Un nouvel album de Steven WILSON, c’est un peu Noël avant l’heure, un coup de fil d’un ami qu’on n’attendait pas, une rencontre inopinée avec l’éventuelle femme de sa vie. Un évènement extraordinaire qui se doit d’être traité comme tel, même si le musicien n’est pas avare d’idées. Depuis quelques années, beaucoup s’interrogent sur la pertinence de sa présence dans les colonnes des webzines Metal. Certes, son passé dans PORCUPINE TREE a laissé pas mal de portes ouvertes, mais la fenêtre se referme parfois pour ne pas laisser entrer les sons synthétiques qui sont désormais son quotidien. Quant à savoir si ce filtrage est nécessaire pour ne pas choquer les bonnes âmes amplifiées, c’est une question à laquelle je me refuse de répondre.
Steven WILSON en avait déconcerté plus d’un avec The Future Bites. Adoptant une posture beaucoup plus alternative et Indie, il a été accusé de tourner le dos à ses anciennes amours pour incarner le Peter GABRIEL de la nouvelle génération, toujours ouvert à de nouvelles sonorités, et n’acceptant aucune barrière. J’ai moi-même beaucoup aimé ce disque étrange, entre rêverie diurne et aventure nocturne, et The Harmony Codex en incarne justement la suite directe et logique, l’anglais n’ayant pas décidé de revenir aux bases pour continuer d’explorer cette galaxie de sons qu’il a créée en jouant avec les codes du Progressif.
Et par moments, en tendant bien l’oreille, on croirait même découvrir un nouveau TEARS FOR FEARS, tant les strates de son et la production s’attachent aux détails pour dérouler un contenu aussi émotionnel que riche et solide.
Pour la bonne bouche, Steven a précisé une chose pas vraiment importante, mais qui en dit long sur la façon dont il envisage les choses. The Harmony Codex été enregistré dans un studio coincé dans le garage d’une maison de ville, quelque part au nord de Londres, comme un refuge que l’on construit pour éviter la complication des grands studios. Ceci peut paraître sans importance, mais lorsqu’on écoute le résultat, on est évidemment surpris de constater une perfection qu’on croyait réservée aux gigantesques consoles manipulées par des gourous expérimentés.
Mais depuis le temps, il est certain que Steven est justement devenu ce genre de gourou.
Teasé par pas moins de quatre singles, « Economies of Scale », « Impossible Tightrope », « Rock Bottom », et « What Life Brings », The Harmony Codex est véritablement un codex ancien renfermant des harmonies steampunk, entre passé noble et futur incertain, de longues digressions qui synthétisent l’esprit de l’école de Canterburry et la scène Progressive des nineties, des instrumentaux de génie, des chansons au format Pop et aux harmonies sublimes, et quelques expérimentations pour faire bonne mesure.
Dans ce maelstrom de savoir-faire, il est incroyable de constater que l’on peut ressentir chaque instrument comme si chaque piste avait bénéficié de la même importance que la précédente et la suivante. Impossible en effet de ne pas se laisser aller à l’onirisme en découvrant la magie du long instrumental « Impossible Tightrope », qui fait certainement partie des plus grands accomplissements de l’anglais. Assez proche d’un Neal MORSE passé par une cure Indie, The Harmony Codex est un gigantesque tableau exhibé dans un musée imaginaire, qui fascine les visiteurs de ses nuances, de ses pastels, de ses monochromes étranges et de ses silhouettes évanescentes, à la manière d’un Mona Lisa en triptyque psychédélique, bien que l’ombre du PINK FLOYD de Syd Barrett ait cédé la place à celui, plus calme et posé, de David Gilmour.
Steven WILSON reste donc en totale adéquation avec sa mutation, au risque une fois de plus de s’aliéner une fanbase déroutée par ses expériences aux confins du Rock le moins agressif possible. Mais en regardant de plus près, on note des similitudes flagrantes entre certains titres et les morceaux les plus emblématiques de la période PORCUPINE TREE, sur le sublime et fragile « Rock Bottom », renforcé par la voix magnifique de Ninet Tayeb (et qui finalement assume son rapprochement avec l’immortel « Woman in Chains » chanté par Roland Orzabal et Oleta Adams). Ce titre, porté à bout de cordes vocales par deux chanteurs en parfaite osmose est l’une des raisons qui font de The Harmony Codex l’indispensable qu’il est, et le futur classique qu’il sera.
