« Il faut trois hommes pour faire un tigre ».
Voici donc un titre cryptique qui semble tout droit issu du cerveau fécond d’un scénariste en manque de métaphores d’action, et pourtant il n’en est rien. La vérité, c’est que cette assertion fantaisiste est un très vieux proverbe chinois qui fait allusion à la crédulité des hommes. Répétez un canular suffisamment de fois, faites-le passer de bouche en bouche, et la plèbe le prendra pour une vérité admise. Et en ces temps troubles de buzz internet qui passent pour des news, ou même ces fake news qui passent pour des vrais, cette appellation devient la plus idoine possible pour décrire une époque vouée à la vitesse de transmission qui souvent déforme le prisme de la réalité pour la transformer en…fantasme. Et PHANTASM justement, le groupe, se sert de cette propension à accepter comme telle chaque pièce de renseignement pour construire une musique en faux-semblants, en gigogne, en miroir déformant, histoire de nous déstabiliser encore plus. Sauf que leurs constructions n’ont rien de factice ni d’erratique. Leurs morceaux sont aussi solides qu’une maison charentaise construite sur de profondes fondations, au détail près que cette même maison semble évoluer et se muer au fur et à mesure que vous la visitez. Et la sensation, surprenante au début, devient vite extrêmement agréable. Je vous le jure.
Les PHANTASM eux-mêmes ne semblent pas à même de se fixer. Originaires de Buffalo, New-York, ils ont vite opté pour le charme de Philadelphie, histoire de continuer la leur, commencée aux alentours de 2005. Premier EP, posant les bases de leur philosophie volontaire, et affirmant de fait que quoiqu’il arrive, à partir de ce point d’entrée, ils allaient faire les choses, à leur manière. Et c’est ce qu’ils ont fait, ce qui a abouti à la conception d’un disque aussi extrême et fondamental que Graph The Pulse en 2011. Il y a six ans, le groupe admet des accointances sévères et régulières avec DILLINGER ESCAPE PLAN, REFUSED, ou DRIVE LIKE JEHU, et ceci expliquant cela, leur musique devient plus violente, plus chaotique, pour marquer le pas et une étape supplémentaire sur un parcours non linéaire. Pas mal de shows durant lesquels ils volent la vedette à l’instant et captent les regards à l’avenant, et puis d’autres disques, toujours aussi différents et surprenants, mais complexes et luxuriants. Car la force de ce trio d’iconoclastes esthétiques (Aaron White - basse, Steven Posplock - guitare/chant et Jay Yachetta - batterie), est de synthétiser en adaptant à ses propres critères des univers aussi différents que complémentaires. Savoir unir dans un même élan et un même morceau les dogmes précieux de Steven Wilson, et l’agressivité d’un TOOL, l’orientalisme d’un THE TEA PARTY, et l’efficacité rythmique d’un MORPHINE. Tout ça pour aboutir à l’un des résultats les plus surprenants qui soit, à cheval entre la liberté de ton d’un PORCUPINE TREE et les exigences de puissance d’un CONVERGE, sans toutefois tomber dans le même piège de chaos organisé. Car aussi expressive et secouante soit la musique proposée sur Three Men Make a Tiger, elle reste toujours sous contrôle, docile, mais prête à rugir comme ce proverbial tigre que trois hommes ne sauraient contenir. Et pourtant, on a envie de caresser le fauve, dans le sens du poil bien sûr, lucidité oblige, mais aussi de lui tenir la bride pour savoir ce qu’il a dans le ventre. Et ce qu’il a digéré est bien agencé dans l’estomac, c’est un fait, mais il n’y aurait rien d’étonnant à y trouver un bras…
De cette description sommaire, vous seriez en doit d’attendre de ce nouvel album des américains qu’il se montre plus expérimental que la moyenne, et une première écoute distraite aurait de quoi vous décevoir, spécialement si vous entamez cette même écoute d’un logique et initial « Over and Over ». Premier single et illustration précise d’une humanité condamnée à répéter encore et encore les mêmes erreurs, ce premier morceau peut induire sur une fausse piste de facilité, pour peu que vous vous concentriez sur ses motifs les plus évidents. Mais cette façon d’entamer le nouveau chapitre en empruntant à WASTEFALL son sens