The Third Perspective

Azure Emote

06/03/2020

Selfmadegod Records

Le métissage, c’est bien, c’est une valeur d’ouverture. S’ouvrir aux autres cultures, aux autres courants, aux autres langages…L’avant-garde c’est bien aussi. Essayer des techniques et des approches différentes, distordre les sons et les idées, juxtaposer des styles contraires, les associer, les fondre, ou au contraire, jouer le minimalisme. J’adore ça et je ne m’en cacherai pas, mais il en va de l’art musical comme de l’art culinaire, quand n’importe qui mélange n’importe quoi, ça peut vite donner une vague idée de l’abomination concrète. A l’inverse, entre les mains de créateurs à l’imagination proportionnelle au talent, l’exercice produit un résultat si effrayant de pertinence et de culot qu’on en reste sans voix et sans mots. C’est plus ou moins l’état dans lequel je suis après avoir écouté le troisième album des américains d’AZURE EMOTE, The Third Perspective, qui plus qu’une simple troisième voie diplomatique ouvre nos sens et notre perception à des possibilités infinies…Si dans les sixties, Timothy Leary voulait qu’on se « branche », et si la décennie précédente, Aldous Huxley voulait ouvrir les portes de la perception que Jim allait finir par débloquer avec ses propres portes, AZURE EMOTE nous ouvre un univers entier de voies à emprunter, en jouant la musique la plus extrême possible. Il est clair depuis des années que le Metal le plus sombre et sournois s’accommode fort bien d’une instrumentation hors norme. On entend du piano dans le BM, du saxo dans le Death, un peu de tout dans l’Industriel, mais là n’est pas le plus important, tout ceci tenant plus du gimmick qu’autre chose. Ce qui est important, c’est d’apporter à un style les éléments nécessaires à son évolution, sans tenir compte d’une quelconque pertinence de surface ou d’une éthique fantoche. Et avec ce troisième LP, les originaires de Philadelphie en Pennsylvanie s’affranchissent de toutes les contraintes possibles pour proposer le Death Metal technique et progressif le plus fertile et créatif du marché.

Avec seulement trois LPs en presque vingt ans d’existence, le groupe n’est pas ce que l’on peut appeler un producteur acharné. Mais les connaisseurs ayant déjà expérimenté les labyrinthes qu’étaient Chronicles of an Aging Mammal en 2007 et The Gravity of Impermanence en 2013 savent très bien qu’on n’atteint pas un tel niveau en lâchant un album par an. C’est pour cette raison qu’il aura fallu attendre sept ans pour connaître enfin la suite des aventures artistiques d’AZURE EMOTE et autant jouer la franchise : l’attente était largement inférieure au résultat. Et si autant d’années séparent ces œuvres, c’est aussi parce que ses auteurs ne chôment pas entre-temps, et fricotent avec un nombre conséquent d’autres formations. C’est ainsi que Mike Hrubovcak (chant, flûte, maracas, harmonica, claviers, samples, programmation) se retrouve aussi dans les rangs d’HYPOXIA, J.J. HRUBOVCAK, MONSTROSITY, VILE, NADER SADEK (live), et DIVINE RAPTURE, que Ryan Moll (guitare, basse) complète le line-up d’IN THE FIRE, OLD HEAD, RUMPELSTILTSKIN GRINDER, TOTAL FUCKING DESTRUCTION, et DIVINE RAPTURE aussi, tandis que Mike Heller (batterie) s’amuse de concert dans CASTROFATE, CONTROL/RESIST, CRUELTY EXALTED, EXCOMMUNICATED, GOREPUNCH, MALIGNANCY, RAVEN, WRETCHEDPAIN ou FEAR FACTORY. Voilà donc de quoi occuper trois musiciens qui ne sont pas seuls sur le coup, puisque quelques autres sont aussi venus donner un coup de main ou apporter leur contribution à l’affaire. Ainsi, on retrouve des lignes de basse de Kelly Conlon (DEATH, PESSIMIST, MONSTROSITY) qui joue aussi de la trompette sur le morceau « Three Six Nine, »,  des parties vocales de Melissa Ferlaak (THERION, PLAGUE OF STARS, ECHOTERRA, AESMA DAEVA), du violon de Pete Johansen (SINS OF THY BELOVED, TRISTANIA, MORGUL, SIRENA), et des claviers joués par Jonah Weingarten (PYRAMAZE, WE ARE SENTINELS, TERAMAZE). Ajoutez quelques guitares sur « Loss » par Mark English (MONSTROSITY, DEICIDE), ainsi que sur « Dark Realms » et « Solitary Striving » par Bob Davodian (DIVINE RAPTURE, RANDALL FLAGG). Casting de luxe pour chef d’œuvre en devenir, rien d’étonnant à ce que l’ensemble sonne aussi gigantesque.

