Le système. On en revient toujours au « système », quel qu’il soit. Le système politique, les schémas sociaux, les interactions humaines, le rapport entre l’homme et la machine, entre l’homme et ses semblables. La vitesse de l’information, les problèmes quant à sa véracité, car aujourd’hui, l’information est partout et se transmet à la vitesse de la fibre optique. Un seul évènement, isolé, devient viral sur la toile, et n’importe quelle assertion non vérifiée se voit relayée sur des dizaines de réseaux sociaux, au mépris de la vérité. Sommes-nous en train de nous laisser engloutir par la somme de données que nous avons-nous même créé ? C’est une possibilité, et un fait s’en dégage. Nous sommes aujourd’hui dépendants du monstre que nous avons inventé, laissant le qu’en dira-t-on, la rumeur, les on-dit prendre le pas sur une information viable et vérifiée, et finalement, dans cet océan de communication faussée, nous sommes plus seuls que jamais, isolés dans nos petites tours d’ivoire qui ressemblent plus à des cases dans lesquelles le pouvoir en place nous range par facilité. Alors, il convient de dompter cette information pour la faire plier à sa vocation d’origine : ouvrir les yeux, faire la part du vrai et du faux, pour enfin obtenir cette valeur qui nous fait défaut depuis l’avènement de la communication à grande vitesse : la vérité. Les californiens de TEETH se proposent avec leur second longue durée d’illustrer le principe de l’entropie, et la malédiction qu’elle représente. Lourde tâche, qu’il convenait de mettre en chaos de façon pertinente et précise. Chose faite avec ce monstrueux The Curse of Entropy qui personnifie à merveille le concert d’overdose d’éléments, de déluge d’indices, de raz-de-marée de fake news et autres calomnies virtuelles. Cette tâche d’incarnation n’était pour autant pas simple. Il fallait aux musiciens personnifier le chaos ambiant, le sentiment de paranoïa, la cruauté des procès d’intention aux preuves falsifiées, mais ils y sont parvenus par le plus efficace des moyens : l’accumulation. Car en effet, ce second album est une masse conséquente de notes et de plans qu’on affronte de face et qui vous tombe dessus comme une évidence. Tout va trop vite, tout le monde fait trop de bruit, much ado about something.
Plus prosaïquement, TEETH nous en vient de Californie, état dans lequel il s’est formé avant 2014, date de sortie de son premier album, Unremittance. Quatuor (Erol Ulug - guitare/chant, Peter King - basse, Justin Moore - guitare/chant et Alejandro Aranda - batterie), TEETH est souvent décrit par facilité comme une exaction Death/Doom, sous le simple prétexte qu’il aime confronter des passages très lourds et des accélérations dantesques. Mais ne vous leurrez pas, si les deux éléments peuvent servir à définir la bête, elle ne se décrit que par son côté jusque boutiste, que par sa volonté de provoquer le chaos, et finalement, s’apparente à une créature Technical Death de première catégorie, sans les ambitions démesurées, mais avec le talent en exergue. Concrètement, The Curse of Entropy est un monstre de technique, mais pas de démonstration. L’album ne cherche pas à impressionner par les capacités de ses individualités, mais bien par son aspect brut, mat et massif. Et par extension, par le nombre conséquent de changements de tempo qu’il propose, et par la dissonance de ses riffs qui savent la plupart du temps rester directs et sournois. A l’écoute de ce LP, on pense évidemment à des gens plus établis et référentiels, comme ULCERATE, GORGUTS, mais pourtant, quelque chose différencie TEETH de ses modèles éventuels. Cette façon de traiter la brutalité en la domestiquant, mais sans l’édulcorer. Cette manière d’aller jusqu’au bout d’une démarche, sans accepter de limite, mais sans verser dans le chaotique indéchiffrable en galimatias d’approximation. Doté d’une monstrueuse production, The Curse of Entropy nous écrase les tympans pendant une demi-heure, ne nous laissant guère le temps de réfléchir, à l’image de cette surdose d’informations que nous subissons jour après jour. Et en version épileptique et incroyable, ou en versant lourd et malsain, TEETH est l’archétype même de groupe majeur, écrasant, oppressant, qui pioche tout autant dans l’héritage de MORBID ANGEL que dans l’exagération de SUFFOCATION.
En trente minutes tout juste, le quatuor californien parvient à ses fins, que l’on devine aisément dès « Enlever », qui ne fait pas grand cas de sa recherche de brutalité crue et pure. Batteur qui semble atteint d’épilepsie et qui change de pattern toutes les dix secondes, véritable funambule du plan qui crucifie, chanteur à la gravité de circonstance, guitares qui ne se contentent pas de racler les fonds de la gravité en grattant leur corde la plus épaisse jusqu’à l’usure, et mise en place au millimètre, sorte de frappe chirurgicale ultime qui fait trembler les forts ennemis sur leurs fondations. « Husk » confirme, et on a franchement du mal à prendre pour argent comptant cette description lapidaire de Death Doom. Car tout ceci est un peu restrictif au vu des capacités et moyens mis en jeu, cette bousculade permanente entre des guitares décalées et une batterie digne des plus grands tarés percussionnistes de BM (c’est tellement intense qu’on pense à 1349 parfois, ce qui en dit long sur la puissance), et cette aisance à faire entrer en trois minutes un maximum d’idées qui semblent couler de source. Bien sur l’alternance est savoureuse dans sa méchanceté, et déviante dans ses stridences, mais l’efficacité n’est jamais sacrifiée sur l’autel de l’étrangeté, et les titres s’enchaînent sans temps mort, proposant quelques silences d’une poignée de secondes (« Wither »), pour mieux nous bousculer d’un break dantesque dans la foulée. Difficile de retenir un morceau plutôt qu’un autre, tant tous forment une symphonie de bestialité ininterrompue, et il convient justement d’aborder et d’accepter The Curse of Entropy pour ce qu’il est, un typhon qui passe et balaie tout sur son passage, idées claires y compris, et esprit critique en sus.
Cautionné par Luc Lemay de GORGUTS lui-même, venu prêter main forte vocalement, ce second long des californiens de TEETH est un monolithe de ressentiment, une pluie de météorites, un souffle qui balaie tout sur son passage, et au final, une démonstration de brutalité intelligente. C’est une masse d’informations qu’il est dur d’assimiler en une ou deux écoutes, mais c’est surtout une pierre angulaire du Technical Death le plus pertinent qui aimerait bien faire oublier qu’il en est. Et une malédiction qu’on se passe d’initié en initié, pour contaminer le système et le faire imploser.
Titres de l’album :
01. Enlever
02. Husk
03. Wither
04. Collapse
05. Birthright
06. Cretin
07. Dread
08. Blindness
09. Entropy
10. Vessel
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