On a longtemps pensé qu’OPETH était bien seul sur son piédestal. Et la réalité collait assez bien à cet état de fait, tant le groupe semblait à des années lumières de tous ses suiveurs. Alors, on se rassurait en parlant de KATATONIA, qui évoluait quand même quelques niveaux en deçà, ou d’ANCIIENTS, plus puissant que la majorité des groupes du cru. Mais après le retour de nos héros, et leur abandon presque total des growls au profit d’un chant clair, beaucoup plus en phase avec leur orientation musicale sur Heritage, on se demandait bien qui allait porter l’étendard de ce Metal progressif sombre et pourtant luxuriant, tant ce même héritage semblait trop lourd à porter pour le commun des musiciens.
Un semblant de réponse en fut peut-être donné l’année dernière avec la sortie d’un premier album étrange venu de Finlande, et proposé par un quatuor sorti de nulle part, bien déterminé à reprendre à son compte quelques ficelles permettant de combiner le Progressif le plus traditionnel au Death le plus extrême. Les PERIHELION SHIP ont pris tout le monde à rebours avec leur A Rare Thunderstorm in Spring, qui vit ses louanges chantés par la presse spécialisée, voyant en eux de dignes successeurs de Mikael Akerfeldt, la fraîcheur en plus, mais la longueur de carrière en moins…En synthétisant les aspects les plus Canterbury du Progressif et les nuances sombres du Metal extrême des années 90/2000, le quatuor (Andreas Hammer – guitare/chant, Jani Konttinen – orgue Hammond, mellotron, Jouko Lehtonen – basse et Jari-Markus Kohijoki – batterie) imposait sa patte et sa griffe, en parvenant à une osmose presque parfaite de la douceur évolutive et de la violence instinctive, relevant là le défi de combler un trou que personne ne semblait à même de reboucher.
On reprochait néanmoins à ce premier jet une certaine naïveté, travers qui semble t’il a été largement corrigé en une année, pour leur permettre de nous proposer aujourd’hui leur second LP, qui après quelques écoutes attentives, paraît imperfectible dans le style. On y retrouve cette instrumentation hors-norme, à base de mellotron, de stries d’orgue rappelant le PURPLE, cette basse ronde à la YES qui serpente autour des structures basiques, et ce chant lyrique, aussi convaincant dans ses caresses emphatiques que menaçant dans ses invectives diaboliques. Ce tout assemblé dans de grandes digressions dépassant souvent les dix minutes, sans lasser, atteint aujourd’hui une sorte d’apogée créative, mariant la mélancolie, la violence, la rêverie, et la lucidité dans un ballet étourdissant de créativité et de beauté, qui ose des couplets immédiats à la véhémence patente, et de longues parties instrumentales, qui loin de combler les espaces, proposent des arrangements riches et envoutants, qui nous ramènent aux meilleurs exercices du genre des années 70, sans trop piocher dans la liberté excessive de certains albums de l’époque (Tales, Lamb, et tant d’autres…). Volutes de notes en flutes qui se moquent, arpèges délicats et cordes en frimas, accents hispaniques pour subtilité historique, pour une transition ne cherchant pas la complication, mais osant le cristal d’automne pour amoureux d’harmonies qui résonnent (« River’s Three », même OPETH n’a jamais signé un tel intermède béni). Mais au-delà de ces précisions de contenu, To Paint a Bird of Fire s’adapte à son titre, et nous décrit l’envol d’un phœnix qui une fois les flammes supportées, renaît de ses cendres pour s’envoler vers un paradis en forme d’enfer de volupté.
Outre sa richesse intrinsèque, c’est surtout sa progression qui rend ce second album si parfait. Loin de se contenter de digressions complexes destinées à prouver le niveau instrumental de ses concepteurs, To Paint a Bird of Fire se veut voyage dans le temps et l’espace très valide, ce que démontre à la perfection l’écart qui sépare l’entame « New Sun » de l’épilogue/question « New Sun », qui tout en partageant le même ADN, font montre de traits personnels très distincts. Les finlandais de PERIHELION SHIP nous entraînent donc aux confins de leur galaxie, pour y découvrir un nouvel astre de lumière, dont l’existence reste à prouver. En parlant de cette entame de LP extraordinaire, il convient de souligner l’efficacité et la suavité d’un morceau qui s’abreuve à plusieurs fontaines, et qui parvient sans peine à établir une nouvelle frontière entre brutalité extrême et délicatesse ne l’étant pas moins. Tandis que les guitares tissent un canevas aux mailles épaisses et resserrées, l’orgue aère le tout d’interventions mélodiques éthérées, sans perdre le fil de la narration. En se basant sur des harmonies complexes mais parfaitement assimilables, le quatuor peut se reposer sur une juxtaposition qui fait de ce premier morceau un parfait exemple de ce qui transformait OPETH en créature unique, bien avant son ultime mutation. Mais loin d’être de simples clones de cette référence incontestable, ces musiciens s’affirment en tant que tels, et unissent en un même élan le Progressif de papa et l’agressif du fiston, qui finalement, prendront plaisir à trouver but commun dans le même disque. Et cette performance-là est loin d’être anodine. On pense même à une entente cordiale entre MAGMA, ANGE, TYPE O NEGATIVE et KATATONIA, aussi incongrue soit la comparaison…
En miroir, se trouve donc la question nuançant la fausse affirmation, et « New Sun ? » de terminer l’album sur une nuance de taille. Les PERIHELION SHIP seraient-ils en passe de devenir les nouveaux maîtres d’un Progressif extrême, alors même que le trône semble vacant ? Si j’en juge par ces arabesques rythmiques et mélodiques, cette double grosse caisse impitoyable, et ce chant tout en dualité, la réponse semble évidente. Rarement musique aussi riche n’aura été si émotionnelle et expurgée de toute velléité démonstrative, préférant privilégier les sensations sur l’accumulation, bien que le nombre conséquent de plans confirme que les finlandais ne sont pas contre la superposition. Mais celle-ci est presque humble, et en tout cas logique, et surtout, validée par un chant versatile, aussi convaincant dans les grognements que dans les envolées lyriques à l’avenant.
Si l’orgue revendique clairement la paternité de feu Jon Lord, et si l’instrumental se réclame de la tradition en vogue dans les années 90/2000, la musique en elle-même échappe à la datation, et pourrait se vouloir errant dans la nébuleuse d’un couloir espace-temps bloqué entre les décennies. D’autant plus que dans l’intervalle, To Paint a Bird of Fire nous réserve de merveilleuses surprises, comme ce « The Sad Mountain », à l’intro DREAM THEATER des meilleures années, et à l’amplitude mélodique fabuleusement posée. Basse et mellotron à l’unisson, rythmique paisible pour flammèches vocales apaisantes, et soudaines décharges de violence Death à la MY DYING BRIDE passant du Doom à la vitesse, pour un opéra de l’étrange qui nous met en transe, et nous éloigne d’une réalité trop concrète pour être plus longtemps supportée…
Après un premier disque qui avait salement éveillé les soupçons, To Paint a Bird of Fire dépeint de ses pinceaux fins et de sa palette multicolore une brutalité atténuée de douceur instrumentale nouée, et s’avère être l’un des LP les plus fascinants de cet automne embrumé. De là à affirmer qu’OPETH s’est trouvé un héritier tout désigné, il n’y a qu’un pas que les plus enthousiastes n’hésiteront pas à franchir…
Titres de l'album:
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21/11/2024, 08:46
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