Je ne sais pas si 2019 a été placée sous des auspices particuliers depuis les origines. Il faudrait interroger à posteriori ce bon vieux Nostradamus ou Elizabeth Tessier pour avoir une explication, mais cette année est aussi chargée en surprises que le pied du sapin de Noel d’une princesse d’un royaume bien réel. Et pas n’importe lesquelles…Certes, l’underground, les groupes émergents, les nouvelles sensations ne nous ont pas épargnés, mais ce qui est assez fascinant depuis le mois de janvier, c’est que les références, les grands, les icones n’ont pas chômé non plus. Pour faire le compte juste, souvenez-vous de RAMMSTEIN, de SLIPKNOT, de TOOL, tremblez un peu, et ajoutez au solde KORN, pour obtenir neuf mois pas encore achevés d’albums fondamentaux, presque des postulats, et certainement les témoignages les plus probants de carrières pourtant solidement établies. On en est à ce point qu’on en attendrait presque l’album qui ramènerait METALLICA du côté de Load et un nouveau MACHINE HEAD (là, plus difficile) à la hauteur de Burn My Eyes. Mais sans jouer les oracles, ou les prophètes de fortune, je reconnais avoir du dégainer ma meilleure plume à plusieurs reprises pour essayer de hisser mon verbe à la hauteur des réussites musicales proposées…Petit message d’introduction aux détracteurs, demandez-vous d’abord avant d’aller plus loin et de cracher votre fiel, pourquoi vous détestez KORN à ce point. Parce qu’il a toujours incarné un mauvais renouveau pour vous, de la même façon que NIRVANA s’était fait détester ? Parce qu’il fut le chef de file d’un « nouveau Metal » que vous avez conchié, sous prétexte qu’il n’en était pas pour vous, ou trop différent ? Parce que vingt-cinq ans après son émergence, le groupe est encore là, presque dans sa configuration d’origine et que ça vous défrise ? De toutes ces possibilités, les mecs de Bakersfield n’ont cure. Ils sont ce qu’ils ont toujours été, ne seront jamais rien d’autre, malgré des parenthèses travesties (ce fameux travers Dubstep que les opposant leur collent sous le nez comme preuve majeure de leur hérésie), et continuent, continuent d’explorer les traumas de leur leader comme si cette musique était la seule catharsis possible. Et elle l’est. Pour nous aussi.
Si on se pose un peu, on comprend assez vite que KORN n’a rien proposé de révolutionnaire depuis son premier éponyme. Il a ensuite passé son temps à peaufiner le style, le durcir, l’ouvrir à d’autres influences, à gommer celles envahissantes du Hip-Hop, à s’acoquiner avec des outsiders pour ouvrir son champ des possibles, à organiser des festivals de masse érigés à sa propre gloire, et à revenir comme une bête blessée dans le giron de la violence sourde la plus sincère. Une fois l’intronisation du frappeur de luxe Ray Luzier en 2007 et le retour au bercail de Brian "Head" Welch en 2013 admis, les étonnements ont fait place aux certitudes, et il ne restait plus à la bande qu’à suivre ce chemin global, pour trouver la sérénité dans la souffrance. Cette sérénité justement, ils l’avaient formalisée il y a trois ans, au travers d’un album solide, et certainement l’un des meilleurs de leur carrière, sans rien proposer de choquant, bouleversant, innovant. Une fois encore, avec The Nothing, ils jouent leurs propres cartes, tranquillement, et continuent de sonder l’esprit de leur chanteur poursuivi par le malheur, la peine, l’isolement et la rancœur à l’égard d’une vie qui ne souhaite pas le laisser en paix. Jonathan Davis ne fera donc jamais partie du club du bonheur, il continuera de supporter les contrariétés, la violence, et continuera de l’exorciser à grand renfort des guitares de ses deux amis, qui riffent toujours aussi sombre, et qui trouvent toujours des gimmicks rythmiques à rendre fou n’importe quel suiveur. Mais même en partant de ce rien, le leader du Néo-Metal est encore cette bête indomptable qui accepte de laisser ses plaies à vif pour que le public puisse les regarder avec voyeurisme, avant de tenter de les panser comme il peut. Produit par Nick Raskulinecz, et toujours sur Roadrunner, ce treizième album du quintet lui portera peut être chance, en conjurant le sort du malheur. Né de la souffrance d’un Davis qui a coup sur coup perdu sa mère et sa femme, dans des circonstances plus que malheureuses, The Nothing est un coup d’œil jeté sur le néant, celui d’un cœur qui aimerait ne plus saigner, mais aussi le survol le plus complet (ou presque) d’une carrière exemplaire, non dénuée de faux-pas, mais utilitaire dans le sens le plus artistique du terme. Il n’enfonce aucune porte qui ne soit déjà ouverte, se contente souvent de prolonger le travail laissé en l’état il y a trois ans, et pourtant, reflète des images que l’on n’a pas l’habitude de voir dans le miroir de KORN. Des expressions plus apaisées, des mélodies un peu plus franches que la moyenne, des tics qui se mutent en réactions épidermiques, des sentiments qui s’articulent autrement que par un scat nerveux ou des hurlements gutturaux, et une musique certes connue, appréciée, mais qui trouve toujours un biais pour ne pas sonner trop convenue.