du pathos rythmique et lyrique, avant de verser dans des redondances grasses comme un Stoner non écrémé montre que le trio a beaucoup plus à dire et à offrir qu’un groupe lambda misant sur l’efficacité en occultant l’originalité. PHANTASM peut se targuer de mettre les deux sur le même plan, sans jamais laisser l’inspiration divaguer trop longtemps. Leurs interventions ne dépassent jamais les quatre minutes et quelques, et pourtant fourmillent d’idées innovantes, de plans percutants, et de breaks puissants ou planants. Difficile dès lors de les situer, spécialement lorsque le groove se veut chaloupé et la guitare aiguisée, à l’occasion d’un « Lock And Key », aussi accrocheur qu’il n’est dansant et entraînant. Surprenant ? Pas tant que ça, puisque la surprise est justement l’effet moteur d’un groupe qui refuse depuis toujours les conventions, et qui traite l’information en la diffusant en masse, sans dénouer le faux du vrai. Sont-ils progressifs, alternatifs, juste Rock ou beaucoup plus pragmatiques ? Nul ne le sait, ou tout ça à la fois, et c’est certainement ce qui les rend si précieux et uniques. Et cette basse, enroulée autour des doigts d’Aaron, qui se mutine, puis qui câline, c’est quelque chose de rassurant en soi…
Mais la voix de Steven, versatile comme son jeu de guitare devant autant à Dave Navarro qu’à Adam Jones ou Stuart Chatwood, sait aussi nous charmer et nous malmener, comme celle d’un adolescent découvrant les pièges d’une existence qui sera tout sauf facile. Alors, il comble les désillusions d’impulsions Funk, pique des plans à Jimi, à Steven, et avance coûte que coûte, multipliant les clins d’œil et sachant même parfois s’effacer derrière quelques arpèges pour mieux foncer l’instant d’après, sur un hit improbable que les Post-Hardcoreux ne pourraient même pas cosigner (« Say Their Names »). Tout ceci est évidemment mouvant, très, et même parfois légèrement psychédélique, à l’image de ce « Checkmate » qui prend notre reine en début de parcours, juste en plaquant un riff que le roi Page sacraliserait d’un regard amusé. En accrochant à l’arbre de leur vie une multitude de guirlandes d’arrangements à peine perceptibles, les PHANTASM concrétisent la vision qui consiste à croire qu’une musique peut se montrer aussi ambitieuse que humble, et n’hésitent même pas à faire appel à l’électronique pour enrichir leur panorama, déjà fort plaisant. Et ça déroule, des silences interrompus de « Side Step », qui fait un pas de côté pour laisser la place à « Eris », l’un des grands moments du disque, tout en demi-teinte, mais ferme sur ses positions. Rythmique de plus en plus déroulée, chant contenu pour mots étouffés, et grandes envolées mélodiques qui rappellent tout autant la scène Post Wave des années 80 que le Progressif moderne de la nouvelle école…Mais sous des auspices de quiétude se cachent souvent les impulsions les plus meurtrières, ce que démontre avec grande véhémence le faux hommage à PORCUPINE TREE/DREAM THEATER « Separation Anxiety », qui avec ses cocottes empruntées à The Edge démontre que l’Alternatif et le Progressif ne sont pas si irréconciliables que ça finalement….
Détour Funky Pop fusion aussi contagieux qu’un ragot dispensé à des rageux (« IruKandji »), riff redondant pour basse en bas du manche et batterie qui penche (« Discordia ») et final en Punky progressif, histoire de montrer à l’humanité que la rébellion est toujours d’actualité (« Earth Rooster », plus VATTNET que VISKAR), et la boucle est bouclée, le sourire aux lèvres, et la vérité propagée. Car les PHANTASM aiment aussi faire parler d’eux et savoir leur nom sur les lèvres. Ils jouent un jeu ambigu, mais le jouent avec honnêteté. Ils sont trois, et sont un tigre. Mais aussi virtuelle soit la bête, elle mord et blesse, mais panse les plaies.
Titres de l'album:
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21/11/2024, 08:46
Quand on se souvient du petit son des années 80... Mais la prod ne fait pas tout, ça reste du pilotage automatique. C'est pas avec un truc pareil que je vais me réconcilier avec eux, et ça fait 20 piges que ça dure.
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