Pierre de rosette musicale et commerciale dans les années 80, le Hard Rock mélodique, appelé avec beaucoup de condescendance Soft Rock par ses détracteurs les plus farouches, s’est progressivement transformé en caillou sous la semelle à la fin des années 80. La faute à pas mal de facteurs convergents, la mode, versatile, Seattle, MTV, la nouvelle génération qui avait plus besoin de rébellion que de douceur…Et c’est ainsi que de superbes albums parus dans les nineties sont complètement passés à la trappe (phénomène qui a aussi touché plus généralement le Hard Rock, le Thrash et le Glam, alors totalement uncool…), avant d’être réhabilités bien plus tard. C’est certainement pour cette raison, et d’autres, que l’excellent One de Carl DIXON n’a pas fait plus de vague que ça il y a vingt-six ans, alors même qu’il incarnait une sorte de parangon du genre. Mais l’histoire étant parfois clémente, elle permet au passé de se racheter une conduite, et c’est ainsi que cette œuvre mésestimée mais recommandable s’est récemment vue gratifiée d’une réédition, ce qui nous permet de faire le lien avec une nouveauté qui mérite toute votre attention. Carl DIXON, pour les newbies et les allergiques à l’harmonie est un parfait inconnu. Mais pour les passionnés de la cause, c’est un musicien précieux, au pedigree fameux, qui outre six albums en solo a été membre d’un des groupes de Hard Rock les plus emblématiques de son époque, CONEY HATCH. Et c’est donc très légitimement que la maison de disques d’esthètes qu’est AOR Heaven distribue son septième effort en solo, qui ne l’est d’ailleurs pas vraiment. Et dire que le label a accordé sa confiance à bon escient est lénifiant d’évidence. Deux ans après Whole 'Nother Thing, le musicien canadien nous en revient donc avec du sang neuf, et onze compositions emballées sous le titre d’Unbroken. Et visiblement, le talent de Carl est effectivement intact.
Je parlais d’album solo qui n’en est pas vraiment un, malgré le nom sur la pochette, puisque DIXON a collaboré pour ce nouveau chapitre avec une autre figure de légende de la scène Rock. On retrouve donc à la genèse d’Unbroken Robert BOEBEL, bien connu du public allemand pour ses implications dans FRONTLINE et PHANTOM V. C’est donc plus à un duo auquel nous avons affaire, ce qui permet de multiplier les capacités, et d’obtenir l’un des plus grands albums de Hard mélodique de cette décennie, pourtant bien chargée en nostalgie…Il est vrai que depuis une petite dizaine d’années, le genre revient méchamment à la mode grâce à la déferlante scandinave, et que les artistes baignant dans ce milieu depuis des décennies auraient tort de se priver d’une telle exposition. Encore faut-il avoir les arguments pour rivaliser avec ces damn swedes, ce qui est immanquablement le cas de DIXON. A l’écoute de ces onze chansons, il serait facile de croire avoir affaire à un croisement entre les inclinaisons naturelles de Carl durant sa carrière en solo, et les facilités de Robert au travers de son parcours en groupe. Et c’est exactement le cas, bien que la moyenne entre les deux musiciens ne soit pas si facile à établir. On trouve du JOURNEY dans cette musique, des automatismes de son/ses auteur(s) évidemment, un peu de SURVIVOR aussi, mais pas mal de Rock mélodique européen à la SHY, et aussi des traces du Canada de Bryan ADAMS, BRIGHTON ROCK ou TRIUMPH dans une moindre mesure. Soit un melting-pot international qui n’a mélangé que le meilleur, pour nous rappeler le bonheur des années 80 et des charts envahis de groupes du créneau. Faisant preuve d’une énergie que bien des petits jeunes pourraient lui envier, DIXON aligne les tubes en figures imposées, mais travaille avec panache ses poncifs pour les transformer en évidences, et en mélodies en or massif qui nous caressent les oreilles sans faire trop monter notre taux de sucre dans les tympans.
Mais on pouvait compter sur lui et Robert pour ne pas nous servir une soupe tiède et fadasse. D’ailleurs, le tandem a bien fait les choses en lâchant un gros riff sur « Can’t Love A Memory », un titre d’entame qui vaut bien des confessions de virilité assumée. Pas question donc de couler sous la mélasse, même si les moments de tendresse sont nombreux, mais jamais surfaits ou trop comfy. D’ailleurs, les solides parties de batterie assurées conjointement par Mark Santer (SANTERS) et Dylan Gowan (VESPERIA, CARDINAL STREET) permettent aux guitares de rugir de plaisir, en rythmique ou en solo, qui sont d’ailleurs nombreux et inspirés. Avec une production presque d’époque qui nous rappelle les sonorités du classique et initial One, Carl DIXON a joué la carte du cachet d’époque, construisant un pont entre les eighties bénies et les nineties honnies, entre démonstration de force et souplesse. Avec une entrée en matière pareille, les fans sont bien accueillis, mais une fois les portes de l’école JOURNEY passées, le reste de la journée de cours prend une tournure moins marquée. Mais des guitares, toujours des guitares, hargneuses, tranchantes, grasses, et loin du côté Bluesy de Whole 'Nother Thing. Unbroken préfère jouer le Hard Rock cru et dru (« Bowl Me Over »), la radiophonie bien velue sur up-tempo tendu (« Nothing Lasts Forever », un gros burner entre SEMBELLO et BALANCE), ou la modération harmonieuse aux chœurs radieux (« Every Step Of The Way » énorme tube taillé pour les radios si elles étaient moins tête en l’air). On tombe même parfois sur des allusions plus directes à la suprématie d’il y a quelques décennies, lorsque toutes les composantes sont présentes et que les étoiles s’alignent (« Summer Nights », encore ce formidable équilibre entre distorsion et chant à l’unisson), et si parfois l’émotion prend le dessus, ça n’est jamais au détriment de l’authenticité (« All My Love And Hopes For You »).
Du travail d’orfèvres donc, et de musiciens au long cours rompus à l’exercice, qui entre leur main n’en est pas vraiment un. Plutôt de l’artisanat de qualité, avec ces arrangements peaufinés, ces allusions à tout un pan du Hard Rock anglais exporté aux USA (le riff très DEF LEP de « This Isn’t The End » avec ce chant très WHITESNAKE), voire au Hard américain bien chez lui mais conscient de la dime à payer à l’Allemagne (« Drive Just Drive » un peu DOKKEN avec cette touche de rigorisme à la SCORPIONS/ACCEPT). Et les moments de bravoure s’empilent, les chansons défilent, et on cherche en vain le grain de sable qui va enrayer la machine…Mais non, celle-ci est trop bien huilée, et le festival est ininterrompu (« Roll The Dice » qui fait sauter le jackpot, « Keep The Faith », plus HELIX que BON JOVI), et on termine l’écoute d’Unbroken totalement repu. Si l’album vous sied, profitez-en pour lui adjoindre la réédition de One, histoire d’avoir le grand écart entre les époques. Vous y gagnerez de toute façon, Carl DIXON étant un artiste hors du temps, dont le talent ne sera jamais brisé.
Titres de l’album :
01. Can’t Love A Memory
02. Bowl Me Over
03. Nothing Lasts Forever
04. Every Step Of The Way
05. Summer Nights
06. All My Love And Hopes For You
07. This Isn’t The End
08. Drive Just Drive
09. Roll The Dice
10. Keep The Faith
11. Unbroken
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