Je ne sais pas comment il fait, mais il y arrive. Qui donc ? Tonton Serafino de chez Frontiers, car pas un mois ne s’écoule sans qu’il nous refile un nouveau super-projet sorti de nulle part, improbable sur le papier, et pourtant viable dans les faits. Parfois, je m’interroge et je l’imagine en blouse blanche dans un labo en Italie, manipulant l’ADN comme un scientifique fou, et tentant de cloner des cellules souches différentes pour mettre au point une nouvelle espèce de vie sur la terre. C’est à croire que les milliers de groupes inconnus existant ne l’intéressent pas, lui qui préfère rameuter des stars du présent et du passé pour mettre sur pied des concepts toujours plus flamboyants. Et le pire, c’est que contrairement aux échecs d’il y a dix ou quinze ans, ça fonctionne systématiquement, loin des errances boursouflées de Magna Carta qui n’en pouvait plus de nous solder les stars de son back catalogue à tour de bras. Aujourd’hui, ce sont trois musiciens plus que connus qui s’allient à un quatrième un peu moins fameux (mais non moins talentueux), et la fusion des deux nous offre un album de pur Hard Rock moderne aux délicates teintes vintage, et au pedigree incroyable, et finalement pas tant que ça au vu des personnalités impliquées. Mars fut dont le mois de la sortie du premier LP éponyme des THE END MACHINE, qui en effet semblait de sa morgue mettre un point final à toutes les aventures annexes, et qui regroupe en son sein rien de moins que la formation originale de DOKKEN, soutenue par le chanteur actuel de WARRANT. Faites donc un triomphe à George Lynch, Jeff Pilson, et Mick Brown d’un côté, mais réservez un salut révérencieux à Robert Mason de l’autre, histoire de leur montrer que The End Machine vous a durablement impressionnés, ce qui fut en tout cas celui de votre serviteur.
Sur la feuille, tout ça sonnait comme une grosse arnaque, et double en plus. La première était de nous faire croire que deux astres eighties du Hard Rock mélodique unissaient virtuellement leurs forces pour nous replonger dans le faste de cette décade. La seconde, de laisser penser à une éventuelle reformation de DOKKEN avec un nouveau chanteur, mais les deux tablaient sur des faux-semblants, que la musique développée par ces onze morceaux balaient du revers du manche, celui du sieur Lynch étant du genre à faire le ménage par le vide. Pour répondre plus clairement aux interrogations implicitement posées par ces deux extrapolations, non, THE END MACHINE n’est pas une simple resucée old-school au présent de la gloire conjointe d’antan, et non, ce groupe n’est pas non plus une nouvelle mouture de DOKKEN version 2019, quoique des similitudes assez flagrantes peuvent parfois être notées. Il est évident qu’avec trois anciens de l’équipage sur le pont, le navire prend parfois des caps connus, mais Jeff Pilson lui-même met les choses au point. Non, THE END MACHINE n’est pas DOKKEN et inversement, et l’impétueux bassiste dévierait même les sensations du côté de LYNCH MOB, avec pas mal de flair dans le raisonnement. Car ce nouveau concept est en effet beaucoup plus dur et bluesy que la plupart du répertoire contenu dans Under The Lock And Key ou Tooth and Nail (quoique « Ride It » et son up tempo y aurait parfaitement eu sa place), et ressemble plus aux aventures nineties de l’incendiaire guitariste aux riffs d’acier et aux soli enflammés. Plus concrètement, et par touches fugaces, The End Machine aurait plutôt des airs de crossover entre LYNCH MOB et BLACK COUNTRY COMMUNION, car on y retrouve ces embruns seventies très prononcés, et insérés dans un contexte contemporain et très Néo-Hard de la fin des années 90. Mais au-delà de toutes les questions soulevées par le projet, admettons une chose qui ne supporte pas l’hésitation. Ce premier album n’est rien de moins qu’une tuerie Rock absolue, quelle que soit son inspiration ou ses motivations originelles. Et ce aussi, pour plusieurs raisons.
D’abord, la plus évidente, la forme éclatante de tous les protagonistes en lice. Le jeu de George ne semble pas subir le poids des années, s’est adapté mais a gardé cette patte unique et ce touché si précis, ce phrasé fluide mais agressif en solitaire et cette tendance à la virilité dans les parties rythmiques. La basse de Jeff roule des mécaniques, et la frappe de Mick semble même payer son tribut à l’idole John Bonham, spécialement lorsque l’ambiance se veut lourde et en point de jonction entre la scène de Seattle et les dérives bluesy de Plant & co (« Burn the Truth », on aurait bien vu ça sur le dernier EUROPE sans que ça ne paraisse étrange, et Glenn Hughes aurait aussi pu en faire un tube personnel). Quant à Robert Mason, s’il était encore besoin de prouver à quel point il est meilleur vocaliste que le regretté Jani Lane ne l’a jamais été, il vient de nous la livrer, clés en main, avec une performance éblouissante, quel que soit le terrain. A l’aise dans les aigus et les ambiances rougeoyantes, en mode sur-mesure lorsque le tempo brûle l’asphalte, sans accros lorsque l’instrumental se penche sur le Hard Rock post vague californienne, laissant son vibrato naturel lier les parties, se montrant intimiste quand il le faut et plus démonstratif lorsque le four devient chaud, il nous enchante de ses enjambements Pop sur l’irrésistible « Hard Road », dont le WARRANT de Dog Eat Dog se serait repu, et nous terrasse de son envie sur l’introductif et emballé « Leap Of Faith ». Ensuite, autre évidence, les morceaux. Le trio de base aurait pu se contenter d’une habile resucée de son passé que tout le monde aurait applaudi, mais il a préféré se triturer un peu les méninges pour proposer une sorte de résumé parfait de toutes les tendances Hard Rock de ces quarante dernières années, élaborant le tout avec un panache dont on ne le pensait plus forcément capable. Comme je le disais, l’ombre de DOKKEN plane souvent au-dessus des mémoires, comme celle de LYNCH MOB, mais on sent aussi du WINGER contemporain dans tout ça, et même quelques traces d’ALTER BRIDGE, lorsque le calendrier bondit dans le temps, mais c’est surtout THE END MACHINE qu’on écoute, sans vraiment se demander d’où vient le vent.
Et même avec onze titres pour presque une heure de musique, le temps justement passe très vite, d’autant que les quatre acolytes ont aménagé un parcours varié. On aime ces soudaines montées en puissance avec cette basse qui tremble et claque sur « Hold Me Down », aussitôt suivies par des aménagements plus soft via « No Game », qui temporise, mais nous électrise. Mais on adore surtout ces surprises, et notamment « Sleeping Voices » qui pendant six minutes nous prouve que la cohésion et la communion règnent sur le projet, aussi Bluesy que Rock, mais surtout, crédible artistiquement. Mélodique, puissant, ce premier album semble point de départ d’une nouvelle aventure qu’on espère tout sauf éphémère, et THE END MACHINE n’a pas besoin de starter pour démarrer. Un bien bel album qu’on réécoute sans s’en rendre compte, tant il semble incarner une playlist décalée et originale, jouée par des musiciens qui connaissent tous les tours, mais qui ont décidé de ne pas nous en jouer un.
Titres de l'album :
1.Leap Of Faith
2. Hold Me Down
3. No Game
4. Bulletproof
5. Ride It
6. Burn the Truth
7. Hard Road
8. Alive Today
9. Line of Division
10. Sleeping Voices
11. Life Is Love Is Music
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