Commencer un album par un titre tel que « Dans la Gueule » est un aveu en soi. Un aveu de refus de la langue de bois, une filiation directe aux années 90, LOFOFORA, MASS HYSTERIA, mais aussi cette vague un peu Ragga qui a déferlé sur la France qui s’est laissé pousser les dreads et la conscience écologique. Les KARVANE, comme ils l’affirment, n’ont qu’une ambition : vous botter le cul. Sauf que ce nouvel album prouve que les intentions sont bien plus qu’une simple claquette sur le séant un soir de haine. KARVANE souhaite au fond de lui-même - ce que je pense, et qui n’engage que moi - pousser le Crossover dans ses derniers retranchements, aller jusqu’à confronter SILMARILS à PLEYMO, tout en citant l’activisme d’un NO ONE IS INNOCENT.

Le groupe y parvient-il ?

Oui, et haut la main. Ou haut les mains, selon.

Ils s’appellent les tontons, flinguent l’adversité et les inégalités, et s’articulent autour d’une formule power-trio reposant sur une base de fluctuation de l’inspiration. Et comme on dit dans le milieu, un poilu c’est un poilu, trois poilus ce sont des B’Hardbouzes. Christobal Aliaga (basse/guitare), Didier Aliaga (batterie) et Diego Aliaga (chant) nous proposent donc avec Thousand Yard Stare un coup de boule instinctif, une saine rage, qui se décompose en une poignée de morceaux atteignant péniblement les vingt-cinq minutes. Concis pour ne pas perdre l’énergie, varié pour ne pas lasser, puissant mais intelligent, ce nouvel effort en fait beaucoup pour faire plaisir. 

Sur le ring, le sparring partner commence à renvoyer les coups en les appuyant. De statut d’outsider poids léger, KARVANE monte d’un cran dans les catégories, et se retrouve avec la cote pas toc parmi les poids lourds. Le jeu de jambes, fluide et naturel comme cette basse qui tourne autour des notes pour mieux les frapper, les poings serrés sur cette batterie percutante et battante, et le regard froid d’un chant qui lâche les mots comme le boxeur les beignes, la partie s’annonce serrée, mais les trois musiciens provoquent rapidement le K.O. Comment ? En diversifiant les coups, en s’inspirant parfois de la rigueur du Metal Indus, du Nu Metal, de l’Electro Metal, du Rock salement amoché, avant de décocher un uppercut qui brise la mâchoire Hardcore.

Je laisse à chacun de juger la pertinence des textes, mais il m’est impératif de souligner qu’ils ont une portée sociale non négligeable. Porte-parole des parias et des oubliés, KARVANE pointe du doigt, dévisage, interrompt, accuse, récuse, et nous oblige à choisir notre camp. Entre RATM, DOWNSET, SIDILARSEN, avec un poil de KORN et la voix au papier de verre de Diego Aliaga, Thousand Yard Stare prépare son plan de bataille avec minutie, avant de ruer dans les brancards pour multiplier les blessés.

Evidemment, tout ceci est connu, d’aucuns diraient même usé jusqu’à la corde. Mais pourtant, ce petit parfum personnel permet au trio de prendre ses distances avec la scène historique, même si de nombreux indices portent à croire qu’ils ont beaucoup écouté la familia, et dansé « Furia » jusqu’à ne plus avoir de muscles.

Quelques featurings qui décorent, des riffs maousses qui mettent tout le monde d’accord, des rires, de l’ironie, un sérieux qui honnit les politiques et leurs sycophantes, un phrasé Rap pour une démonstration de frappe (« N°1 », comme du URBAN DANCE SQUAD repris par LOFO), une énergie folle qui le confine à la transe collective, KARVANE ne se perd pas en conjectures, et défonce les murs de silence, bruite les rues abandonnées, pour se démarquer comme chef de file d’une génération sacrifiée.

Chansons au format Pop pour un rendu furieusement Rock, cette suite à Trahison confirme les bonnes impressions, qui deviennent excellentes. « Ecchymose », lourd comme du KORN près d’une sortie de secours, insidieux, malheureux, déviant et sentencieux, le groupe déroule et en profite pour échanger les instruments pour redéfinir l’équilibre.

Je ne vais pas chercher d’excuses, j’ai aimé cette expérience brutale, mais très futée. « No Man's Land » groove et suinte le stupre, avec toujours en exergue cette base omniprésente en réminiscence de nineties où tout était possible, et chaque mélange valide.

Comme une musique de jeunes réservée aux quadras, Thousand Yard Stare nous ramène aux origines de la défiance, et refuse de s’ancrer dans un mouvement particulier. Et puisque le son est précis et clair, le message passe d’autant mieux, et s’imprime dans les quelques neurones qui nous restent. Le match tourne donc vite au vinaigre tant l’adversaire est plus costaud, plus grand, plus gros, et plus énervé.

Mais la rage n’a pas d’âge et reste l’apanage des écorchés vifs qui ne tournent pas la page.                                                                                  

Titres de l’album:

01. Dans La Gueule (feat. Vikie)

02. N°1

03. Ecchymose

04. No Man's Land

05. Git Gud Scrub

06. TOXIQ (feat. Kourros)

07. Le Paradis

08. Shrapnel

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