Beaucoup de fans pensent que les groupes de Grind ou de Powerviolence sont constitués de jolis olibrius bien allumés, dont les seules obsessions sont le délire, la fête, la violence et les blasts. Certes, c’est souvent vrai, mais certains ensembles échappent à la règle et font preuve d’une ambition aux limites moins étriquées. Nous pourrions parler de NAPALM DEATH ou BRUTAL TRUTH et de leur engagement social et humanitaire, mais je préfère aborder ce matin un cas plus obscur, mais pas moins passionnant et pertinent pour autant.
Alors parlons.
Parlons des New-yorkais (Huntington Station, Long Island) de BUCKSHOT FACELIFT, qui mènent leur barque de bruit depuis 2004, ce qui leur permet de mettre en avant une carrière conséquente.
Conséquente et évolutive, puisque les mecs ne sont pas du genre à faire du sur place pour proposer ad vitam aeternam les mêmes plans brutaux sans fond ni plafond. Je ne vous ferai pas l’historique du groupe dans cette chronique, libre à vous de consulter leurs archives sur les sites spécialisés. Non, je parlerai plutôt de leur avenir proche, et de leur présent, qui prend forme autour d’un nouvel album, qui – osons le terme à prendre avec des pincettes – se veut « concept ».
Lequel ?
Celui-ci, selon les termes mêmes de Will, hurleur, grogneur :
«Ulcer Island est un concept-album dont la narration évolue d’un constat urbain à une introspection onirique. Ce nouvel album mélange le Grindcore, le Powerviolence et le Death Metal, et est agencé de manière à refléter cette transition à mesure que l’album progresse »
Qu’est-ce à dire ? Que ce nouveau disque des anciens/actuels membres d’ARTIFICIAL BRAIN, GREY SKIES FALLEN, AFTERBIRTH ou THAETAS nous a réservé d’entrée ses saillies les plus violentes pour mieux nous entraîner dans une prise en charge de conscience reposant sur des principes musicaux plus posés ? C’est en partie la clé du problème, mais pas que.
Pourquoi ?
Parce qu’à la base, la musique composée et interprétée par les BUCKSHOT FACELIFT est assez complexe. D’ailleurs, pour mieux éviter de baliser leur terrain avec des références trop pointues, les lascars s’amusent à lister une bordée impressionnante de groupes référence sur leur page Facebook, histoire qu’on ne s’approche pas d’un peu trop près de parallèles faciles.
Il est certain que les trois courants qu’ils utilisent pour situer leur démarche sont fiables et vérifiables, mais leur art va bien plus loin que ça, et s’inspire aussi de l’avant-garde, du Death technique et obscur, et d’une forme de Powerviolence très aboutie, qui ne refuse pas une certaine concession de musicalité et de logique. Alors, cette vie de rue qui se termine par une introspection, dans les faits, ça donne quoi ? Un des meilleurs albums de ce premier trimestre, parce que murement réfléchi et composé, et développé de façon très futée. Ce qui pour un modeste groupe de Grind brutal n’est pas une mince affaire, vous le reconnaîtrez.
Quinze morceaux pour quarante minutes de musique, c’est suffisamment rare dans le créneau pour être signalé. D’autant plus que chaque piste à sa raison d’être et son intérêt propre, ce qui ne gâche rien. Pas d’intermède bouche-trou, et une avancée progressive pour un groupe en passe de devenir une véritable référence du genre.
On trouve donc sur ce nouvel LP tous les ingrédients qui ont fait la marque de fabrique des BUCKSHOT FACELIFT, cette alternance de passages lourds et de brutales accélérations, cette façon d’agencer des progressions qui glissent d’un magma sonore brouillon et bouillant à des fulgurances de violence difficilement contenables, en passant par une utilisation très intelligente des samples pour baliser leur contexte.
A l’écoute de ce dernier-né il n’est pas étonnant de ne pas trouver de repères fiables sur lesquels se fixer, puisque les Américains soufflent le chaud et le froid sans discontinuer, et sont loin de se contenter d’une agression d’usage, rappelant parfois les RESURRECTURIS Italiens ou les symboliques et décalés DISHARMONIC ORCHESTRA, tout en gardant la force d’impact d’un SUFFOCATION et d’un GORGUTS, agrémentée de la folie rythmique d’un BRUTAL TRUTH en pleine possession de ses moyens.
Alors, on navigue, on valse, on s’entrechoque, on décolle, on ralentit, on accélère, on perd ses repères, mais on se délecte d’une ultraviolence utilisée non comme finalité, mais comme moyen pour exprimer des sentiments contraires et complémentaires.
Et tout ça fait un bien fou, sans pour autant chercher à « intellectualiser » le propos. Non, avec Ulcer Island, les BUCKSHOT FACELIFT restent les brutes que l’on a toujours connues, mais savent distiller la barbarie avec clairvoyance pour suggérer un état de fait. Dites-vous simplement que cet album fonctionne comme une catharsis, ou comme une psycho-analyse perso qui ne vous oblige pas à sortir de chez vous.
Au niveau rythmique, le travail est ahurissant de complexité et de perfection. Les plans de batterie se succèdent à une vitesse hallucinante, épaulés et renforcés par une basse omniprésente, chose assez rare dans le style pour être soulignée.
Les riffs sont francs, dissonants, saccadés, plaqués, et si la tonalité Hardcore générale est indéniablement Hardcore, elle cède parfois sous la pression d’atmosphères purement Death assez étouffantes (« Dustification », « Weathered Mask of Autumn (Unearthing the Armless) »), pour créer une sorte de consensus de barbarie appliquée avec soin.
En gros, ces frondeurs sont parvenus à trouver la mince frontière séparant le Grind, le Hardcore et le Death, et marchent, non, courent sur ce fil sans avoir peur de ne pas avoir de filet pour amortir leur chute.
Mais trop vous décrire le contenu serait amoindrir l’impact du contenant. Le travail accompli sur cet Ulcer Island est suffisamment éloquent pour être disséqué et interprété de façon personnelle. Et comme la progression et le glissement thématique font partie de son concept, inutile d’en dire trop à son sujet.
Alors disons-donc que cet album est un modèle de pertinence sauvage, et qu’il risque de devenir une référence incontournable dans un avenir plus ou moins proche. Et que si son entame est directe et épileptique, et que son final est lourd, pesant et traumatique, la transition est rudement bien amenée et ne tombe pas comme un cheveu sur la soupe populaire.
BUCKSHOT FACELIFT ? Uniques, rien de moins. Sans concessions. Mais avec passion. Une certaine vision de l’extrême qui le reste, mais sait s’ouvrir à d’autres possibilités.
Tout en restant répugnant, s’entend.
Titres de l'album:
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