Vous n’avez jamais eu envie de vous téléporter quelque part ? Genre aux Maldives quand vous êtes au bureau ? Ou n’importe où lorsque votre belle-mère vous prend le chou ? Mais attention, pas la téléportation genre The Fly qui vous laisse avec des poils dans les yeux et des ailes dans le dos, non, une véritable téléportation bien faite, expéditive, qui vous permet de défier le temps et l’espace et d’échapper à votre condition de simple mortel…J’ai déjà éprouvé cette envie, souvent, mais il est aussi possible de la concevoir sous un point de vue moins prosaïque. Comme de s’imaginer projeté dans une autre galaxie, à la découverte de civilisations intelligentes et aux technologies avancées, histoire de constater que nous sommes loin d’être l’espèce la plus futée de l’univers…Un truc galactique, non, mieux, cosmique, avec tout ce que ça implique de concepts philosophiques et de remises en question. Cette idée, des slovènes l’ont eu il y a quelques années, en choisissant de transcender un style vieux comme 1984/1985, pour en faire un genre encore plus progressif que le progressif lui-même, et de tester les limites de l’infini. Formé à Ljubljana, le projet TELEPORT a pris son temps et le prend toujours, puisqu’après une quasi décennie d’existence, le groupe n’a pas encore sorti de longue durée, se contentant d’EP, de compilations et de démos, comme si le format court leur allait à merveille. Et après écoute attentive de leur dernière production en date, je dois reconnaître qu’ils ont peut-être raison, puisque les vingt minutes de The Expansion passent comme dans un trip mystique de Jodie Foster dans Contact, vous élargissant le point de vue et vous offrant des perspectives musicales assez inédites dans le fond, et épatantes dans la forme. Une sorte de nouvelle constellation née d’un big-bang aux retombées encore inconnues, mais qui risque fort de donner naissance à un nouveau système solaire en épicentre de violence.
The Expansion est donc la sixième réalisation du groupe, si l’on compte la compilation regroupant les deux maquettes Galactic Usurper / Stellar Damnation publiée il y a deux ans. Mais cette nouvelle démo, ou EP selon les points de vue, a déjà connu une première existence sous la forme d’une tape limitée à cent-cinquante exemplaires, si rapidement épuisée que l’underground a fini par tendre l’oreille. D’abord épaulés par Caligari Records, les slovènes se retrouvent aujourd’hui supportés en format CD par le label norvégien Edged Circle Productions, qui flairant le bon coup a décidé de rééditer le produit pour lui assurer une exposition maximale. Et autant dire que ces trois titres le méritent amplement, puisqu’ils délivrent un message assurément important, basé sur des théories de Death contemporain qui ne rechigne pas à se montrer expérimental, légèrement psychédélique, et résolument progressif. Admettant des accointances sévères avec le lexique brutal des GORGUTS, de BLOOD INCANTATION et surtout de VOÏVOD, le quatuor (Lovro Babič - basse et seul membre originel, Matija "Dole" Dolinar - guitare, Darian Kocmur - batterie et J.B - chant, depuis 2018) propose donc trois chapitres de musique incroyablement fertile, subtilement ultraviolente, ardemment créative, et délicatement dissonante, pour toucher un public qui ne cherche pas en ce style musical qu’un simple exutoire à la brutalité ambiante, mais bien une catharsis à la routine créative normative. Ayant débuté sa carrière sous des auspices assez Thrash, TELEPORT a doucement évolué vers des atmosphères plus délétères, et nous présente aujourd’hui le fruit de dix ans de réflexion, accumulant les parties en équilibre, les soli mélodiques et autres accès de violence assumée, pour nous entraîner aux confins des mondes, et surtout, pour nous présenter le leur, que le VOÏVOD de Dimension Hatross et le VEKTOR le plus téméraire auraient plaisir à découvrir un soir de pleine lune. Sans se montrer trop avant-gardiste, le quatuor ose défier la rationalité, et impose des déviances en dissonances majeures, en technique affûtée mise au service d’une imagination débridée, et nous évoque le meilleur de ce style, lorsqu’il accepte enfin de s’affranchir de ses obligations les plus triviales.
Impossible à l’écoute de cet EP de ne pas penser à BLOOD INCANTATION, dont The Expansion reprend pas mal de préceptes, mais impossible aussi de ne pas laisser son esprit vagabonder du côté de l’Australie des STARGAZER, pour cette façon de brouiller les pistes entre Death et Black, sans tergiverser ou paraître hésitant. Des versions plus abruptes et absconses d’EXOCOSM ou VEXOVOID pourraient aussi être suggérées, mais en tant qu’entité indivisible et individuelle, TELEPORT est bien plus qu’une somme d’influences/comparaisons éventuelles, ce que le final dantesque et céleste de « Aphotic Flames of Dissolution » prouve de ses neuf minutes bien tassées. Le point fort de cette réalisation, outre ses idées originales, est de rendre la notion de durée subjective, puisque les vingt minutes de cet EP passent comme dans un murmure, tandis que la somme de plans de chaque morceau donne le sentiment d’avoir affaire à une œuvre sans fin. Cette dualité s’exprime autour d’une articulation méthodique et précise entre les harmonies et les exercices rythmiques, théorie mise en pratique dès « Beholder of the Silent Sea », qui sonne comme un mixage extraterrestre entre le MORBID ANGEL le plus fier et le VEKTOR le plus amer. Cette sensation aigre/douce est d’ailleurs particulièrement agréable, et mise en exergue par l’opposition constante entre le timbre de voix très rauque du chanteur, et les parties de guitare volubiles et expressives. Avec une arythmie presque constante, et un fil tendu entre les mesures impaires et les blasts soudains, The Expansion utilise toutes les armes de déstabilisation à sa portée, et nous catapulte dans un vortex de complexité, qui ne rebutera pourtant pas les plus attachés à l’efficacité. Car malgré son caractère farouchement aventureux, le groupe ne fait pas fi des structures et ne se perd pas dans son délire, restant cohérent et musical, développant de fait de véritables chansons, et non de simples prétextes à l’expérimentation.
On prend donc beaucoup de plaisir à suivre ce dédale de plans qui s’imbriquent parfaitement, et le choc des électrons libres aboutit à une explosion d’inventivité, d’autant plus que des soli stellaires interviennent à espaces réguliers pour aérer la dissonance des riffs qui ne se fixent jamais sur des thèmes évidents. Chaotique, parfois effrayant, fertile, étonnant, TELEPORT est finalement plus qu’un banal groupe extrême de plus, et représente une sorte de caisson d’oxygène dans l’étouffement de la production globale, ou mieux, une capsule vous permettant un trip aux frontières du possible et du réel. Un tel voyage ne se refuse pas, et il nous tarde d’en entreprendre un plus conséquent, histoire de voir si l’équipage slovène saura maintenir la pression hors d’une atmosphère respirable.
Titres de l'album :
1.Beholder of the Silent Sea
2.The Expansion
3.Aphotic Flames of Dissolution
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