Avec un nom pareil, nous étions en droit de nous attendre à une fessée extrême servie sur un plateau en gants de cuir, mais la réalité est tout autre. DEGENERATOR ne partage que peu d’opinions avec le Death ou le Thrash, et s’épanouit plutôt dans une Fusion intelligente et mélodique, à la croisée des chemins des années 90 et du Metalcore moderne de ce nouveau siècle. Vendu comme un prototype Post-Grunge/Stoner/Doom, le duo est pourtant assez éloigné de ces considérations promotionnelles, qui n’ont d’autre but que de faire remarquer au public des artistes qui n’hésitent pas à sortir des sentiers battus.
Ce qui est le cas ici.
DEGENERATOR est né de l’union de deux musiciens, Barrett Klesko et Jonathan Webster, actifs en tant que membres d’ALL ELSE FAILS ou STRIKER. Entamé en tant que projet à l’étude, et basé sur une collaboration précédente au sein de THE ORDER OF CHAOS, DEGENERATOR est donc rapidement devenu une entité viable, capable d’accoucher d’un album complet, avec son cachet, ses humeurs, et ses ambiances étranges.
A l’image de cette pochette aux couleurs vives, The Abyssal Throne est un trône sur lequel nos deux héros peuvent s’asseoir ensemble, pour contempler leur royaume. Un royaume combinant les fixations urbaines routinières et l’espoir d’une nature en constant renouvèlement. Une sorte d’entre-deux entre la vie citadine et la tranquillité rurale, pour une musique fertile qui trouve son essence dans les grandes artères d’une mégalopole comme sous les toits de chaume d’une campagne canadienne froide, mais chaleureuse d’esprit.
Très moderne, ce mélange aux odeurs complexes ne remplit pas vraiment le cahier des charges des arguments promotionnels. Il est en effet assez difficile d’y dénicher des éléments de Stoner ou de Doom, même si parfois, les évasions psychédéliques nous ramènent dans le giron d’années 70 boostées d’une énergie 90’s, en nous enfumant d’un énorme riff pataud et d’une rythmique peinarde (« Neurotonic »).
Sous le coude, des influences, que l’on ressent dès les premières mesures. SOUNDGARDEN évidemment, les SMASHING PUMPKINS, STONE TEMPLE PILOTS, nos 7WEEKS, et puis quelques représentants de la vague Alternative d’il y a trente ans. Mais le résultat, très concret, permet de tout fondre dans un même creuset d’inspiration pour en faire couler l’or d’une nouvelle optique, aussi nostalgique que consciente des impératifs modernes :
Se faire remarquer, mais par la qualité même de son art, et non d’un déguisement plus ou moins habile, et conceptuel.
Et la musique de Barrett Klesko et Jonathan Webster est de celles qui s’incrustent dans le cerveau pour ne plus en sortir. Peut-être est-ce dû au son si gras de cette guitare omniprésente, aux nappes de voix qui s’entremêlent comme dans un rêve en technicolor, ou à ces mélodies malmenées pour leur faire épouser les contours d’un Rock moderne qui regarde sans cesse en arrière.
The Abyssal Throne est un travail remarquable. Cohérent mais varié, old-school mais sans exagérer l’hommage, clair de production, et puissant de transmission. A la manière d’un Billy Corgan travaillant de concert avec le regretté Chris Cornell pour le compte d’une filiale de 4AD, DEGENERATOR ouvre son esprit, et laisse y divaguer quelques diversions psychédéliques symptomatiques de la filiation entre Black SABBATH et la vague de Seattle, citant parfois MILK, les BARONESS, et autres témoins d’une époque de métissage poussé à ses extrêmes.
Planant mais nerveux quand il le faut, The Abyssal Throne ne fait finalement que jouer les cartes que ses auteurs lui ont distribué. Une main chanceuse donc, qui parfois s’emballe de nervosité au moment de plaquer le jeu sur la table, mais qui retrouve sa fermeté rapidement (« Hiraeth », l’un des meilleurs morceaux du lot).
Peut-être pourra-t-on, en se montrant vraiment exigeant ou disons-le, pinailleur, regretter l’absence d’un long morceau progressif et envoutant. Mais en laissant l’album s’infuser dans son intégralité, il est tout à fait possible de considérer ces onze pistes individuelles comme autant de chapitres d’un même roman musical, entre nostalgie automnale et Steampunk post-apocalyptique éthéré.
Rien de cheap, des détails ciselés, une précision de composition qui fait mouche, et des accolades aux DEFTONES (« The Spiral »), voilà peu ou prou ce que contient ce premier album, impressionnant de maturité et de liberté. Les sons qui tournoient, qui se recoupent, qui se complètent et se dédoublent garantissent un voyage plein de surprises, et si la destination est connue dès le départ, la garantie d’un trip immersif et sensoriel est tenue jusqu’à la corde finale.
DEGENERATOR dévoile donc les plans de deux amoureux d’une musique faussement simple mais réellement ouvragée, quelque part entre le passéisme alternatif et le Metal plus en phase avec son époque. Mais est-ce réellement du Metal, ou juste de la musique sincère et sensible ?
La réponse vous appartient, mais je pense sincèrement qu’elle n’a aucune importance.
Titres de l’album:
01. Eternalism
02. Finality
03. The Day That Never Comes
04. Darkness Prevails
05. Neurotonic
06. The Children of the Night
07. Hiraeth
08. The Spiral
09. Heart Like a Hole
10. For Every Truth
11. A Way Out
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