Je me souviens parfaitement de mes années lycée. Je me réveillais le matin, et l’alarme semblait me dire que je ne serais jamais à l’heure. Et alors que j’attrapais mes bouquins, et que je me coiffais un brin, j’arrivais au coin de la rue pour faire coucou au bus. Enfin bref, vous m’avez compris, j’avais des discussions musique passionnantes à l’heure de la récré. Et j’avais un ami très avisé qui n’en pouvait plus de piocher dans les bacs import, dénichant des perles comme HELLOÏSE que personne n’avait eu la chance d’écouter. Alors, la bave aux lèvres et l’imagination fertile, nous lui demandions d’un air fébrile à quoi pouvait bien ressembler toutes ces pépites exhumées de l’étranger…Et la réponse tombait irrémédiablement en forme d’aphorisme planant : c’est spécial, c’est Progressif. Et alors que notre culture Rock avoisinait le zéro sur une échelle de WASP à DOKKEN, nous nous demandions ce que pouvait bien signifier ce terme, prétendument synonyme parfait de « spécial ». Evidemment, les années aidant, nous avons vite compris que POINT BLANK, Yngwie MALMSTEEN et HELLOÏSE n’avaient pas grand-chose de progressif comparé aux valeurs du passé comme YES ou KING CRIMSON, mais pourtant, cette réflexion destinée à balayer du revers d’une veste en jean sans manches toute tentative de précision n’était pas dénuée de bon sens. Car en effet, il est possible pour un groupe de jouer une musique progressive sans se perdre dans le dédale de son imagination fantasmagorique et nous assommer de breaks interminables et autres soli inextricables. Car il faut bien entendre par « progressif », toute musique qui refuse la facilité du Rock et de la Pop brute, et qui cherche sans cesse à s’extirper de sa condition de binaire plombé ou aéré pour proposer quelque chose de…spécial. Et évidemment, le sujet du jour EST spécial, sinon, ce très long préambule n’aurait aucune raison d’être.
Mais souvenez-vous. Il y a six ans, je vous alertais (enfin pas forcément vous, mais un peu tout le monde aussi), sur le caractère foncièrement dynamique et excentré d’un combo allemand, qui de son second album m’avait alarmé quant à son potentiel d’exotisme artistique assez prononcé. C’est ainsi qu’en 2012, ma prose se mettait au service de la défense d’un album qui m’a profondément marqué, en tout cas suffisamment pour que je parle à nouveaux de ses auteurs, THE INTERSPHERE, qui en 2018 rompent enfin les années de silence consécutives à la parution de leur troisième LP, Relations in the Unseen. Et c’est avec un grand plaisir que je constate aujourd’hui que le quatuor de Mannheim (Christoph Hessler, Thomas Zipner, Daniel Weber, Moritz Müller) n’a pas troqué sa singularité contre un consensus de surface, puisque The Grand Delusion est tout sauf une cruelle désillusion. On y trouve tout ce qui a toujours fait le charme de ce groupe à part, capable d’un morceau à l’autre de changer d’univers sans brader son identité pour une pluralité vulgarisatrice, et susceptible de sonner comme MUSE, PEARL JAM, MADINA LAKE, Steven WILSON, PERIPHERY et INCUBUS sans pour autant leur chaparder leurs idées les plus éprouvées. Et les constatations que j’avais établies il y a six ans sont toujours aussi valables aujourd’hui, puisque THE INTERSPHERE semble avoir trouvé son style définitif sans avoir à choisir un créneau trop restrictif, ce qui transforme ce quatrième LP studio en réussite ahurissante, et en tout cas, en constat du potentiel hors norme d’un quatuor aussi à l’aise dans le particularisme que dans l’universalité. Et c’est une chose suffisamment rare depuis FAITH NO MORE et les meilleurs INCUBUS pour être signalée. Sans se départir d’une ambition créative les faisant constamment flirter avec l’heure de jeu et un nombre conséquent de morceaux, les allemands se permettent d’être aussi originaux qu’efficaces, et signent peut-être leur album le plus sombre et le plus personnel, et celui en tout cas qui colle à merveille à leur questionnement actuel : A quel point la réalité est-elle réelle ?