On peut légitimement se dire avant d’avoir écouté une seule note que l’accumulation de participants et leur pedigree ne garantit en rien une qualité sonore. C’est la vérité, mais après quelques secondes de « Loss », l’évidence saute aux tympans ; l’album est un monstre. Son concepteur principal, Mike Hrubovcak l’a voulu aussi extrême que possible, mais aussi le plus varié, pour que chaque chanson possède son identité propre, ce qui est immanquablement le cas. D’emblée, on remarque la durée de certains titres, qui dépassent allègrement les dix minutes, à l’instar de « Dark Realms ». Mais loin de jouer le roboratif ou le complaisant ces morceaux sont des monstres d’évolution, qui parviennent à synthétiser des décennies d’expérimentation, sans même aller parler de Metal uniquement. On retrouve des influences évidemment, celles de NOCTURNUS, de SHINING, THY CATAFALQUE, EDGE OF SANITY ou même ARCTURUS et STRAPPING YOUNG LAD, mais il y a dans cette musique une vraie profondeur derrière les ambitions artistiques, qui crève les yeux sur le monumental « Negative Polarity », que le Tom Warrior des années 2000 aurait pu composer pour Anneke. Si The Third Perspective est le plus sombre de la carrière erratique d’AZURE EMOTE, il est aussi le plus bouillonnant, le plus effrayant, le plus massif, et pourtant celui dont les détails se remarquent le plus. On note avec délice des soli mélodiques dans le plus pur esprit de Chuck Schuldiner ou James Murphy, des ambiances BM que le grand EMPEROR avait imposé en son temps, des superpositions de clavier et de violons avant une cavalcade impitoyable sur l’intro de « Three Six Nine », et surtout, une façon de piétiner les frontières entre les genres extrêmes, réconciliant l’Indus avec le Black, le Death avec l’opératique, sans tomber dans le piège du fourre-tout inextricable et incompréhensible.

Vu de loin, on pense à un lien ténu entre ATHEIST, PESTILENCE et ARCTURUS, et le parallèle est loin d’être incongru. Les américains ont pérennisé la complexité des premiers (certaines parties de batterie donnent mal au solfège), fait fructifier la crudité élitiste des seconds (les riffs laissent souvent la place à des lignes de basse dignes d’UZEB), et emballé le tout dans une humeur globale spatiale héritée des derniers. Aussi efficace qu’il n’est intelligent, aussi précis et pugnace qu’il n’est élaboré, The Third Perspective ridiculise la concurrence et la laisse à des kilomètres en arrière, hébétée d’avoir autant de retard. Inclinaisons médiévales, penchants orientaux, percussions, arrangements luxurieux, la beauté se met à la hauteur de la brutalité, et on termine le trip halluciné sur « Solitary Strivin », qui met quatre minutes d’intro avant de lâcher les watts. Sommet de contre-culture qui conchie la nostalgie et la substitue par l’envie des compositeurs à l’aise dans leur époque et leur vision, ce troisième LP d’AZURE EMOTE fera dans les années à venir figure de pierre de rosette du Death Metal progressif et expérimental, au même titre qu’Elements d’ATHEIST ou Oscura de GORGUTS. Et ces mots sont pesés, souvenez-vous en au moment de le réécouter.       

                                  

Titres de l’album :

                           01. Loss

                           02. Curse Of Life

                           03. Dark Realms

                           04. Negative Polarity

                           05. Three Six Nine

                           06. Solitary Strivin

Facebook officiel


par mortne2001 le 14/07/2020 à 18:03
98 %    1118
Derniers articles

Great Falls + Kollapse

RBD 04/05/2025

Live Report

Chaulnes MÉTAL-FEST 2025

Simony 27/04/2025

Live Report

Star Rider/Blaze Bayley

mortne2001 24/04/2025

Live Report

LOUDBLAST : 40 ans de carrière !

