La course au progrès est une fuite en avant où chaque instant est déjà obsolète avant d'être vécu et où le cercle vicieux de la futilité prive le temps de toute valeur transcendante. Toute chose se précipite vers une version 2.0 d'elle-même jusqu'à ce que nos outils menacent de dépasser l'être humain. Tout est assujetti aux lois du profit et les êtres humains, réduits au statut de machines, doivent sans cesse évoluer pour espérer devenir de meilleures versions d'eux même.
Voilà un postulat diablement intéressant. Si le fond est évidemment concentré sur les obsessions contemporaines, avec le pointage du doigt des technologies qui progressent si rapidement qu’on ne s’en rend même plus compte, c’est un morceau de phrase qui retient toute l’attention :
Les êtres humains, réduits au statut de machines
Alors que justement, le débat fait rage quant à la suprématie évidente des machines dans un futur proche - certains analystes et scientifiques pariant déjà sur le moment ou l’IA prendra les commandes pour nous renvoyer dans un purgatoire mérité - les toulousains de BRUIT ≤ inversent la donne, et nous transforment en machines, et donc en outils manipulés par la technologie pour parvenir à ses fins. Spéculation, dystopie ou illusion ? Le renversement de situation questionne, et nous renvoie à notre condition d’utilisateurs complètement soumis aux capacités d’algorithmes qui rythment justement notre avis et notre vie.
Une analyse assez pertinente, pour un deuxième album totalement en phase avec son sujet. Alors que The Machine Is Burning And Now Everyone Knows It Could Happen Again accusant quatre ans d’âge est aujourd’hui obsolète, le quatuor composé par Théophile Antolinos (guitares, banjo, tapes, soundscapes), Clément Libes (basse, guitares baritones, violon, orgue, piano, programmation, synthétiseurs modulaires, alto), Luc Blanchot (violoncelle, programmation, synthetiseur) et Julien Aoufi (batterie) continue son update vers une version 3.0 qui n’oublie pas les codages précédents. Ce qu’on aimait chez ce groupe, à savoir sa facilité à passer d’une humeur à une autre, cette capacité à créer des textures qui une fois empilées ressemblaient à des décors high-tech de science-pas-si-fiction, est toujours là, mais de nouveaux éléments ont été pris en compte, notamment en ce qui concerne les techniques d’enregistrement. Ainsi, The Age Of Ephemerality a bénéficié d’une approche très précise et pointue, l’ancien côtoyant le nouveau, et l’analogique le disputant au numérique pour accoucher d’une œuvre unique.
Enregistré dans quatre lieux distincts, cet album superpose des méthodes de production et de composition issues de différentes époques technologiques. Du studio La Tanière à La Soulane en passant par l’ancienne église du Gesu de Toulouse, BRUIT ≤ a expérimenté encore et encore. Sur bandes, sur différents amplis, en passant par de la prise live et autres : le quatuor a poussé la technologie à ses limites en jouant avec une configuration en constante évolution.
Reprendre la main, et obliger le progrès à accepter le passé pour produire des sons hors du temps, tout aussi modernes que nostalgiques. Un peu comme cette musique, qui joue constamment sur la ligne séparant la lumière des ténèbres, la joie du deuil, le renoncement de l’activisme, et l’amour de la haine. Mais n’allez pas croire que les BRUIT ≤ soient d’affreux jeunes schnocks qui ne jurent que par les amplis Orange et les orgues Hammond. Non, ces quatre musiciens sont au fait de leur époque, mais lui imposent un garde-fou indispensable : toute proposition est acceptable, qu’elle invoque les bandes de trois pouces ou les téraoctets. De fait, The Age Of Ephemerality tente de reproduire en notes et ambiances cette cohabitation rêvée entre l’abandon des rênes et la méfiance objective. On en prend note lors de superbes séquences hollywoodiennes lacrymales qui renvoient le son d’une vie sous-marine taquinée par un sonar virtuel, le groupe procédant par étapes, et proposant des vignettes plus que des sons, et des courts métrages plus que des chansons.
« Techno-Slavery / Vandalism » entre en contradiction avec son appellation et incarne le sublime confronté au dérisoire. Un petit prompt suffit parfois à décrire une situation complexe, alors que le ressenti lui-même se passe complètement de mots. Le côté instrumental de la chose la sert admirablement, les différents niveaux d’intensité se substituant aux grands discours, même si l’argumentaire promotionnel ne fait pas grand mystère des inquiétudes :
Pour ceux qui croient que l'horizon est la perfection et que le techno-solutionnisme est la seule alternative, il est tellement plus réconfortant d'accepter la toute-puissance du monde de demain et de s'évader dans l'avenir, dans un fantasme où nous sommes les seuls dieux créateurs de toute chose innovante. Comme l'argent, la technologie est devenue un outil de prise de pouvoir qui transforme tout ce qu'elle touche en poison. C'est l'intoxication du pouvoir, et l'avenir de l'homme n'est plus qu'une somme d'orgueils connectés pour tenter de cacher un abîme de misère.
