, à savoir une inspiration old-school adaptée à des vues modernes, et surtout, interprétées et traduites avec passion. Premier point notable de cette réalisation, son impressionnante liste de guests. L’homme s’est fait plaisir, a invité pas mal de beau monde, a accepté certaines propositions de collaborations, et les partenariats comprennent donc des implications de Jeff Loomis d’ ARCH ENEMY, Todd La Torre de QUEENSRŸCHE, Andy James, Tracii Guns de L.A. GUNS, Rich Ward de FOZZY, Joel Hoekstra de WHITESNAKE, Gus G. de FIREWIND, Howie Simon, Ethan Brosh, Marzi Montazeri d’EXHORDER, Will Hunt d’EVANESCENCE, John O'Boyle, Mike Kerr ou Ian Raposa de FIRSTBOURNE. Soit une ambiance d’auberge espagnole peuplée de musiciens connus et venus donner un coup de main sympathique à l’un de leurs pairs, sans arrière-pensée autre que de participer à un bon album, ce que Ten est sans conteste. On pourrait se dire que le travail de Michael au sein de STRYPER est largement suffisant pour occuper ses journées, mais son boulot en solo lui permet justement d’explorer des idées que son groupe officiel ne pourrait faire fonctionner, même si certains de ces nouveaux morceaux pourraient être joués par les guêpes chrétiennes sans que les fans ne trouvent ça incongru. C’est le cas justement de « Shine », qui n’aurait pas dépareillé sur les derniers albums de la congrégation STRYPER, avec son up-tempo jumpy et son riff purement Hard-Rock, et qui constitue l’un des hymnes les plus entêtants de cette nouvelle réalisation. Mais ce qu’on aime par-dessus tout lorsque SWEET se la joue solo, c’est cette tendance à durcir ses instincts, et à proposer des morceaux plus Heavy qu’à l’ordinaire, histoire de prouver que l’eau bénite n’est pas sa seule boisson préférée. Sinon, comment expliquer la présence sur Ten d’artistes extrêmes de la trempe de Jeff Loomis d’ARCH ENEMY ou de Marzi Montazeri d’EXHORDER, pas franchement réputés pour se vautrer dans la mélasse gluante de la croyance aveugle en une forme de musique sirupeuse dictée par le grand divin ?
Alors dans les faits, cet album ne se distingue pas vraiment des productions antérieures du brun vocaliste, et on trouve de nombreuses réminiscences de One Sided War, notamment au niveau de la dureté générale et de l’emphase Heavy privilégiée. Mais là ou SWEET se l’est jouée finaude une fois de plus, c’est qu’il n’a pas hésité à multiplier les clins d’œil à son passé, et notamment à la scène Hard & Heavy de ses eighties initiales. Ainsi, plusieurs titres proposent une ambiance plombée, une optique contemporaine, tout en se lâchant sur des refrains que la scène Hard N’Sleaze d’il y a trente ans affectionnait particulièrement. « Lay It Down », malgré la présence du costaud Marzi Montazeri en est d’ailleurs une illustration parfaite, avec ses riffs énormes et son chorus à plusieurs couches de voix étonnamment léger. Le travail global, sans reproche, est consolidé par des interventions en solo pertinentes, à base de descentes cramées en sextolets, mais surtout par la voix toujours aussi magique du leader/compositeur. Les influences nommées pour justifier la caution nostalgique sont évidemment patentes, et on se replonge dans notre adolescence lorsque le chaloupé « Forget, Forgive » résonne comme un hymne coécrit par AEROSMITH et SHARK ISLAND. L’un des titres tenant le plus à cœur à Michael, « Ten », permet de mesurer l’importance de BLACK SABBATH sur son héritage musical, avec cette rythmique pilonnée, rafraichie par un refrain encore une fois très mélodique. De l’autre côté du spectre musical, le chanteur de STRYPER se souvient avoir côtoyé la vague Glam californienne de près et entonne donc un fruité et syncopé « Ricochet » aux côtés de Tracii Guns, sans oublier en route avoir souvent frayé avec le Power Metal pour un explosif « Son Of Man », que le grand Todd La Torre reprend en chœur avec lui. C’est ainsi qu’on se rend compte que la voix de Michael est toujours aussi puissante, puisqu’elle tient largement la comparaison avec les plus grands vocalistes actuels, mais SWEET, dans ses plus profondes convictions, ne tient pas rigueur à la plèbe de l’avoir tenu à l’écart du podium si longtemps.
Il continue donc de se faire plaisir en jouant un Hard Rock musclé, harmonieux mais appuyé, et livre avec Ten un dixième psaume peaufiné, mais assez brut et instinctif pour intéresser les moins concernés par ses obsessions bibliques. Et que celui qui n’a jamais fredonné « To Hell with the Devil » lui jette la première bible !
Titres de l’album :
01. Better Part Of Me (featuring Jeff Loomis d’ARCH ENEMY)
02. Lay It Down (featuring Marzi Montazeri)
03. Forget, Forgive (featuring Howie Simon)
04. Now Or Never (featuring Gus G of FIREWIND)
05. Ten (featuring Rich Ward of FOZZY)
06. Shine (featuring Ethan Brosh)
07. Let It Be Love
08. Never Alone (featuring Joel Hoekstra of WHITESNAKE)
09. When Love Is Hated (featuring Joel Hoekstra of WHITESNAKE)
10. Ricochet (featuring Tracii Guns of L.A. GUNS)
11. With You Till The End (featuring Mike Kerr and Ian Raposa from FIRSTBOURNE)
12. Son Of Man (featuring Todd La Torre of QUEENSRŸCHE and Andy James)
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