Il semblerait donc que Steven aille de plus en plus loin dans son désir de liberté, pour s’affranchir des derniers impératifs qu’on pourrait lui imposer. Nul besoin de guitares fulgurantes ou de trouvailles démentes, la richesse de ce nouvel album réside en son sens du détail et ses harmonies célestes.
Et tout semble dit par cette pochette étrange, juxtaposition d’une gigantesque tour déshumanisée et au noir et blanc passé, et ces cubes de couleur agencés de façon logique. La tristesse d’une réalité urbaine contre l’idéalisation d’un avenir plus écologiquement et socialement concerné, opposition que l’on retrouve sur l’ouverture « Inclination », qui laisse se battre en duel une rythmique pulsée et un saxophone s’époumonant dans le lointain, avant que l’électronique ne transforme le tout en paysage dystopique, quelque part entre Orwell et Alex Proyas.
Il n’y a pas vraiment d’acmé sur ce disque, à moins de considérer chaque vibration intérieure comme telle. Et les vibrations sont nombreuses, comme les élans romantiques, dissimulés sous une épaisse couche de pudeur. Celle de « The Harmony Codex », dialogue futuriste à la douceur cristalline, qui se transforme en voyage intérieur pour y trouver les réponses nécessaires.
Steven WILSON a donc incroyablement bien joué son coup. Il aurait pu se contenter de donner à ses fans la pitance qu’ils réclamaient, mais il a décidé de les gâter avec une nourriture spirituelle riche en protéines mélodiques. Un piano persistant et volatile, des sons électroniques qui se percutent, une voix toujours aussi précise et une instrumentation en strates qui se couchent les unes sur les autres pour créer un paysage indéfinissable, entre automne pastoral et hiver londonien tristounet.
« Time Is Running Out » nous prévient, et il a raison. Le temps va finir par nous manquer, alors autant ne pas le perdre en considérations inutiles du genre « le style ? » ou bien « est-ce encore valide ? ».
Le style est celui de Steven depuis des années, et son propos est plus que valide, il est opportuniste, mais humble à la fois.
Jusqu’au bout de la petite heure qu’il s’est lui-même allouée, Steven joue avec son talent comme un gosse avec son train électrique, nous cajole d’un environnement safe (« Actual Brutal Facts », presque oriental, mais Electro-Pop par essence), avant de nous laisser réfléchir aux conséquences de nos actes sur le terminal et évaporé « Staircase ».
Cet escalier que l’on emprunte parait sans fin, comme l’inspiration du bonhomme. Les marches se succèdent, les numéros d’étages aussi, chaque niveau étant marqué d’une couleur différente, avant de finalement arriver sur le toit, pile au bon moment pour admirer le soleil timide se lever sur un Londres fatigué, mais heureux.
Noël est dans moins de trois mois désormais. Ne cherchez plus le cadeau idéal à offrir à quelqu’un que vous aimez. Steven WILSON l’a fabriqué pour vous, entre artisan du bois et chaine de montage professionnelle. Et si le futur risque en effet de nous mordre, il nous restera toujours ce codex énigmatique pour nous souvenir que la musique a été, à un moment très précis, la dernière échappatoire d’un monde à l’agonie qui aurait pu renaître encore plus beau.
Si nous l’avions vraiment voulu.
Titres de l’album:
01. Inclination
02. What Life Brings
03. Economies of Scale
04. Impossible Tightrope
05. Rock Bottom
06. Beautiful Scarecrow
07. The Harmony Codex
08. Time Is Running Out
09. Actual Brutal Facts
10. Staircase
Magnifique chronique, probablement la plus belle que j'ai pu lire jusqu'ici sur the harmony codex. Difficile de rajouter quoi que ce soit, juste que même 31 ans après l'avoir "rencontré ", le bonhomme arrive à me surprendre encore... un pu... d'alchimiste sonore..
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