Abordé comme la thérapie qu’il a été, ce disque n’a pas été pensé ni conçu comme l’étape cruciale que chaque sortie majeure représente. Il n’a pas le côté fouillis et complètement bordélique d’un St Anger, il n’a pas non plus l’âme désespérément noire d’un Tonight’s The Night. Il n’est pas la sortie de l’hôpital annoncée dans les gros titres, juste un grincement de gonds lorsque celle-ci se referme en attendant la prochaine poussée. Alors qu’on pensait Davis au fond du trou et prêt à beugler sa souffrance comme un patient incurable, alors qu’on s’apprêtait à traiter du cas le plus noir de la carrière des américains, The Nothing est presque trop normal et calme dans les faits. Certes, l’intro « The End Begins » avec sa cornemuse et ses pleurs nous laisse augurer d’un regard vers le passé très appuyé, et plante le décor sur les ruines de l’espoir, mais « Cold », déjà connu, n’est pas l’explosion sourde de rage et de peine que l’ambiance exigeait. Le phrasé est encore là, évidemment, le riff principal plutôt déviant, mais les arrangements, la syncope sont d’usage, et rien ne vient vraiment chahuter notre esprit. Du bon KORN, de l’excellent même au regard des standards de jugement, avec cette basse qui claque, ce tempo que Ray martèle comme le pas d’un cortège funèbre, et ce refrain presque trop lumineux, et parfaitement en osmose avec ceux que The Serenity of Suffering lâchait. « You'll Never Find Me » est d’ailleurs si parfait qu’on aurait pu tomber dessus sur Life Is Peachy ou Untouchables. Les boucles, la voix qui plane comme une menace, la complémentarité grondante des guitares de Munky et Head, les frères siamois, toutes les composantes sont en place, et c’est une fois encore dans les détails indécelables qu’il faut aller chercher les explications. On les trouve par intermittence sur l’énorme « H@rd3r », avec un Davis qui se demande qui il est, sur le plombé et glauque « Idiosyncrasy », montrant le quintet sous son jour le plus sombre et Heavy, sur l’aveu implicite « Finally Free », qui malgré des saccades symptomatiques des nineties ose des juxtapositions surprenantes et presque Pop/R’N’B, et plus généralement, dans le déroulé générique d’un album qui joue un mode mineur pour un groupe majeur.
KORN sur ce treizième tome n’a pas osé défier la légende, il n’en a même pas tenu compte. Il s’est contenté d’enregistrer une musique logique, qui se suffit à elle-même. Eventuellement décevant de la part d’une icône aussi importante, mais finalement, la seule alternative possible. Pour le moment, et avec le peu de recul offert, aucun morceau ne s’impose comme un futur classique, alors que « Black is the Soul », « Insane » et « Rotting in Vain » acceptaient directement ce fardeau il y a trois ans. Mais des indices, des traces, ce final « Surrender To Failure », tribal, et qui voit un Jonathan Davis assumer que « pour chaque belle chose qu’il a faite, il y a eu un prix à payer ». Le glaçant « The Loss », pourtant le morceau le plus surprenant de la part des cinq, haché au possible, et assez proche du versant le plus abordable d’une mode née il y a vingt-cinq ans, avec ce mélange étonnant de mélodies et d’arrangements Pop. On voit dans ce morceau le RAMMSTEIN de « Puppe », et le SLIPKNOT de « Spiders », ces moments fugaces où les défricheurs s’éloignent de leurs ténèbres pour aller vers la lumière. Ce qui prouve que quelque part, quelque part sous la couche de connaissance et de reconnaissance, il y encore possibilité de trouver des traces de pas partant dans une autre direction. Mais quelle que soit la direction suivie par KORN, nous la suivrons, parce qu’on suit toujours les leaders. Même si ça ne doit rien donner. The Nothing n’est pas tout, mais il est quelque chose. Et surtout pas rien.
Titres de l’album :
01. The End Begins
02. Cold
03. You'll Never Find Me
04. The Darkness Is Revealing
05. Idiosyncrasy
06. The Seduction Of Indulgence
07. Finally Free
08. Can You Hear Me
09. The Ringmaster
10. Gravity Of Discomfort
11. H@rd3r
12. This Loss
13. Surrender To Failure
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