C’est amusant de constater qu’en fait, la carrière de QUEENSRŸCHE, du moins sur sa période la plus trouble ressemble beaucoup à celle de SEPULTURA. Un groupe lassé de voir toutes les décisions prises par la femme de son chanteur, chanteur qui cela dit au passage semblait se satisfaire de cette situation. Sauf que dans le cas des originaires de Seattle, en plus de la femme manager et du chanteur légèrement narcissique, il y avait aussi la fille responsable du fan-club. Et ça peut faire méchamment pencher la balance d’un seul côté, avec un trois contre quatre qui pèse pourtant plus lourd. Et on sentait que tout ça allait mal finir, pour achever de s’en convaincre, il suffisait de tendre une oreille sur Dedicated To Chaos et de voir le groupe en tournée, tourner le dos à de plus en plus de classiques pour faire de la place au nouveau répertoire. Mais à contrario de SEPULTURA qui eut beaucoup de mal à se remettre du départ de son chanteur, qui lui s’offrait une nouvelle carrière encore plus exposée, QUEENSRŸCHE a su rebondir en se ressourçant, et en repartant vers ses origines, nous livrant un premier LP éponyme post séparation enterrant définitivement la pathétique tentative Frequency Unknown de Tate qui s’embourbait dans les certitudes fanées, malgré un timbre de voix intact. Depuis, les chemins ont définitivement divergé, la cour a rendu son verdict, et le groupe a tracé sa route et publié une confirmation, peut-être encore plus flamboyante que la première assertion, via un Condition Human qui semblait démontrer que l’ex-CRIMSON GLORY Todd La Torre était définitivement à sa place en leur sein, un peu comme s’il avait toujours fait partie du concept. Sans vouloir revenir une énième fois sur cette sordide histoire de split et de droits, autant admettre que ce déchirement a permis à QUEENSRŸCHE de renouer avec la flamboyance des années de gloire, et depuis quatre ans, nous attendions impatiemment de connaître la suite de leurs aventures, qui prennent la forme aujourd’hui d’un quinzième LP studio, ce The Verdict qui en prononce un irrévocable. L’un des plus grands groupes de l’histoire de Heavy Metal n’a toujours pas envie de se laisser rattraper par la concurrence ou de renier ses traits de caractère les plus symptomatiques, se payant le luxe de côtoyer les cimes autrefois atteintes par ses œuvres les plus culottées.
Produit par l’incontournable Chris "Zeuss" Harris (ICED EARTH, ARSIS, SUFFOCATION, et tellement d’autres qu’on ne les recensera pas ici), The Verdict est en quelque sorte une fin de non-recevoir, et une confirmation à la fois. Une négation des années perdues à se rapprocher d’une Pop toujours plus avide de concessions, et l’assertion que le seul véritable QUEENSRŸCHE fut celui des années 80, jusqu’à la sortie du chef d’œuvre ultime Empire qui reste le monument du Hard-Rock pivot des nineties, paru juste à temps pour éviter d’être bouffé par la vague alternative. Todd n’a d’ailleurs pas caché son impatience de l’offrir au public, après cette campagne participative une fois encore couronnée de succès. Et Wilton n’a pas fait grand cas d’un revirement vers l’approche plus progressive des jeunes années, sans hésiter sur le caractère profondément Heavy de ce nouvel album. A l’écoute de ce quinzième chapitre de la saga, il est facile de donner raison à l’un tout en comprenant l’autre. Car The Verdict, troisième album de l’ère La Torre est sans doute le plus équilibré, dans tous les sens du terme. On y retrouve l’envie d’en découdre de Queensrÿche, la puissance de Condition Human (déjà produit par Harris), le tout équilibré d’une maturité qui fait plaisir à entendre, d’autant plus qu’elle se voir boostée par une envie irrépressible de revenir aux fondamentaux, sans trahir son époque et faire le jeu des fans de vintage bon marché. Le son global, sombre mais aéré est l’un des plus pertinents de la carrière du groupe, à peu près autant que celui d’Empire, et il assez logique d’en trouver des traces sur le magnifique et envoutant « Inner Unrest », qui semble aussi nostalgique qu’une vieille photo posée sur un nouveau meuble et y trouvant sa place attitrée. Pourtant, outre le fait qu’il constitue la troisième partie d’un triptyque de renouveau, The Verdict devait aussi affronter la défection d’un des membres légendaires de la troupe, prenant acte du départ de Scott Reckenfield et laissant ainsi Todd assumer outre ses lignes de chant les parties de batterie. De ce côté-là aussi, la transition a été la plus douce possible, puisque la frappe de Todd, nuancée et racée, s’accorde merveilleusement bien de la tendance prônée. Et cette tendance est palpable sur l’ensemble du travail accompli, et sur les détails les plus infimes aussi. Car le double piège que devait affronter le quatuor était de ne pas se laisser happer d’une part par les standards actuels qui semblent confondre Heavy de bucheron et puissance de fond, et d’autre part de se reposer un peu trop ouvertement sur son passé. L’équilibre trouvé entre modernisme et traditionalisme est donc bluffant de crédibilité, et « Blood Of The Levant » de le démontrer en quelques minutes, quelques riffs précieux, et des lignes vocales bénies des Dieux.