Jus de cadavre 20/04/2025

Vidéos

Big Brave + MJ Guider

RBD 12/04/2025

Live Report

Becoming Led Zeppelin

mortne2001 09/04/2025

Live Report

Klone

RBD 08/04/2025

Live Report

Dr. Feelgood

mortne2001 29/03/2025

Live Report

1000Mods + Frenzee

RBD 24/03/2025

Live Report
Concerts à 7 jours
Tags
Photos stream
Derniers commentaires
Humungus

Cela me coûte de le dire, mais je plussoie.

13/05/2025, 07:56

Gargan

Avec Massacra legacy, ça commence nettement à avoir plus de gueule ! Reste à voir la suite des annonces. Mais je crois que je vais plus préférer le Westill le mois suivant au même endroit cette année, déjà Elder et Wytch Hazel de confi(...)

13/05/2025, 07:48

Jus de cadavre

Ce son de bâtard à la guitare (comme toujours avec Lik) !

12/05/2025, 21:30

Arioch91

@Orphan, pas grave   

12/05/2025, 19:03

Orphan

Mea culpa....J'avais pas vu la news en première page - j'ai été directement te répondre.

12/05/2025, 14:33

Orphan

Nouvel album fin du mois

12/05/2025, 14:31

Arioch91

*et à avoir du mal à les en déloger!(petite correction)

12/05/2025, 13:45

Arioch91

S'il est du même acabit que le The Cthulhian Pulse: Call From The Dead City sorti en 2020, Mountains of Madness risque d'être un allday listening pour moi.J'ai hâte, bordel !

12/05/2025, 13:44

Arioch91

J'étais passé totalement à côté de cette petite pépite de Death Suédois!Vieux moutard que jamais!Puteraeon glisse de belles ambiances lovecraftiennes sur cet album et les arrangements apportent un plus à l'ensemble.

12/05/2025, 13:42

Arioch91

Necro est sympa, avec de bons passages groovy et d'autres où le groupe envoie du bois.Pas sûr de l'écouter durablement, d'autant plus que le prochain Puteraeon sort le 30 avril prochain.

12/05/2025, 13:40

Arioch91

Sentiment mitigé pour ma part   Le chant de Johan Lindqvist n'atteint pas un pouïème de ce qu(...)

12/05/2025, 13:38

Humungus

Au vu de la dernière vidéo-ITW en date du gonze sur ce site, pour ce qui est de "feu sacré", il a toujours l'air de l'avoir le mec.Je pars donc confiant.

08/05/2025, 09:17

SALMIGONDIS

@ MobidOM :oui, pas faux pour la "captation d'héritage" !  :-/     En même temps, s'il a encore le feu sacré et propose un truc pas trop moisi...  De toute façon la critique sera sans pitié si le truc ne tient pas la(...)

07/05/2025, 11:52

Orphan

Ah ce fameux BRUTAL TOUR avec Loudblast / MASSACRA / No Return et Crusher en 95 ! LA PUTAIN de bonne époque

07/05/2025, 11:04

RBD

@ Oliv : Montpellier étant une ville et une agglomération plus petite que Lyon, il n'y a véritablement de la place que pour deux petites salles orientées Rock-Metal-Punk-etc, à ce qui me semble après vingt-cinq ans d'observation. Au-delà,(...)

06/05/2025, 20:29

MobidOM

"Death To All", à chaque fois que je les ai vu ils avaient un line-up tout à fait légitime (dont une fois tous les musiciens qui ont joué sur "Human", à part Chuck bien sûr)Et puis la phrase "Chris Palengat pr(...)

06/05/2025, 20:28

RBD

Je ne vois pas beaucoup l'intérêt, et je ne comprends pas pourquoi ils n'ont pas attendu les trente ans de l'album l'an prochain. Ces dernières semaines je me retape les premiers, et ça reste un bonheur.

06/05/2025, 19:29

Caca

line-up de clodos

06/05/2025, 18:18

SALMIGONDIS

Vénérant ces albums et n'ayant jamais vu la vraie incarnation de Massacra, hors de question de louper ça (si ça passe à portée de paluche, pas à Pétaouchnok). Un peu comme un "Death To All"...  

06/05/2025, 17:11

DPD

Ils sont juste trop faux-cul pour assumer le statut de tribute band, voilà tout.

06/05/2025, 16:15