Il n’y a pas de fumée sans feu. Combien de fois avez-vous entendu cet adage appliqué à toute situation, laissant dire que si on parle de ceci, c’est bien à cause de cela. Des ragots, des malentendus, des jugements à l’emporte-pièce, la vindicte populaire, mais aussi, dans un sens plus positif, une réputation, méritée pour certains, et usurpée pour d’autres. Mais un feu sans fumée ? Une tragédie qui ne se serait pas annoncée ? Ou un réel talent qui n’aurait pas eu besoin d’artifices de promotion pour embraser le ciel de la production actuelle ? C’est bien ce deuxième cas de figure que le second album des allemands de LUNAR SHADOW illustre, puisque ce nom que trop peu encore connaissent est sur toutes les lèvres des esthètes depuis 2017 et la parution du surprenant et hautement séduisant Far From Light. Et pour cause, puisque ce LP introductif nous avait tous pris à rebrousse-poil de ses ambitions notables et de ses inclinaisons de métissage pour le moins surprenantes. Il faut dire qu’en tant que groupe se réclamant de la mouvance old-school, LUNAR SHADOW n’y allait pas avec le dos de la cuiller. Acceptant un fond de travail hérité de la NWOBHM, mais se targuant de la faire dériver vers des courants plus extrêmes découlant du BM et du Death mélodique, les allemands posaient donc des jalons pour le moins inhabituels, et validaient cette prise de position de notre cher Long Chris qui se vantait de jouer une musique bizarre pour des gens étranges. Sauf que la musique de nos cousins germains était tout sauf bizarre, mais bien riche, travaillée, hypnotique et unique, ce qui avait permis à ce premier effort de se voir loué dans toutes les colonnes du monde, à juste titre au regard de sa richesse harmonique et de son ouverture d’esprit factuelle.
Et dur virage à négocier que celui du second effort pour le quintet renouvelé, avec toujours un quatuor de base (S. Hamacher - basse, J.Zehner - batterie, Max et K.Hamacher - guitares), auquel s’est greffé un nouveau vocaliste, Robert Röttig, venu d’ORBITER prêter main forte à ses nouveaux compères. Nous attendions donc beaucoup de cette suite des évènements, et il est raisonnable de dire que nos espoirs ont tous été comblés presque au-delà de ces dites attentes, puisque The Smokeless Fires valide toutes les hypothèses émises il y a deux ans, gommant les points faibles pour achever de transformer les LUNAR SHADOW en référence majeure et futur grand du Metal indéfinissable. Bien évidemment, nous retrouvons toutes les composantes que nous chérissions tant, cette volonté de s’extirper des carcans sans sonner trop versatile, cette tendance à accommoder le passé pour le rendre plus étrange qu’extirpé d’un grand sommeil, cette façon d’utiliser l’instrumentation atypique dans un contexte purement extrême, et surtout, ce talent pour rendre les longues digressions digestes sans avoir recours à des astuces éculées et trop faciles. Se basant toujours sur une trame délicatement passéiste, les allemands ont de plus en plus recours à des déviations particulières, imposant un piano nostalgique pour mieux mettre en exergue leur talent de mélodistes, ou accélérant le tempo pour durcir des riffs que THIN LIZZY aurait pu prêter aux OPETH, sans que l’une ou l’autre des formules ne paraisse surfaite ou hors contexte.
En raccourcissant leurs morceaux de quelques minutes, les cinq musiciens ont voulu prouver qu’ils étaient capables de condenser sans perdre de leurs ambitions, et le résultat laisse tout simplement admiratif. Toujours prompts à passer d’une approche à une autre sans perdre le fil de leur pensée, les LUNAR SHADOW sont toujours aussi doués pour sauter du classique au bourru, et l’enchainement magique entre le mélancolique « Pretend » et le surpuissant « Laurelindórenan » nous démontre que le culot paye toujours, et les influences parcourent l’esprit comme autant de pièces d’un puzzle se mettant en place. Utilisant les codes anglais de l’orée des eighties, ceux décryptés et utilisés par IRON MAIDEN, puis recyclés par les THE LORD WEIRD SLOUGH FEG, pour mieux les pervertir d’une touche poétique de Black nuancée et déformée, The Smokeless Fires se veut aussi violent que nostalgique, et aussi harmonieux que rythmique. Les évolutions instrumentales, trademark du groupe n’ont pas disparu, bien au contraire, mais se voient transfigurées par un esprit synthétique qui évite les débordements, et ne retient que les mélodies les plus pertinentes. Et après une intro délicate aux touches de piano presque effleurées sur fond d’arrangements venteux, « Catch Fire » allume l’étincelle déclenchant le feu de forêt, via un riff purement Heavy Metal dégénérant en incendie Mélodeath/BM, dans la plus pure tradition 90’s/00’s de la chose. Cette manière d’amalgamer les tendances, cette tendance à accepter la différence est encore plus appuyée sur ce titre qu’elle n’a pu l’être sur le premier LP, et la voix de Robert Röttig, à mi-chemin d’un Ozzy en pleine transe et d’un Brian Ross particulièrement énervé accentue ce décalage entre passéisme et modernisme, créant un schisme entre hier et aujourd’hui, sans provoquer de cassure trop évidente. Avec des plans se succédant en parfaite logique, un rythme appuyé et des interventions en solo toujours aussi pertinentes, le groupe prouve qu’il est en place et que son premier LP était loin d’être un simple feu de paille.
Alternance entre violence et délicatesse, barrières qui tombent et frontières foulées, « Conajohara No More » continue les grands pas pour faire avancer les choses, et répète le schéma sans répercuter les mêmes idées. On pense à une version d’OPETH très ambitieuse, sans les tics dramatiques irritants sur la durée, mais on constate surtout cet incroyable équilibre trouvé entre hier et aujourd’hui, et entre ce désir de brutalité matinée de douceur tout sauf lénifiante de niaiserie. Et lorsque la concision se substitue à la déraison (« Roses »), le rendu n’en est pas plus modeste pour autant, mais les licks accrocheurs. Sur les deux dernières entrées LUNAR SHADOW retrouve son envie de ne plus respecter les limites, et accouche de deux monstres de plus de sept minutes chacun, avec un « Red Nails (For The Pillar of Death) » qui transpose le Heavy d’antan dans un décor Death surpuissant, et un « Hawk of the Hills » que MAIDEN aurait pu composer avec DISSECTION, sans que l’un ou l’autre n’ait le sentiment de trahir son camp. Quelques références remontent à la surface, celle d’EXXPLORER lorsque la lumière se tamise, celle d’ICARUS WITCH pour les plus pointus, mais entre des riffs qui kidnappent les tympans, des mises en place rythmiques qui accentuent cette sensation de créativité débordante, cette mélancolie se fondant dans la violence, LUNAR SHADOW confirme qu’il n’y a pas de fumée sans feu, et qu’il incarne bien le futur d’un Metal qui cherche sans cesse à se renouveler sans s’auto-parodier. Un chef d’œuvre ? Pas encore, mais lorsque le ciel s’embrasera, vous ne pourrez pas dire que je ne vous avais pas prévenus.
Titres de l’album :
1.Catch Fire
2.Conajohara No More
3.Roses
4.Pretend
5.Laurelindórenan
6.Red Nails (For The Pillar of Death)
7.Hawk of the Hills
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