Autant le dire, l’Aberdeen de Kurt Cobain n’avait pas l’air bien gaie. Et pour avoir lu quelques road trips de ses fans, c’est une ville plutôt morne, à dominante industrielle, pas folichonne pour deux sous, et qui aurait de quoi déprimer un assureur en plein séminaire. Après tout, on ne choisit pas forcément sa ville d’enfance, mais on s’en souvient parfois avec nostalgie, une fois les années et les mauvais souvenirs d’ennui passés. Mais l’Aberdeen de CLOVER n’est pas non plus follement joyeuse. Elle pourrait même incarner la plus parfaite illustration musicale de cette ville, assombrie de la rage de sa jeunesse résignée, mais aussi plombée de désespoir typique de ces villes où rien ne se passe, mis à part le temps. Je glose évidemment, puisque je n’y ai jamais mis les pieds, mais j’ai par contre écouté le nouvel EP des originaires de Kingston, New York, faisant suite à l’excellent Exile publié en 2016. S’il est évident qu’un groupe évoqué dans les colonnes du webzine The Sludgelord a de grandes chances d’évoluer en style homonyme, ce trio (Michael Guthaus - chant/basse, Anthony Mackey - guitare et Steve Pasqua - batterie) n’en est pas pour autant un combo de Sludge de plus, puisque leur recherche musicale et sonore les pousse bien au-delà des frontières conventionnelles. Après quelques écoutes, on dégage d’ailleurs plusieurs composantes essentielles, qui se greffent sur une lourdeur omniprésente, mais aussi assez étouffante. A cheval entre plusieurs influences, les CLOVER parviennent avec The Voyager à nous entraîner dans un périple assez fascinant, à base de guitares lourdes et dissonantes, d’une rythmique compacte mais évolutive, et d’un chant maladif au possible. De là, inutile d’attendre une lueur d’espoir autre que créative, puisque les américains ne sont pas forcément là pour vous remonter le moral…
Il serait assez tentant d’ailleurs d’illustrer leur démarche en se focalisant sur ce fameux premier titre, « Aberdeen ». Intro délicate et mélodique, soudaine poussée de fièvre, chant nauséeux et exhorté, et variations assez perceptibles pour ce qui ressemble de loin à une communion entres les esprits d’HYPNO5E et NEUROSIS. Ces derniers sont d’ailleurs l’influence la plus patente de ce second EP, qui reprend des recettes déjà utilisées sur des albums comme Through Silver In Blood ou The Sun That Never Sets (le chant de Michael est d’ailleurs assez proche du grain de Scott Kelly), et dont l’analogie est poussée jusqu’à juxtaposer la surimpression de Hardcore sur la lourdeur du Sludge, technique familière aux deux combos. Mais ne pensez pas pour autant que les CLOVER ne soient qu’une pâle copie de l’éternelle référence, puisqu’on trouve aussi dans leur musique des accroches beaucoup plus personnelles, âpres, progressives, mais aussi directes, qui permettent au cinq morceaux de se montrer intéressants de bout en bout. En vingt-cinq minutes, The Voyager nous tient donc en haleine avec son journal de bord, et traverse sa destinée en multipliant les hurlements, mais aussi les riffs accrocheurs, les montées en puissance et autres silences soudains qui mettent parfaitement en image ce spectre sonore.
Au menu de ce petit pavé, une prise en sandwich entre deux gros morceaux, garnis de plus courtes interventions tout aussi pertinentes. Outre l’introduction de plus de sept minutes déjà évoquée, on retrouve en clôture une autre suite, « The Gatekeeper », qui s’emploie à merveille à signifier son titre, et qui nous harcèle d’un feedback vengeur, avant de se caler sur une ligne rythmique suffocante de claustrophobie. Une fois encore, la guitare gravissime s’évertue à retrouver les valeurs drues du Doom originel, et adapte un lick à la BLACK SABBATH sur un canevas NEUROSIS, pour accentuer cette sensation de pâleur musicale et de rachitisme harmonique. Brisure en trompe l’œil, acidité des mélodies, ossature décharnée mais soudainement renforcée d’arrangements cauchemardesques en couches vocales agonisantes, pour une longue introspection qu’on prédit funeste et terminale. Classique dans le fond, mais diablement intelligent dans la forme, ce morceau est assez symptomatique de la démarche des CLOVER, qui s’amusent de leur classicisme pour en détourner les codes, et parfois se rapprocher d’une version létale des MELVINS, sans l’humour gras sous-jacent, judicieusement remplacé par une noirceur absolue. C’est d’ailleurs peu ou prou cette sensation et ce schéma qu’on retrouve sur le tétanisant « Fortress », qui glisse en chausse-pied quelques accélérations inattendues, histoire de ne pas enfoncer l’auditeur dans un marigot inextricable. Dans son rôle de trublion, « Vessel » est impeccable, et se veut plus Hardcore que le Pain In Mind de NEUROSIS, juxtaposant la brutalité d’un PRIMITIVE MAN à la méchanceté d’un EYEHATEGOD, le tout agrémenté de quelques arabesques de guitares assez festives. Dualité ? Pas vraiment, plutôt un désir d’agrémenter, et de ne pas rester vouté sur un riff monolithique et pénible.
Belle performance donc pour les américains, qui signent là un EP digne d’intérêt, mais à l’atmosphère déliquescente propice aux renoncements personnels les plus cloîtrés. Une façon de voir la vie comme les touristes visitent Aberdeen, la joie en berne et le sourire aux abonnés absents. Ce qui n’empêche nullement d’éprouver une sorte de joie non coupable à l’écoute de The Voyager, qui arpente les méandres de l’humanité avec un sadisme assez réaliste.
Titres de l'album :
1.Aberdeen
2.Fortress
3.Vessel
4.Adrift
5.The Gatekeeper
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