Celle de The Grand Delusion est simple et complexe à la fois. Simple, parce qu’il n’est pas difficile d’aimer cet album pour ce qu’il est, et la somme de ses qualités, et complexe parce qu’il est très ardu de décrypter son contenu sans tomber dans les formules à l’emporte-pièce. Et la tâche est encore renforcée par cette volonté de faire sonner chaque chanson de façon différente de la précédente, sans sacrifier la cohésion d’ensemble, ce qui permet aux quatre musiciens de passer d’un Néo-Metal contemporain mais aux influences sacrées très marquées, à une sorte de Pop progressive terriblement riche et harmonieuse, et susceptible d’unir dans un même plaisir des harmonies estampillées west-coast à des rythmiques purement élastiques, sans paraître incongru. Et une fois de plus, tout passe dans la centrifugeuse de leur imagination, ce que « Don’t Think Twice » démontre de sa grandiloquence alternative mâtinée de puissance Pop, associant les guitares carillonnantes des NERVES à l’inventivité rythmique des PIXIES, le tout traité au prisme d’un réalisme Pop-Rock durci d’une production électrique parfaite et ronde comme une lune prise de son côté le plus brillant. Mais le propos étant plus centré, qu’est ce qui justifie une fois de plus le fait que l’on puisse affilier les THE INTERSPHERE à une quelconque mouvance progressive alors même que leur humilité instrumentale les éloigne de toute aspiration egocentrique et démonstrative ? Le fait justement que l’on sente en filigrane que chacun des membres du groupe dispose d’un niveau exceptionnel, qu’il met au service d’un travail collectif qui permet au concept de réconcilier des nineties résignées à des années 2000 éclairées. Et ainsi, « Mind Over Matter » de provoquer une poignée de main sincère entre le DREAM THEATER de Falling Into Infinity et l’INCUBUS de Morning View.
Riffs lourds comme une chape de plomb mais singeant le maniérisme des MUSE sur fond de piano répétitif et tantrique (« Man On The Moon », l’un des hauts-faits de l’album, et des notes frappées qui rappellent étrangement l’intro de « Money, Money, Money » de qui-vous-savez), fausse dissonance à la SONIC YOUTH pour mieux convoquer les PIXIES aux agapes de PORCUPINE TREE (« Overflow »), circonvolutions à la David Gilmour sur tapis onirique digne des SHIHAD (« Antitype », et son faux rythme en véritable trampoline), fulgurances métalliques pour basse épaisse comme un glaviot Rock (« Smoke Screen », écran de fumée DEFTONES sur volutes à la Steven Wilson soudainement redevenu adolescent), pour finalement craquer au rappel d’un Punk Rock franchement agressif, mais tellement évolutif (« The Grand Dellusion », le genre de morceau épileptique que les FOO FIGHTERS n’ont plus pondu depuis trop longtemps), toute la panoplie des possibilités est passée en revue, et le résultat laisse rêveur tant on est obligé d’admettre que The Grand Delusion est probablement l’un des meilleurs albums d’une année pourtant presque terminée. Trouvant toujours l’approche de biais qui va remettre en question les certitudes, les allemands jonglent entre les genres, et slaloment sans accrocher une seule porte, taquinant même de la Pop Rock dansante à l’occasion, sans oublier de balancer le gros son (« New Maxim »). Remettant toujours en cause l’intégrité d’un legs Rock un peu trop lourd à porter, le quatuor n’hésite pas à fracasser les barrières pour mieux ouvrir les portières (« Linger », soft, mais tellement persuasif dans ses mélodies de chant qui rappelle justement le timbre fragile de Steven W.), et finalement, se pose en seul outsider de sa propre catégorie, et le seul tenant du titre aussi. Un titre convoité, celui du groupe le plus outrageusement original de sa génération, mais aussi le plus efficace (ces guitares sur « You Feel Better When I Feel Bad » sont plus spatiales que la moitié de la disco du U2 des années 90), et qui d’année en année, et d’album en album, risque fort d’incarner le progressif moderne à lui seul. Et avec THE INTERSPHERE, ne comptez pas être sauvé par la sonnerie. Car leurs années lycée sont bien finies…
Titres de l’album :
01. Don´t Think Twice
02. Mind Over Matter
03. Man On The Moon
04. Overflow
05. Secret Place
06. Antitype
07. Smoke Screen
08. The Grand Delusion
09. New Maxim
10. Linger
11. You Feel Better When I Feel Bad
12. Shipwreck
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