Non, il n’y a pas que les américains qui savent faire du Doom, loin s’en faut, et un simple coup d’œil à la liste des combos recensés dans le genre par Encyclopedia Metallum suffit à le comprendre. Et d’ailleurs, nos groupes nationaux n’ont rien à envier aux mastodontes (triple référence pour la bonne bouche) du style, et font même partie des têtes de liste dès lors que l’exercice s’élargit au-delà de ses propres frontières. Post Doom ? Pas besoin d’aller aussi loin, mais une forme très aboutie et sombre qui pourrait dans un accès de facilité se voir labéliser Dark Doom ou Black Doom, et adopter des contours plus funestes, mais aussi plus mélodiques, ce qui n’enlèverait rien à la puissance de l’ensemble. Et l’un des adeptes de cette nouvelle école nous en vient de Paris, et trace sa route depuis une bonne quinzaine d’années dans l’underground, au point d’être aujourd’hui devenu une référence. Les MOURNING DAWN, puisqu’il faut bien les nommer, nous proposent donc leur quatrième longue durée, concept assez flou dans leur cas puisque certains de leurs EP’s dépassent allègrement l’heure de jeu…Mais les doomsters ont toujours aimé les frontières floues, et les amateurs n’ont pas pu oublier le dantesque Waste, sorti plus en amont cette année, et qui osait les deux compos solitaires qui s’unissaient dans un dernier élan bouillonnant, à la manière d’un NEUROSIS de Times Of Grace / Grace de TRIBES OF NEUROT, sans tomber dans la facilité de l’Ambient à tendance instrumental. Joli prouesse s’il en est, qui ne doit en rien occulter la capacité du groupe à s’immerger dans son style pour en ressortir grandi, et décoré d’oripeaux différents…
Alors, l’aube pleure-elle toujours sa puissance d’antan ? Il semblerait que oui, et d’une façon toujours aussi lancinante et bruyante, comme si le Black le plus pesant et malsain maudissait le destin de lui avoir enlevé sa promise Doom, mise en terre prématurément.
A contrario de son titre, The Dead Years semble bien vivant. Mais contrairement à ce que vous pourriez penser, il n’est pas forcément question de nouveauté ici, puisque ce quatrième LP n’en est pas vraiment un, mais plutôt une saine relecture du premier effort éponyme des parisiens, sorti il y a maintenant plus de dix ans. The Dead Years n’est donc rien de plus que Mourning Dawn, réenregistré avec un son beaucoup plus costaud, et légèrement remanié, puisqu’on y trouve l’adjonction de deux inédits, et des versions un peu plus déliées dans des cas très particuliers. Du neuf sans l’être donc, mais qui mérite quand même tout votre intérêt, puisque cet initial album est devenu un classique depuis, honoré par les fans et célébré par la presse underground qui va certainement se satisfaire de cette étape qui n’en est pas une non plus, mais qui permettra aux parisiens de temporiser avant de repartir en tournée, en Asie par exemple, continent très friand de sonorités pachydermiques et insistantes (d’ailleurs, la chose était annoncée par Laurent dans une interview pour Doom-metal.com). On retrouve donc le son si caractéristique du projet initié aux origines par Laurent, qui d’un one-man-band a fini par transformer son concept en collectif, en s’adjoignant les services de Vincent à la basse et Nicolas à la batterie, ce son sec comme une nuit de deuil et pourtant épais comme un smog londonien, qui évoque à merveille la tristesse et la colère inhérentes au genre. Les compositions sont déjà connues, et les trois segments longues durée que sont et furent « From the Torrent and the Fountain », « Innocence Leaves » et « When The Sky Seems To Be A Flag » sont toujours aussi fascinants de puissance et de violence progressives, un peu comme si un étourdissant ballet entre EMPEROR et MY DYING BRIDE lézardait le ciel de ses mouvements contradictoires et cataclysmiques. A cheval entre Doom pur et dur et Black pas forcément assumé, MOURNING DAWN joue et jouait la carte de l’ambivalence, refusant de fait de rester cloisonné entre les parois d’une catégorisation, dont Laurent accepte pourtant la passion.
Les inédits ne sont pas non plus là pour faire joli, et entre « Trees » qui nous comprime les tympans de sa rythmique concassante et de ses vocaux en oraison, acceptant les accélérations comme autant de fuites en avant pour s’extirper d’un bourbier figé, et « Lights », qui de ses arpèges d’intro sublimes de pureté ose la nostalgie harmonique en pleurs d’adieux, le package a fier allure, et permet de redécouvrir l’un des groupes les plus essentiels du créneau qui depuis ses débuts n’a eu de cesse de bousculer les conventions tout en faisant preuve d’une allégeance incontestable. Le son, réactualisé lui aussi, à la majestuosité des plus grands travaux, et laisse la rythmique pilonner tout en donnant un maximum de relief à des guitares qui ont autre chose à dire qu’un simple laïus résigné répété à l’envi et donnant la nausée. Il est toujours difficile de dire quelque chose de neuf à propos d’un album culte qui a été disséqué dans ses moindres détails, mais il est plaisant de retrouver Laurent dans son contexte principal et éloigné de ses projets annexes, pour un ultime voyage introspectif dans les entrailles de la bête, qui via « Verdun », nous laissait seuls sur un champ de ruines, déstabilisé par le culot d’un musicien qui osait apporter son énorme pierre à l’édifice. L’album est disponible pour info sur le Bandcamp du label Pest productions, en format numérique et physique, pour des sommes tout à fait raisonnables, et orné d’une splendide pochette qui illustre avec acuité le contenu qu’elle ne cherche aucunement à dissimuler. Célébrons donc le faux retour du pachyderme parisien en honorant sa mémoire de son vivant, et en nous replongeant dans les années les plus vives de sa carrière, à l’orée d’un parcours sans faute, en fêtant ces années qui loin d’être mortes, nous montrent un groupe plus vivant que la plupart de ses congénères.
The Dead Years, ou l’épitaphe improbable d’un groupe qui n’est pas prêt de mourir…
Titres de l'album:
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21/11/2024, 08:46
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