Après du pain et des jeux, des applis et des followers. L’IA se laisse encore manipuler, mais pour combien de temps ? Celui qu’il faut au dantesque « The Intoxication Of Power » pour développer son argumentaire ? Peut-être, ce dernier morceau rappelant le meilleur de Devin Townsend et quelques autres expérimentateurs Post-Metal qui tolèrent le violon, le piano, les strates d’arrangements en arrière-plan, et surtout, le plus important : l’émotion comme seul leader. Cette composition sublime permet à ce deuxième album de baliser son terrain, et de nous avertir sur les risques à venir : la perte de repères, la perte de contrôle, la déshumanisation, et la misanthropie technologique. Sommes-nous prêts à remettre notre destin entre les mains de ces algorithmes qui nous traitent comme des consommateurs décérébrés ? Le sommes-nous ?
Peut-être que pour une fois, l’art réel et tangible nous sauvera la mise, et nous permettra de refuser le diktat des machines. Ou de cohabiter avec elles. N’est-ce pas le propre des espèces ?
Titres de l’album:
01. Ephemeral
02. Data
03. Progress / Regress
04. Techno-Slavery / Vandalism
05. The Intoxication Of Power
Au vu de la dernière vidéo-ITW en date du gonze sur ce site, pour ce qui est de "feu sacré", il a toujours l'air de l'avoir le mec.Je pars donc confiant.
08/05/2025, 09:17
@ MobidOM :oui, pas faux pour la "captation d'héritage" ! :-/ En même temps, s'il a encore le feu sacré et propose un truc pas trop moisi... De toute façon la critique sera sans pitié si le truc ne tient pas la(...)
07/05/2025, 11:52
Ah ce fameux BRUTAL TOUR avec Loudblast / MASSACRA / No Return et Crusher en 95 ! LA PUTAIN de bonne époque
07/05/2025, 11:04
@ Oliv : Montpellier étant une ville et une agglomération plus petite que Lyon, il n'y a véritablement de la place que pour deux petites salles orientées Rock-Metal-Punk-etc, à ce qui me semble après vingt-cinq ans d'observation. Au-delà,(...)
06/05/2025, 20:29
"Death To All", à chaque fois que je les ai vu ils avaient un line-up tout à fait légitime (dont une fois tous les musiciens qui ont joué sur "Human", à part Chuck bien sûr)Et puis la phrase "Chris Palengat pr(...)
06/05/2025, 20:28
Je ne vois pas beaucoup l'intérêt, et je ne comprends pas pourquoi ils n'ont pas attendu les trente ans de l'album l'an prochain. Ces dernières semaines je me retape les premiers, et ça reste un bonheur.
06/05/2025, 19:29
Vénérant ces albums et n'ayant jamais vu la vraie incarnation de Massacra, hors de question de louper ça (si ça passe à portée de paluche, pas à Pétaouchnok). Un peu comme un "Death To All"...
06/05/2025, 17:11
Ils sont juste trop faux-cul pour assumer le statut de tribute band, voilà tout.
06/05/2025, 16:15
Si je comprends bien il n'y a qu'un seul membre d'origine ? et évidemment que c'est un tribute band, comment l'appeler autrement. à ce point autant commencer un nouveau groupe avec un clin d'oeil, pour affirmer une certaine continuité. Faut assum(...)
06/05/2025, 05:51
Perso, je suis plutôt preneur ! Reste plus qu'à espérer que ce soit à la hauteur de mes attentes !(Faut bien avouer que même si je suis fan de l'album Sick, mon préféré reste Enjoy the Violence ! Quelle tuerie absol(...)
05/05/2025, 23:34
J'ai eu la chance de les voir il y quelques semaines dans une salle stéphanoise chauffée à blanc et je peux vous dire qu'on va entendre parler de ces garagnats dans le monde entier !!!! Du grand art .
05/05/2025, 18:16
Après j'ai 50 balais et je ne vais plus trop a des concerts ou festival et pourtant j'ai le sylak a 10 minutes de chez moi mais ce n'est plus ma tasse de thé et désintéressé de la scène actuelle et l'ambiance qui ne me correspond(...)
04/05/2025, 12:35
C'est très surprenant car Montpellier est bien connu pour être étudiant , dynamique et jeune . Je ne comprends pas ces difficultés car je ne maîtrise pas tout alors qu' a l'inverse dans la région Lyonnaise où je suis , c'est plut&oci(...)
04/05/2025, 12:25
Moi j'y serai !Avec les copains de Sleeping Church Records, on sera sur place !
04/05/2025, 09:55
Je l'ai essayé, alors que je n'écoute plus Benediction depuis beau temps. Ce sont des vétérans et le retour de popularité du Death vieille école leur vaut une certaine popularité, qui n'est pas volée au regard de cette long&ea(...)
03/05/2025, 22:39
T'as même pas le courage de dire que c'est un comportement typique de la population noire américaine, ce qui n'a aucun rapport ici.
03/05/2025, 21:41