Autre grand signe d’intelligence à noter, le fait d’avoir accepté le timing comme composante importante. QUEENSRŸCHE continue de mesurer ses retours, semblant conserver les critères imposés par les eighties et ces quarante-cinq minutes qui permettaient sur vinyle de garder un son dynamique. Dix chansons qui dépassent en plusieurs fois les cinq minutes, mais qui ne s’éternisent pas, et qui se concentrent sur des thèmes porteurs, se posant tour à tour sur les pierres du passé pour rebondir vers le présent. Le fan hardcore, suivant les traces depuis The Warning ou Rage For Order, et n’ayant pas lâché ses idoles dans les nineties saura remarquer que tous les disques majeurs trouvent un écho ici, malgré l’envie de retourner vers des rivages plus progressifs, et symptomatiques du triumvirat Rage For Order/Operation Mindcrime/Empire. Il est d’une lénifiante évidence que ces trois albums resteront à jamais les achèvements majeurs d’un groupe unique, et ce legs est à ce point encombrant que certains morceaux semblent exhumés de bandes restées dans un tiroir depuis 1990. Ainsi, le final « Portrait » nous glace les sangs de son mimétisme absolu, et nous trouble de son esprit synthétique qui nous propulse des décennies en arrière, tout en offrant de nouvelles pistes pour l’avenir. D’ailleurs, le groupe a finement joué sa carte en plaçant en arrière-plan les morceaux les moins directs, préférant garder en entame les uppercuts les plus puissants, à l’image de « Man The Machine » qui aurait aisément pu se substituer à « Spreading the Disease » sur Operation Mindcrime. L’ambiance globale, adaptée au non-concept de l’album qui préfère se concentrer sur tous les dommages commis à l’encontre d’un monde partant à la dérive, est résolument opaque, tamisée, aux lumières volontairement cachées par des astuces de production et des effets qui tombent toujours pile, et « Light-Years » de jouer l’ambivalence d’un couplet noir comme un inédit de Rage For Order, avant de nous réchauffer d’un refrain purement Promised Land. La basse d’Eddie Jackson, toujours aussi ronde et claquante cimente le lien entre les parties de Todd et les riffs sinueux de la paire Lundgren/Wilton, mais ce sont clairement les aménagements multiples qui sautent aux oreilles, cette façon de passer de l’ombre à la lumière, et de truffer le chemin de petites finesses de composition et d’interprétation qui prend.
Aucun titre bouche-trou, une classe permanente, et une façon de dire aux fans et à ses contemporains qu’on ne changera plus. Et au contraire, qu’on se connaît tellement bien qu’on peut oser des choses plus légères (« Propaganda Fashion »), sans tomber dans l’arnaque Pop des années 2000. Ou à l’opposé, traquer le passé pour lui imposer le présent avec des coups de brosse violents sur le tableau, d’une mystique que les fans apprécieront en l’état (« Bent », ses chœurs grondants, et l’un des rares à échapper à des années de gloire un peu trop pesantes). A une époque, QUEENSRŸCHE imposait le respect, symbolisait la classe ultime, et chacun de ses albums était attendu comme un nouveau messie sur la voie de l’ouverture d’esprit. Il en est toujours de même aujourd’hui, malgré ses erreurs de parcours. La sérénité en plus.
Titres de l'album :
01. Blood Of The Levant
02. Man The Machine
03. Light-Years
04. Inside Out
05. Propaganda Fashion
06. Dark Reverie
07. Bent
08. Inner Unrest
09. Launder The Conscience
10. Portrait
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