Sans exagérer, on sentait le vent tourner. Depuis quelques années en fait, pas spécialement lorsque les premiers singles sont sortis. En connaissant un peu l’œuvre et l’homme, on savait que monsieur Steven WILSON allait encore emprunter une direction différente, pour ne pas se répéter. Et alors que ce nouvel album devait voir le jour l’année dernière - repoussé pour cause de COVID - les titres en apéritif se sont multipliés, au grand désarroi des fans de PORCUPINE et des premiers jets de WILSON. Il nous avait gentiment prévenus, en mettant l’accent sur l’électronique et la délicatesse mélodique, et lorsque le terrifiant « Personal Shoper » est enfin sorti en mars de l’année dernière, le doute n’était plus permis. Le beat Electro-disco rappelant le meilleur de CERRONE en duo avec les MGMT, avec de solides allusions à la nouvelle vague des ROYAL REPUBLIC et autres NIGHT FLIGHT ORCHESTRA, tout ça nous replongeait dans la froideur du film homonyme avec en vedette l’impassible Kristen Stewart. Le présent de Steven s’inscrivait donc dans une veine Electro-Pop, et notre futur dans une dystopie peu enviable, mais logique au regard de notre accoutumance au consumérisme. Pas joyeux-joyeux tout ça, spécialement pour les maniaques du progressif qui ont depuis longtemps érigé le musicien au rang d’idole d’or, au pied de la guitare duquel ils se prosternent depuis les débuts de PORCUPINE TREE.
Construit, élaboré et produit par Steven et David Kosten, The Future Bites est sans doute aucun l’album le plus accessible et le plus complexe de son auteur. On peut l’apprécier et le détester dans la foulée, mais il faut des mois pour en analyser les textures, en comprendre les mots, en saisir les tenants et aboutissants. Il n’est pas complexe dans le sens progressif du terme, mais les arrangements, les couches de voix, les rythmiques élastiques, les chorus en demi-teinte et les refrains populaires sont exigeants, et le résultat plus précieux que n’importe quel album produit par 4AD dans les années 90.
Fully diving into dance and neo-disco while somehow keeping a rock edge
Wilson n’est pas le premier à s’immerger dans la culture new-yorkaise et allemande des mid 70’s pour en ressortir avec des rythmes dansants. Les français de la French Touch font ça depuis des années, mais le musicien anglais aborde le problème avec la classe et la politesse qu’on lui connaît. Et si « Personal Shoper » reste le plus gros morceau de l’album en termes de durée, certains autres, paraissant plus humbles de leur brièveté offrent autant de richesses et de profondeur. D’ailleurs, Steven affirme que ce morceau n’est pas son favori de l’album, de loin. Il lui préfère le plus concis « King Ghost », d’ailleurs illustré d’une superbe vidéo imaginée par l’artiste Jess Cope qui déclare « j’ai été stupéfait par ce titre dès la première écoute qui m’a immédiatement inspiré une certaine imagerie dans mon esprit. « King Ghost » m’a encouragé à explorer des couleurs, des textures et des motifs vibrants ».
Mais à vrai dire, je pense que tout le monde sera stupéfait en écoutant les neuf pistes de ce nouvel album solo, le sixième je crois, qui ne ménagera ni les fans hardcore, ni le public de profanes qui lui risque de s’intéresser de plus près à la carrière de l’anglais. Il faut aussi souligner que la sortie de cet album s’est accompagné d’une gigantesque campagne de promotion, avec site Internet, personnification de l’album en tant que marque du futur, avec ligne de produits fake disponibles en ligne. Dans le futur d’ailleurs, The Future Bites est une multinationale bouffant tout sur son passage, sorte de GAFA fusionné qui laisse les consommateurs dépendants et les autres marques exsangues. Le parallèle n’est pas inintéressant si l’on se repenche sur les œuvres d’anticipation des années 70 qui voyait les ministères et les gouvernements remplacés par des conglomérats, « l’énergie », « le loisir », « l’industrie ». Mais on le sait depuis longtemps, l’antéchrist sera un centre commercial géant, un mall dématérialisé dans lequel les gens viendront passer leurs journées virtuellement, pour dépenser leurs crédits. Et celui apporté au travail de Steven pour avoir appréhendé ce futur peu réjouissant se doit d’être à la hauteur des chansons proposées.
Tout commence avec la brève intro « Unself », qui nous introduit donc à cette prophétie peu rassurante. On sent immédiatement que l’ambiance sera étrange, onirique et pourtant bien tangible, et que les sons électroniques ont relégué la guitare au rang de vestige d’un passé dont plus personne ne veut pour le moment. A la façon d’un Townsend qui avait dû revoir sa copie pour parler de ses addictions, Steven a dû adapter son langage pour évoquer ces années à venir qui ne nous réservent rien de bon. La froideur apparente de l’ensemble, le traitement robotique des voix à la KRAFTWERK (« Self », un titre sur l’égo qui en adopte la confiance aveugle dans le miroir et le comportement), la souplesse du déhanchement nous cueillent à froid évidemment, mais on ne peut pas aborder un problème de fond en se servant d’un vieux discours.
Le futur sera donc un beat that bites, et c’est là le principal argument de ce nouvel album, qui est plus qu’un simple album. Les puristes argueront du fait que l’absence « presque » totale de guitares rend ce disque caduque aux yeux des amateurs de Rock. Pourtant, les guitares sont là, mais traitées comme un instrument lambda, ayant juste sa place dans le mix pour assurer la précision des sentiments.
Steven se fout de savoir s’il manie mieux les cordes que les touches ou les curseurs, et s’amuse avec l’électronique comme un tyran fou s’amuse de sa propre cruauté sur le peuple. Tout ici est cotonneux, vaporeux, mélodique bien sûr pour séduire les masses et les obliger à rêver encore, ressemblant à ces couloirs blancs du futur qu’on peut voir dans L’âge de Cristal. « King Ghost » oblige en effet à perdre ses repères présents pour les projeter vers un futur stérilisé, et encore une fois, la façon d‘agencer les voix est extraordinaire, tandis que les harmonies évanescentes s’apparentent à un chant des sirènes modernes pour séduire le consommateur.
Il n’y a pourtant rien d’évident là-dedans. « Eminent Sleaze » joue enfin avec les cordes, mais le falsetto plus qu’appuyé ramène encore une fois à cette maudite Pop électronique que les fans conchient tant. « Man of the People » dénonce le totalitarisme de pensée, et la chute que l’isolation et l’illusion du pouvoir entraînent.
« « Man Of The People » évoque la personne qui se tient derrière un politicien en disgrâce ou un chef religieux pris dans un scandale sexuel. La femme, la petite amie, le mari, le partenaire, quiconque de la famille, les enfants, toutes ces personnes qui subissent les dommages collatéraux à cause de leur liens avec ces individus honteux. J’ai parfois pitié de ces gens »
Vous l’aurez compris, l’avenir dessiné par la multinationale The Future Bites n’est pas des plus réjouissants. Beaucoup le trouveront improbable et aussi ennuyeux que ce disque, qui dans un futur proche, passera sans doute pourtant pour un sommet de plus dans la carrière incroyable de Steven WILSON. Vous sentez le vent tourner ?
Moi aussi.
Titres de l’album:
01. Unself
02. Self
03. King Ghost
04. 12 Things I Forgot
05. Eminent Sleaze
06. Man of the People
07. Personal Shopper
08. Follower
09. Count of Unease
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