Restons en Italie au sein de l’écurie Wanikiya Record pour y découvrir un jeune groupe aux ambitions affichées, qui souhaite se faire sa place au sein du royaume du Metal progressif moderne aux sonorités symphoniques. D’ailleurs, les musiciens ne perdent pas de temps à situer leurs influences, et en citent deux majeures : DREAM THEATER et RHAPSODY OF FIRE, et en écoutant leur premier album, on se rend rapidement compte que ces deux noms ne sont pas employés au hasard. Etant plus enclin à supporter la tutelle de la référence américaine que de l’italienne, je me méfiais donc à priori de ce mélange potentiellement imbuvable, mais il semblerait heureusement que les LINING REDOX aient plus emprunté à Petrucci & co qu’à Luca Turilli. Ceci étant dit, leur musique ne manque pas de cette touche « Hollywood Metal » revendiquée par la bande transalpine, ce qui permet aux morceaux de ce premier album de bomber le torse et de faire preuve d’un panache fondé sur des qualités indéniables.
Originaires de Padoue, LINING REDOX a été formé en 2019 par les deux guitaristes Rayan Resuli et Mattia Rodella, et s’est en un an taillé une jolie réputation, au point de remporter un certain nombre de tremplins, figurant même en bonne place au fameux Sanremo Rock, atteignant la finale sans encombre. C’est donc un groupe rodé qui nous attend d’instruments fermes sur ce premier effort, et autant dire que l’impact est maximal pour peu que l’on soit réceptif au style pratiqué. Ce style est connu, articulé autour d’idées mélodiques dramatiques, d’un sens de l’emphase omniprésent, et d’une démonstration technique élaborée. Ici, tous les codes sont respectés à la lettre, et si le sextet ne fait preuve d’aucune audace, il parvient quand même à se hisser à la hauteur des meilleurs espoirs du genre par sa conviction et son envie.
The Moral Scenery, comme tout bon album de Progressif à tendance Symphonique qui se respecte est donc un concept, basé sur des principes humanistes d’observation. Le thème en est simple est d’actualité, et utilise la conscience de notre environnement et de notre condition comme point de départ, en adoptant le point de vue d’un protagoniste réalisant que la réalité à laquelle nous sommes confrontés chaque jour nous empêche de nous accomplir et de nous révéler. De fait, nous n’avons ni le temps ni l’espace pour réfléchir et laisser notre libre arbitre décider, ce qui nous oblige à trouver notre vérité dans notre inconscient et notre âme pour faire face à ce chaos permanent. Le fondement est donc usuel, la façon de le traiter aussi, et pourtant, il se dégage de cette œuvre une certaine fraîcheur qui nous éloigne des poncifs usés jusqu’à la corde par les cadors du genre, notamment grâce à l’emploi de mélodies moins évidentes, et de longs passages instrumentaux développés permettant aux deux guitaristes de dégainer plus vite que leur ombre. Les deux créateurs sont donc soutenus dans leur entreprise de riffing par quatre collègues, Matteo Mancini au chant, Gianluca Minto aux claviers et au chant grave, Nicola Prendin à la batterie et Nicola Baesso à la basse, et tous ont un niveau personnel conséquent, ce qui permet aux morceaux de bénéficier d’une assise solide pour développer leurs arguments.
Ceux-ci sont étalés sans honte sur l’entame dantesque « Death's Cold Lifeless Sound », qui de ses neuf minutes est sans doute le plus emblématique de cette fusion entre la préciosité américaine et la puissance italienne. On y décèle évidemment les envies de grandiloquence de RHAPSODY OF FIRE, mais aussi les longues avancées de DREAM THEATER, et avec ses nombreux changements de rythme et d’humeur, ce premier morceau place la barre assez haute pour que les plus grands sauteurs s’y retrouvent dans l’effort et la performance. Il faut certes un certain temps pour s’adapter à la voix très lyrique de Matteo Mancini qui rappelle Charlie Dominici, le premier chanteur de DT, et ses inflexions très aigues pourront heurter les tympans les plus sensibles. Mais au niveau du background et de l’instrumental, tout est cimenté pour ne laisser passer aucune souffle d’air, et autant dire que si la rythmique turbine comme une centrale nucléaire au bord de l’explosion, elle sait aussi marquer le pas pour permettre à des sections plus nuancées de s’intégrer.
Rien de fondamentalement indispensable, mais une ambiance asse prenante, des arrangements de claviers bien placés, une basse un peu discrète mais efficace, et surtout, un nombre conséquent de plans pour donner le tournis et nous faire perdre le sens des réalités. LINING REDOX illustre donc bien son propos, et se permet même une splendide cassure acoustique qui n’est pas sans rappeler certains passages de The Wall, avec voix éthérées en arrière-plan et délicatesse classique en flambeau.
Mais les italiens ne se perdent pas non plus systématiquement en considérations de longueur, et nous offrent des morceaux plus courts et percutants, à l’image de la doublette judicieusement placée « Faithless » / « Thunderquake », qui se veut plus directe et énergique. Le title-track en est aussi un bon exemple avec son riff à la limite du Néo, et cet équilibre entre force et sens de l’aventure ne déplaira pas aux amateurs d’un Heavy plus franc et direct. Certes, « The Moral Scenery » n’aurait pas dépareillé sur le Train of Thought de DREAM THEATER, mais comment en vouloir aux italiens de copier leur influence majeure ? D’autant qu’ils conservent leur personnalité au travers du triptyque magique « Transcending », passage central homérique s’étalant sur plus de vingt minutes.
Découpé en trois parties, cet axe central évoque FATES WARNING, et se laisse aller à une approche plus personnelle, emprunte de délicatesse instrumentale, de puissance dans les guitares, sinuant au gré des envies pour imposer l’idée générique de cet album : la société avançant trop vite et nous obligeant à mettre notre réflexion de côté nous déshumanise, et nous transforme en brave petits soldats de la production et la consommation pour satisfaire l’appétit des élites. LINING REDOX est donc un pour produit de son époque qui n’en est pas un, et revendique sa liberté par une musique certes encore un peu empruntée, mais révélatrice d’un potentiel indéniable qui risque fort d’éclater dans les années qui viennent. D’autant que les musiciens ont déjà matière à remplir un second album. Mais en attendant, savourez ce The Moral Scenery, qui vous donnera sujet à réflexion tout en rassasiant votre appétit de Metal féroce et délicatement lyrique.
Titres de l’album:
01. Reminiscent
02. Death's Cold Lifeless Sound
03. Faithless
04. Thunderquake
05. Transcending Pt. 1: Deceiver
06. Transcending Pt. 2: Stillness
07. Transcending Pt. 3: Defiler
08. The Moral Scenery
09. Clarity
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